Heureux? «Très heureux même!» Retrouver dans ses bureaux au lendemain d’une qualification du PSG en Ligue des champions de football, c’est l’assurance d’une bonne humeur contagieuse. Fou de sport, le cofondateur et partner du groupe international CBTW (Collaboration Betters the World) tient d’ailleurs un bon petit niveau en tennis, sa discipline de prédilection. «Sur un court, si tu veux t’en sortir, tu ne peux pas te contenter de constater les problèmes. Tu dois t’adapter. C’est une vraie école», image le dirigeant de 44 ans à l’agenda branché sur une pile électrique, mais qui trouve quand même le temps de se retourner, en toute décontraction, sur une carrière, entre tech et autres aspirations, fidèle à son tempérament: c’est-à-dire pleine d’énergie de surprises, finalement.
Votre premier contact avec le monde du travail? Le premier souvenir? Quel était-il?
Damien Chasseur. – «La boucherie de mes grands-parents, à Hettange-Grande. J’avais moins de 10 ans. Je servais au comptoir, je faisais la caisse, j’accompagnais mon grand-père en tournée dans les villages avec sa camionnette, en klaxonnant pour signaler notre arrivée. Cette boucherie, c’est une vraie madeleine de Proust. Ma grand-mère, elle, tenait la boutique avec une gouaille pas croyable. Mon grand-père s’endormait à 20h dans le canapé, il se levait le lendemain à 3h40 sans l’aide du réveil… J’ai vu ce que cela voulait dire de bosser dur. Ne venant pas d’une famille de businessmen, je crois qu’implicitement c’est ce qui m’a donné le goût du commerce.
Et la tech dans tout ça? Comment est-elle entrée dans votre vie?
«Par hasard. En sortant de l’école (l’ICN Business School), j’ai été recruté dans une entreprise tech (AFD technologies, en 2006). Je ne le regrette pas. C’est un univers hyper vivant, challengeant, compétitif. Un univers qui colle à ma personnalité. Et puis, que l’on soit pour ou contre, comment faire sans? Aujourd’hui, même si tu es un peu old school, tu te rends vite compte des services rendus. La vie est clairement plus facile avec la tech que sans elle.
Vous étiez déjà un mordu de gadgets et d’informatique, adolescent?
«Non, pas vraiment. De toute façon, à l’époque, la tech c’était une console de jeux ou un Amstrad CPC 6128. Je suivais le mouvement, comme tout le monde. Mais je ne vais pour vous dire que je codais dans mon garage. Mon environnement familial était plus issu du milieu médical que business ou de la tech.
Ce qui compte, c’est de savoir si on est bon dans ce que l’on fait. La réussite repose là-dessus.
Avec 20 ans de carrière derrière vous, avez-vous déjà eu envie de tout plaquer?
«Non, jamais. On a eu des moments difficiles, évidemment. Mais je suis pragmatique et assez lucide: là où je suis, j’ai l’impression d’être à ma place. Ce qui compte, c’est de savoir si on est bon dans ce que l’on fait. La réussite repose là-dessus. Et moi, j’adore ce que je fais. Il y a l’humain, l’innovation, l’entrepreneuriat. Pourquoi tout plaquer?
Une erreur que vous aimeriez effacer?
«Des erreurs, il y en a eu bien sûr. Des moments où tu peux vite te laisser griser par le succès. Les coups durs, les situations de marché plus difficiles, cela te remet les pieds sur terre. Avec mes associés on assume nos erreurs et on essaie d’apprendre. C’est parfois dur de le faire, mais on tâche de les reconnaître afin d’éviter de les répéter. Avec le temps et l’expérience, elles ont tendance à s’espacer. Même s’il en existera toujours. Dans mon management, j’insiste auprès des équipes sur le fait que c’est humain de commettre une erreur, mais aussi sur le fait que je préfère le savoir tout de suite.
Quel tournant, quel moment-clé identifiez-vous dans votre parcours?
«L’année 2010. Une année charnière. Rencontre avec celle qui est devenue mon épouse, premier achat immobilier, première création de société, rencontre avec mes associés (Jeremy Jacquet et Yann Louise). C’est là que tout a commencé. Ce n’était pas prémédité, mais je crois que les choses sont écrites. Avec le recul, tout convergeait vers ça. Ne serait-ce qu’au plan professionnel… J’avais des aspirations entrepreneuriales mais dans mon job de l’époque, cela n’allait pas le faire. Donc, forcément, il faut provoquer certaines choses.
Dans les moments de tempête, où puisez-vous votre force, l’énergie pour rebondir?
«Auprès de mes enfants. Ils ont six et neuf ans, c’est un âge génial, difficile de ne pas kiffer. Sur un coup de tête, je peux quitter le bureau et aller les chercher à l’école. Parce que cela me fait plaisir. Ma femme, qui a toujours été là, a une profession libérale, a tout fait pour me permettre de faire ce que j’ai à faire, m’a toujours: ‘Vas-y!’. Je suis très entouré, c’est une vraie chance. Dans ma famille, on est très uni. C’est une petite famille, mais on a plaisir à se voir, à se dire les choses. Je travaille avec mon frère, je vois très souvent mes parents. Il y a les amis. Pendant les vacances, on reste très souvent à Luxembourg pour profiter de moments avec eux. Et puis il y a le sport. Mais pas le sport pour ‘s’oxygéner’. J’ai besoin de me mesurer, de jouer contre quelqu’un, qu’il y ait un peu de compétition. C’est ça qui me vide la tête.
Cette culture du «on se dit les choses», que vous venez d’évoquer, vous la transposez dans votre vie pro?
«C’est devenu une valeur centrale dans le groupe. C’est dans notre ADN. Positive thinking, c’est un mindset basé sur la transparence, orienté solutions. Pas de langue de bois. Alors oui, parfois, je suis un peu trop frontal. Je ne prends pas toujours de gants. Mais je suis sincère. Je suis hyper bienveillant sur le fond, même si la forme peut heurter. Et ça, j’essaie de le corriger, parce que ça me touche quand quelqu’un a mal pris quelque chose.
Sans mes deux associés, je ne serai pas là où je suis. Notre entente, elle est rare.
Une galère transformée en opportunité?
«Après 2021 et 2022 où c’était l’euphorie totale, le contexte international a fait qu’en 2024 on s’est retrouvé dans le dur. Mais c’est un bon exercice d’avoir à se remettre en cause. À l’arrivée, pas de grosse galère, non. On a des problèmes tous les jours, mais on les traite. Et surtout, on les partage. J’implique beaucoup mes équipes. Mes associés et moi, on se parle dix fois par jour. Les idées, les vraies bonnes idées, elles émergent souvent des échanges, pas de la tête d’un seul mec… sauf peut-être quand on s’appelle Bill Gates!
Votre plus grande fierté?
«Réussir à tout concilier. Le pro, le perso, la santé, l’équilibre. Et ne pas avoir eu besoin de tout sacrifier pour réussir. Ce n’est pas moi tout seul, évidemment. C’est grâce au travail fourni avec mes associés, c’est grâce à ma femme, à l’éducation que m’ont donnée mes parents… et à quelques choix, à des moments clés.
Le moment où vous vous êtes dit: «Ça y est, j’ai réussi»?
«C’est difficile à définir… Si ‘réussir’, c’est avoir beaucoup d’argent, non, pas encore – même si je vis bien. Mais si c’est trouver un équilibre, construire quelque chose de durable, alors oui. En vieillissant, on prend de la maturité, les objectifs ne sont pas les mêmes qu’aux débuts.
Une rencontre déterminante?
«Mes deux associés. Sans eux, je ne serai pas là où je suis. Notre entente, elle est rare. Je me souviendrai toujours de ce client – un DSI Europe – qui, un jour, nous a dit: ‘Franchement, les gars, je n’ai jamais vu une entente telle que la vôtre…’ On se complète, on se comprend, même quand on n’est pas d’accord. Et les gens le sentent. L’esprit d’équipe, la collaboration… Ça se ressent dans toute la boîte.
En 15 ans, combien de fois votre amitié a-t-elle menacé d’exploser? Je ne parle pas de votre association, bel et bien de votre amitié…
«Jamais. Vraiment, jamais. Mais c’est vrai aussi pour notre association. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de temps à autre un petit texto d’excuse: ‘Excuse-moi, j’ai dit les choses de manière trop brutale…’ Mais spontanément, naturellement, on a chacun trouvé sa place. On sait exactement ce que chacun de nous apporte aux deux autres. Quand je vois comment les choses se passent parfois ailleurs, je me dis que ce n’est pas la norme.
Un conseil que l’on vous a donné et qui vous a marqué?
«Que le travail paie. C’est bête à dire, mais c’est vrai. À chaque fois que tu bosses, les résultats suivent. Je ne suis pas un génie, je n’ai pas eu l’idée du siècle. Mais j’ai bossé. Et j’ai toujours essayé de rester droit. Je suis assez clivant, on m’aime ou on ne m’aime pas, mais on ne peut pas dire que je trimballe des casseroles ou des rancœurs derrière moi. Et ça, c’est important pour moi.
Quels sont les valeurs et grands principes qui vous servent de boussole au quotidien?
«Le travail. La transparence. Les bonnes valeurs, l’éducation. Le respect de l’autre aussi. L’amitié.
J ’ aimerais écrire des spectacles d’humour, je suis un DJ refoulé… des trucs pour le plaisir, pas pour en vivre.
Avez-vous déjà pris des décisions sur un coup de tête?
«Quasi tout le temps! Je marche beaucoup au feeling. Si j’ai envie, j’y vais. C’est le cas avec le business club (le B17, dont il l’un des trois cofondateurs) ou avec la radio (Crooner Radio, son projet d’être ) par exemple. Je n’ai pas eu besoin de six mois pour me décider. À partir du moment où j’ai pris le temps de la réflexion, je n’ai pas peur du risque.
Si vous pouviez souffler un mot au «vous» d’il y a 20 ans?
«Ne stresse pas si tu ne sais pas quoi faire. C’est normal. Je m’amuse souvent à dire que j’ai bac +10, cela signifie que j’ai mis 10 ans avant de trouver ma voie après le bac. Saisis les opportunités quand elles se présentent. Et sois gentil. Vraiment. Quand on n’est pas trop bête et qu’on est gentil avec les autres, ça ouvre plus de portes qu’on ne le croit.
Et lui, ce «vous» d’il y a 20 ans, que penserait-il de l’homme que vous êtes devenu?
«J’espère qu’il se dirait: ‘OK, il a réussi à rester fidèle à lui-même, à continuer à rigoler, à prendre du plaisir.’ Parce qu’en vrai, le kif, c’est essentiel. Même sur un terrain de tennis, je tente un ‘tweener’ (un coup frappé entre les jambes, dos au filet et à l’adversaire, NDLR) sur balle de break, juste parce que j’en ai envie. Faut pas se brider.
Un moment à revivre en boucle?
«Certains séminaires de team building, franchement. Quand l’esprit d’équipe est là, que tout le monde est aligné, que l’énergie est bonne… c’est exceptionnel. On rêve tous de recréer ça.
Si votre carrière était un film?
«‘Mes meilleurs copains’ (1989, Jean-Marie Poiré). Pas forcément pour les acteurs, mais pour le titre. Pour l’esprit de bande. Pour le week-end entre potes.
Le prochain rêve?
«J’en ai plein. J’aimerais écrire des spectacles d’humour, je suis un DJ refoulé… des trucs pour le plaisir, pas pour en vivre. Juste parce que ça me fait marrer.»