Pour Philippe Schaus, CEO de Moët Hennessy, le Luxembourg a «une culture positive du succès et de la réussite».  (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne/archives)

Pour Philippe Schaus, CEO de Moët Hennessy, le Luxembourg a «une culture positive du succès et de la réussite».  (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne/archives)

Le Luxembourgeois Philippe Schaus était de passage ce week-end pour participer à la série de rencontres Stars & Stories du Casino de Mondorf-les-Bains. Pour Paperjam, il évoque ses liens et sa vision du pays, et ses défis en tant que CEO de Moët Hennessy, branche Vins et spiritueux du groupe LVMH.

Quels liens entretenez-vous avec le Luxembourg?

Philippe Schaus. – «Je reviens à peu près tous les mois. Ma famille et beaucoup de mes amis sont ici. Je suis Luxembourgeois, je parle luxembourgeois avec mes enfants et mon épouse. Je suis toujours président du Business Club France-Luxembourg, et nous allons bientôt célébrer la nouvelle année avec nos membres. C’est une activité qui m’honore, car c’est en quelque sorte un rôle d’ambassadeur, entre les deux cultures.

Quels sont les atouts du pays selon vous?

«Sa multiculturalité qui est là depuis toujours, nous avons d’ailleurs été occupés par toutes les grandes nations européennes ou presque au cours des 500 dernières années. L’agilité du système et la capacité d’adapter les textes juridiques à de nouvelles nécessités et opportunités, et puis je dirais que le Luxembourg a une certaine culture positive du succès et de la réussite.

À l’inverse, quelles sont, selon vous, ses fragilités?

«Le Luxembourg peut parfois donner l’impression qu’il se repose sur ses acquis, qu’il s’installe dans un confort et qu’il pourrait vite oublier ce qui a fait son succès: le travail, le dynamisme, la créativité, l’agilité. Il faut garder ces valeurs qui ont été la clé du succès et qui peuvent continuer à l’être. Dans le business, comme en politique, je pense qu’il faut être un peu paranoïaque.

L’êtes-vous dans votre travail?

«Oui. Je crois qu’il y a une saine paranoïa, c’est-à-dire qu’il faut à la fois actionner le meilleur et se préparer au pire.

Aujourd’hui, il y a une tendance à une baisse de la consommation et à une montée en gamme.
Philippe Schaus

Philippe SchausCEOMoët Hennessy

Vous êtes le CEO de Moët Hennessy, la branche Vins et spiritueux du groupe LVMH depuis 2017. Que représente-t-elle au sein du groupe et quelles sont vos principales activités?

«Nous représentons environ 10% de LVMH avec 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022. Nous avons, pour la première fois, dépassé les 2 milliards d’euros de profits pour Moët Hennessy. Nous comptons 25 marques de vins et spiritueux. Cela représente un effectif de 8.000 personnes à travers le monde.

Le champagne et le cognac ne sont plus uniquement le cœur de votre activité. Quelle est votre stratégie en matière de diversification?

«Nous avons les plus grandes marques de champagne et la première marque de spiritueux au monde: Hennessy. Mais aussi des whiskies, comme l’Ardbeg, le plus précieux au monde. Nous venons d’en vendre un seul fût pour 19 millions d’euros, le plus cher jamais vendu. Nous avons aussi développé une tequila volcan avec la famille Gallardo au Mexique, une vodka polonaise, des vins mousseux comme le Chandon Garden Spritz lancé l’an dernier au Luxembourg…

Cette diversification nous permet d’avoir une gamme de produits suffisamment étoffée pour être à la fois présents à l’apéritif, dans les très beaux restaurants, le monde de la nuit, les bars de plage, le ‘cocktailing’… Ces modes de consommation sont différents segments de distribution, donc il est important que nous réussissions à étoffer notre portefeuille pour avoir une légitimité dans chacun de ces canaux de distribution.

«La logique, c’est qu’il n’y a pas de logique. Tout ça, ce sont d’abord des opportunités, de la curiosité et une envie de connaître de nouvelles choses», dit Philippe Schaus à propos de son parcours.  (Visuel: Maison Moderne)

«La logique, c’est qu’il n’y a pas de logique. Tout ça, ce sont d’abord des opportunités, de la curiosité et une envie de connaître de nouvelles choses», dit Philippe Schaus à propos de son parcours.  (Visuel: Maison Moderne)

Les habitudes de consommation ont-elles changé ces dernières années? Quelles sont les tendances?

«Aujourd’hui, il y a une tendance à une baisse de la consommation et à une montée en gamme. C’est-à-dire que l’on consomme moins, mais mieux. Le consommateur est de plus en plus averti, il a envie de déguster de bons produits en prenant du plaisir, mais il est conscient qu’une consommation excessive a des effets négatifs sur sa santé. Sur les tendances, en Europe, on assiste à un retour du cognac qui a longtemps été le privilège des Américains. On assiste aussi à un retour du rosé de Provence, comme le Garrus.

Comment avez-vous vécu ces dernières années de crise et comment avez-vous adapté vos activités?

«Chaque crise est une opportunité, mais cela ne veut pas dire que l’on est immunisé. Nous avons évidemment été touchés et nous avons dû serrer les coûts. Nous avons choisi de garder nos équipes pour conserver notre force de frappe et nous avons continué à travailler, à préparer des lancements de produits. Quand les pays sont progressivement sortis de la crise du Covid, nous avons pu lancer de nouveaux produits. Nous n’avons pas changé notre stratégie qui est une stratégie de création de valeur et de désirabilité.

Comment entretient-on cette désirabilité?

«C’est un mix entre une stratégie de distribution qui va toujours chercher l’excellence et une innovation sur le produit lui-même. Au niveau du marketing, cela passe par des collaborations comme celle entre Yayoi Kusama, d’abord avec Veuve Clicquot en 2012, et actuellement avec Louis Vuitton. Nous avons aussi un partenariat entre Hennessy et la NBA. Cela passe aussi par les points de vente. La société Wengler, qui est notre partenaire à Luxembourg, fait un travail extraordinaire dans le développement, la qualité et la présentation de nos produits.

Des sols sains nous donnent des produits sains. Il est dans notre intérêt également, d’un point de vue business, de conserver leur bonne qualité.
Philippe Schaus

Philippe SchausCEOMoët Hennessy 

Comment abordez-vous la question de la préservation de l’environnement et notamment de la qualité des sols?

«Nous avons un focus particulier sur les sols. Des sols sains nous donnent des produits sains. Il est dans notre intérêt également, d’un point de vue business, de conserver leur bonne qualité. Les plus anciennes maisons de Moët Hennessy ont été créées pour certaines au 18e siècle. Leurs fondateurs les ont conservées et transmises à leurs enfants. La notion de transmission est inhérente à ce métier. Nous voulons que dans 100 ans, les consommateurs puissent toujours déguster du Dom Pérignon, du Krug… Nous voulons nous inscrire dans l’éternité. Je mets aujourd’hui en bouteille des champagnes qu’on sortira dans 30 ans, du cognac qui sera sorti dans 100 ans. Nous avons une relation au temps qui est différente d’autres métiers. Et le développement durable se pense aussi sur du long terme.

Quelles actions avez-vous mises en place?

«Nous avons commencé à travailler sur les entrants, comme les herbicides, les insecticides, que nous avons arrêtés. On s’est rendu compte qu’on avait beaucoup de questions et pas toujours de solution. Nous avons organisé le World Living Soils Forum l’an dernier. Nous avons réuni des experts, des viticulteurs, des chercheurs, des scientifiques, mais aussi nos concurrents, avec l’objectif d’être un catalyseur et d’apporter une contribution au développement des connaissances, partager des expériences et accélérer la transition.

Nous avons aussi mis en place des corridors de biodiversité dans nos vignes et replanté des haies qui sont source de biodiversité. On perd de la surface de vignes et donc en productivité, mais nous faisons des expériences. C’est une remise en question perpétuelle.

Quels seront vos défis pour cette année 2023?

«On démarre l’année avec beaucoup d’incertitudes, un contexte géopolitique très compliqué, une inflation forte et une conjoncture qui s’est ramollie. On espère échapper à la récession. À l’opposé, on a un marché chinois qui se réveille, on a des tendances qui nous sont favorables. L’enjeu sera de garder notre agilité, de ralentir et d’accélérer en même temps. Il faut être présent sur les marchés dynamiques et à la fois être prudent, baisser les coûts et ne pas investir là où le marché ralentit.»