Il y a dix ans à peine, ils ne se connaissaient pas. À présent, ils seraient éligibles au titre honorifique de meilleurs potes de l’univers. Adjugé haut la main. De cette même main, assurée, qui catapulterait un ace imparable sur balle de match à Wimbledon. Ou qui parapherait, sans jamais trembler, un contrat à plusieurs zéros. Et tout cela en un clin d’œil. Comme si, le soir de leur rencontre, ils s’étaient instantanément «flairés».
«On s’est tout de suite marré», rembobine Henri Leconte, à l’évocation de sa première poignée de paluche avec . C’était en 2016, à Paris, piscine Molitor, en marge d’un event où l’un et l’autre étaient conviés. «Henri, je vous présente Damien. Damien, je vous présente Henri.»
L’ancien tennisman, 61 ans aujourd’hui, n’en devine alors rien, , Damien Chasseur, de 18 ans son cadet, voue un culte fervent au sport. À ses vertus. Ses élans. Et aux histoires qu’il tisse, à coups de sueur. De détermination. De résilience aussi, et beaucoup.
Automatiquement, un «feeling» s’installe. «On s’est vite rendu compte que l’on partageait un certain nombre de valeurs. Le travail bien fait, le respect des gens… Damien et moi, on donne pratiquement plus de notre temps aux autres qu’à nous-mêmes», synthétise celui qui depuis plusieurs années s’est établi au Luxembourg. Et qui s’y plaît.
Le savoir-faire de «Riton»
Coup de foudre? Oui, tout à fait. Aussitôt assorti de projets communs, puisque ces deux-là ne tiennent jamais en place. C’est ce qui les fait vibrer. Leur procure, matin après matin, le carburant pour se lever. L’un et l’autre ont toujours, fichée au fond du crâne, une idée à faire prospérer. Une envie à matérialiser. Comme cette fois – et c’était la toute première qui les voyait s’«associer» – où ils mettent sur pied un tournoi mêlant pros et amateurs au golf de Preisch, de l’autre côté de la frontière française. Avant de récidiver avec un event au Tennis Club des Arquebusiers, dans la capitale. Les gosses invités pour l’occasion n’étaient que joie. «À la fin, c’est Henri et moi qui ramassions les plots sur les terrains», sourit Damien Chasseur.
Chemin faisant, Henri Leconte, panache incarné, se fait ambassadeur du groupe mondial de la tech co-dirigé, depuis le Grand-Duché, par son complice. À présent, un contrat les lie. Noir sur blanc. «On a formalisé tout ça, Henri a été nommé advisor. Il nous apporte tout son savoir-faire.» Une expérience emmagasinée depuis l’arrêt de sa carrière sur le circuit professionnel, en 1995. «On s’apporte mutuellement. De mon côté, j’apprends beaucoup aux côtés de Damien et de CBTW», glisse «Riton», l’œil aussi vif qu’à l’époque où il expédiait des revers de folie.
On s’apporte mutuellement. J’apprends beaucoup aux côtés de Damien.
L’après-carrière, voilà une autre thématique qui les réunit. Damien Chasseur, depuis longtemps, depuis toujours, se passionne pour le devenir des sportifs. Dès sa mise en orbite, en 2014, CBTW a placé «l’éducation» comme moteur de la réussite. Sous l’impulsion du groupe et d’un second acteur, l’École supérieure de commerce de Toulouse devrait intégrer, à partir de la rentrée de septembre, un module voué à la reconversion des athlètes dans son socle commun. Avant, peut-être, de voir encore plus haut. Encore plus loin. «L’ambition, c’est de rendre aux sportifs toutes les émotions qu’ils nous ont transmises.» La feuille de route est tracée.
La quête de performance est inscrite dans leurs gènes à tous les deux. C’est ainsi. Damien Chasseur, dans le business, avec une boîte d’environ 3.000 collaborateurs dégageant 300 millions d’euros de revenus, à la hype plutôt vertigineuse. Henri Leconte, armé d’un bras gauche démoniaque, en ayant atteint le cinquième rang au classement mondial, remporté une finale de Coupe Davis contre les États-Unis de Pete Sampras et Andre Agassi en 1991, et s’être hissé, trois ans plus tôt, en finale du tournoi de Roland-Garros contre le Suédois Mats Wilander.
«Mental, exigence de résultats, leadership…» Damien Chasseur cible plus d’un parallèle possible entre une vie de cador des courts de tennis et celle d’homme d’affaires dopé au succès. «Mais la remise en question est permanente», rappelle Henri Leconte.
Failles
Par séquences, le champion français a connu des failles dans son parcours. En 1988, le public parisien l’a pris en grippe pour quelques mots de traviole prononcés à l’issue de sa finale perdue à Roland-Garros. «Un électrochoc.» Il était alors mal entouré, mal conseillé. «Si j’étais resté dans cette direction, je ne serais pas celui que je suis aujourd’hui. Mais un matin tu te réveilles, et tu es différent.»
Plus tard, de graves problèmes au dos entraveront son tempérament offensif. Avant la somptueuse résurrection en finale de Coupe Davis, la Coupe du monde de ce sport, contre une équipe américaine donnée pourtant ultra-favorite. Quelques mois auparavant, Henri Leconte ne pouvait même plus poser un pied à terre sans grimacer. Face aux États-Unis, au prix de souffrances majuscules en rééducation, c’est assez simple à résumer, ce chantre du service-volée a littéralement… volé. Un point de bascule chez lui. Qui allait le faire entrer dans le cœur des fans comme dans la légende du sport français. Toujours, un chemin de vie s’accompagne de bifurcations décisives. Résilient, Henri Leconte s’en ouvre volontiers. Aux côtés de son épouse, Maya, il a publié en fin d’année dernière un livre, «Balles neuves» (éditions Marabout), dépiautant le sujet.
Je n’ai pas peur des erreurs. J’essaie. Je suis contre l’immobilisme.
Dans la trajectoire de Damien Chasseur, également, existe une date charnière. Une année qui change tout. 2010, en l’occurrence. «Une année où je plaque mon boulot [chez Altran, où il travaillait depuis 2006], où j’achète mon premier appartement, où je rencontre celle qui allait devenir mon épouse, où je monte ma boîte [Adneom, à l’époque], où je rencontre mes associés…»
Alors jeune trentenaire, il a foncé tête baissée, à l’abordage, à l’image de son jeu résolument porté sur l’offensive dès lors qu’il pose une semelle sur un terrain. Car lui aussi est tennisman. «Il préfère réussir un beau point, plutôt qu’attendre que l’adversaire le lui donne en mettant la balle dans le filet. En tennis, le style de jeu que tu adoptes reflète ta personnalité», témoigne Henri Leconte. «Dans ce sport, tu es seul contre toi, cela forge le caractère», prolonge Damien Chasseur. «Moi, je n’ai pas peur des erreurs. J’essaie. Je suis contre l’immobilisme. Je prends des décisions. Et si ça foire, ça foire.» Force est d’observer que ça n’a pas souvent «foiré», tant s’en faut.
Entre boxe et échecs
Le tennis, décrit encore Henri Leconte, «c’est tout autant un combat de boxe qu’un jeu d’échecs. Tu as ton jeu, mais il faut s’adapter à l’adversaire.» Même chose sur le marché. «Il faut un projet de jeu comme il faut un projet d’entreprise», abonde Damien Chasseur, par ailleurs fou amoureux du PSG, club dont on suppose qu’il ne les comprend pas toujours, les projets. Mais n’en rajoutons pas. Et revenons plutôt à leur(s) complicité(s).
Ce lien singulier les a conduits à produire ensemble un documentaire consacré à l’exploit en Coupe Davis. Intitulée «Sur les pas du Lyon» (la finale avait lieu à Lyon), la pépite est visible sur YouTube. Elle en dit long sur ce qui les remue tous les deux. Le goût de l’aventure, de l’épopée. Du collectif. Régulièrement, ils tapent la balle l’un contre l’autre. S’offrent une virée à Reims pour une visite au débotté des caves de champagne Laurent Perrier, dont Henri Leconte est l’un des emblèmes. Puis filent en vacances, en famille. Royan et la côte Atlantique ont leur préférence. Là-bas existe un chouette club de tennis dont ils rêveraient de prendre un jour la direction. Histoire de continuer ensemble. Toujours. En jolie paire de double.
Demain (5/5). Tun Di Bari (Dussmann): «Le foot et l’entreprise, c’est une famille»