connaît bien le Forum financier de l’Efpa. En ouverture de la conférence, le directeur général de la CSSF a rappelé qu’il avait assisté à la première édition, il y a plus de dix ans. «J’ai l’avantage de ne pas avoir reçu de thème, je peux donc parler de ce que je veux. Et ce que je voulais vous donner, c’est – tout d’abord – un petit aperçu des priorités de 2025 pour la CSSF», a-t-il déclaré le 13 mars, mettant l’accent sur les secteurs bancaires et des fonds.
Les priorités de la Commission de surveillance du secteur financier du Luxembourg s’alignent en grande partie sur celles de la Banque centrale européenne, de l’Autorité bancaire européenne et de l’Autorité européenne des valeurs mobilières et des marchés.
Une vigilance accrue sur le risque de crédit
«Du côté bancaire, la première priorité—évidemment—est le risque de crédit. Vous avez peut-être entendu parler d’une légère surchauffe et d’un nombre important de projets en construction au Luxembourg. Nous suivons donc de très près l’évolution des prêts hypothécaires, mais encore plus important, le crédit aux entreprises, le secteur de la construction et ce que nous appelons la promotion ou le développement au Luxembourg.»
Claude Marx se veut rassurant: «Je peux vous assurer qu’il n’y a pas de risque systémique, mais néanmoins, les prêts non productifs – qui sont un indicateur que nous suivons de très près – sont plus élevés qu’ils ne l’étaient auparavant.» Il met toutefois en garde contre un possible ralentissement à venir. «Lorsque la construction de nouvelles maisons et de nouveaux appartements s’est arrêtée, le carnet de commandes de tous ceux qui ont participé à la construction était encore plein, et ce pour encore deux ou trois ans. Mais cette situation est en train de se terminer. Le gouvernement a mis en place un certain nombre de mesures, et nous verrons comment cela se passe.»
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Le deuxième axe de vigilance porte sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) ainsi que les cyber-risques.
«Vous avez entendu parler de Dora», a déclaré Claude Marx, en référence au Digital operational resilience act (Dora), entré en vigueur le 17 janvier 2025. Cette réglementation vise à renforcer la résilience opérationnelle numérique du secteur financier en s’appuyant sur cinq piliers: la gestion des risques liés aux TIC, la gestion et la classification des incidents, les tests de résilience opérationnelle, les risques liés aux tiers et le partage d’informations.
«Je pense qu’il est très important de garder cela à l’esprit, en particulier compte tenu du contexte international actuel», a-t-il insisté.
Un secteur financier qui sous-exploite la technologie
Au-delà des enjeux liés à la cybersécurité, la transformation numérique reste un défi de taille. «Au Luxembourg, nous avons un énorme secteur financier et un excellent environnement pour les startups», a poursuivi Claude Marx. «Mais le secteur sous-utilise encore les possibilités offertes par la technologie.»
Selon lui, cette situation entraîne plusieurs inconvénients en termes de revenus, d’efficacité et de compétitivité.
«En fin de compte, les banquiers se concentreront toujours sur leur activité principale, à savoir la gestion de l’argent des clients et l’octroi de prêts. Mais tout le reste sera mutualisé, externalisé, etc. Et je pense que les fintechs ont un grand rôle à jouer.»
Pour Claude Marx, de nombreuses solutions technologiques restent inexploitées, ce qui est surprenant au vu des opportunités disponibles. «Nous n’avons pas le choix pour l’avenir. Nous devons réfléchir à la manière de mieux utiliser ce qui existe. L’intelligence artificielle, par exemple, peut rendre les contrôles de conformité plus efficaces.»
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Risque opérationnel: un enjeu clé pour la stabilité du secteur financier
«La troisième priorité est le risque opérationnel», a affirmé Claude Marx, soulignant les nombreux défis qui y sont associés.
«Il s’agit – bien sûr – de la conformité aux nouvelles réglementations, de la transition vers Bâle III [normes et minima internationaux pour les exigences de fonds propres des banques, ndlr] et des enjeux liés à l’ESG», a-t-il précisé.
L’objectif reste clair: soutenir la stabilité et la résilience du système financier.
«Nous avons bien d’autres priorités, mais pour le secteur bancaire, je dirais que ce sont les trois principales.»
Fonds d’investissement: une vigilance accrue sur la liquidité et l’ESG
Dans le secteur des fonds, le risque de liquidité demeure une priorité essentielle. «C’est un sujet qui figure toujours en bonne place, non seulement dans notre agenda, mais aussi dans celui de l’Europe et, au-delà, dans celui de l’Iosco et du Conseil de stabilité financière au niveau du G7», a souligné Claude Marx.
L’ESG et les risques liés à la durabilité figurent également parmi les préoccupations majeures de la CSSF. «Nous suivrons et finaliserons les risques et les informations externes communs en matière de développement durable», a-t-il poursuivi. «Nous examinons le risque d’écoblanchiment ainsi que la qualité des données relatives au développement durable. Les données – dans ce domaine comme dans tous les autres – sont essentielles. Et encore une fois, c’est un domaine où il reste beaucoup à améliorer. Une bonne gestion des données sera l’avenir.»
Outre ces éléments, la CSSF surveille également les risques liés à l’évaluation des actifs et les risques informatiques, a ajouté Claude Marx.
Un engagement ESG malgré les contestations
«Comme le montrent ces priorités clés, tant dans le secteur bancaire que dans celui des fonds, l’UE et le Luxembourg restent attachés à l’agenda ESG», a-t-il affirmé.
Et ce, malgré les critiques. «Certaines voix – que je ne nommerai pas – affirment que le changement climatique n’est pas réel et que tout cela est moins prioritaire.» Il a également évoqué l’affaiblissement de la Net-Zero Alliance, marqué par le retrait de plusieurs grandes institutions internationales.
La Net-Zero Banking Alliance regroupe des banques du monde entier engagées à aligner leurs activités sur l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Mais ces dernières semaines, plusieurs grandes institutions – Bank of America, Citigroup, Goldman Sachs, JPMorgan Chase, Morgan Stanley et Wells Fargo – ont quitté l’alliance, marquant un net recul dans l’engagement du secteur financier en matière de transition écologique.
Malgré ces désaffections, Claude Marx a insisté sur la nécessité de rester concentré sur l’ESG, s’appuyant sur les conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). «Ce groupe d’experts réunit des scientifiques de 195 pays, et je crois ce qu’ils disent – et ce qu’ils disent depuis de nombreuses années. Le changement climatique a un impact réel sur les populations», a-t-il affirmé.
Il a aussi rappelé que 2024 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée, un signe indéniable du dérèglement climatique. «Je pense que cela devrait être l’ultime signal d’alarme nous invitant à prendre ce problème au sérieux.»
Géopolitique et sanctions: un impact direct sur la place financière
Puis le directeur général de la CSSF a changé de ton, abordant des sujets d’actualité et partageant des réflexions plus personnelles, qui ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’autorité de régulation. «En tant que régulateur, nous suivons évidemment de près ce qui se passe dans le monde. Nous avons une guerre qui se déroule à deux heures de vol d’ici», a-t-il rappelé, en référence à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui entre dans sa troisième année.
«Il faut regarder ce qui se passe ici, mais aussi se demander: quel est l’impact sur la place financière?» Ces derniers jours, les sanctions américaines sont sous le feu des projecteurs. Depuis 2017, la CSSF exige des institutions financières luxembourgeoises qu’elles se conforment aux sanctions américaines, a souligné Claude Marx.
«C’est une exigence importante en raison des paiements en dollars américains. Ne pas respecter ces sanctions peut entraîner une exclusion du système bancaire américain et du système de paiement en dollars, ce qui équivaut à une peine de mort dans le secteur de la finance.» Il a insisté sur la nécessité pour les acteurs financiers de vérifier à nouveau leur conformité, afin d’éviter tout risque majeur.
Je pense que nous devrions nous méfier du fait que nous allons probablement assister à davantage de cyberattaques
Autre sujet de préoccupation: le cyberrisque. «Dans l’UE, nous parlons beaucoup de défense et avons en tête l’image de chars russes défilant sur le Boulevard Royal. C’est évidemment une menace qui devrait nous inquiéter», a souligné Claude Marx.
La semaine dernière, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté le plan destiné à renforcer la défense du continent. Approuvé par les chefs d’État et de gouvernement le 6 mars, ce plan ne concerne toutefois que la sécurité physique. «Je pense que nous devrions aussi nous méfier des cyberattaques, qui risquent de se multiplier.»
«Il y a déjà eu un certain nombre de cyberattaques, certaines commanditées par des États. Nous avons aussi assisté à des actes de sabotage, également soutenus par des gouvernements. Mais nous n’en sommes malheureusement qu’au début.» Claude Marx estime qu’il est impératif d’investir, non seulement pour éviter une menace militaire directe, mais aussi pour protéger les infrastructures numériques, tant au niveau européen, que luxembourgeois et pour la place financière.
Le règlement Dora joue ici un rôle clé en imposant une meilleure gestion des risques liés aux TIC, des tests de résilience opérationnelle numérique et un renforcement du partage d’informations.
L’intelligence artificielle en soutien de la cybersécurité
«La technologie est un atout», a poursuivi Claude Marx. L’IA générative pourrait permettre de mieux anticiper et contrer les cyberattaques. Il a également mis en avant le rôle de la Luxembourg House of Financial Technology (Lhoft), qui voit régulièrement émerger des entreprises proposant des solutions innovantes pour renforcer la cybersécurité.
Claude Marx a abordé l’union des marchés de capitaux, une initiative lancée en 2014 par Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission européenne. Ce projet vise à supprimer les obstacles aux investissements transfrontaliers et à permettre aux entreprises et aux projets d’infrastructure d’accéder plus facilement aux financements nécessaires. «Je dois dire que la Commission européenne et l’Union européenne dans son ensemble ont échoué pendant de nombreuses années sur cet agenda, et il ne s’est pas passé grand-chose», a-t-il admis. Aujourd’hui, cette initiative refait surface sous un nouveau nom: l’union de l’épargne et de l’investissement.
Un impératif pour financer les grandes transitions
«Nous n’avons plus vraiment le choix. Il faut que cette union fonctionne», a insisté Claude Marx. «La raison en est très simple : nous avons déjà deux transitions très coûteuses à financer: la transition numérique et la transition verte.» Mais une troisième priorité budgétaire majeure s’ajoute désormais à l’équation: la défense.
Le plan européen à 800 milliards d’euros «est très bon pour l’économie européenne», a estimé Marx. «C’est bon pour l’industrie, et bien sûr, c’est bon pour notre défense. J’espère qu’une partie de ces fonds sera allouée à la cyberdéfense.»
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Financer l’avenir: le rôle clé des marchés de capitaux et de l’épargne des ménages
Pour financer les grandes transitions – numérique, verte et sécuritaire –, des investissements massifs sont nécessaires. «Le seul moyen d’y parvenir, c’est le financement privé. Et la seule façon d’avoir un financement privé efficace, c’est de disposer de marchés de capitaux performants», a insisté Claude Marx.
Pour réussir l’union des marchés de capitaux, plusieurs leviers sont essentiels:
– L’harmonisation
– La titrisation
– La surveillance commune
– L’investissement de détail
Ce dernier point est le plus important, selon M. Marx.
Les ménages européens détiennent environ 35.000 milliards d’euros d’épargne, dont 34% sont placés en dépôts bancaires ou en liquidités, un taux bien plus élevé qu’aux États-Unis (14%).
«Imaginez que nous puissions injecter 10% de plus dans l’économie réelle. Cela représenterait 3.500 milliards d’euros, soit précisément l’argent nécessaire pour financer la transition verte, la transition numérique et la défense.»
Claude Marx a mis en avant deux pistes pour stimuler l’union de l’épargne et de l’investissement. Encourager les ménages à investir dans l’économie réelle de l’UE, grâce à des produits d’épargne simples et fiscalement avantageux. Il a cité l’exemple d’un produit luxembourgeois existant il y a une trentaine d’années, qui pourrait être réintroduit sous une forme modernisée. Réformer les systèmes de retraite, un sujet souvent évité mais crucial. «Tous les pays ont un problème de pension. Personne ne veut en parler, mais le problème existe.»
Selon lui, il est impératif de développer des systèmes de retraite par capitalisation obligatoires, en renforçant le deuxième et le troisième pilier des retraites.
Il a notamment cité, où une partie du salaire des citoyens est obligatoirement investie dans des fonds d’investissement en complément de la pension publique, un mécanisme déjà évoqué par Bernard Delbecque, directeur principal de l’économie et de la recherche à l’European Fund and Asset Management Association, lors d’un webinaire l’an dernier.
Claude Marx a également abordé un enjeu crucial pour le secteur financier: la simplification réglementaire. «L’Union européenne s’est réveillée en sursaut, et la Commission a enfin reconnu que nous ne pouvons pas continuer à multiplier les réglementations, couche après couche», a-t-il déclaré.
Un cadre plus efficace pour tous
«Cela ne fonctionne pas. Ni pour le marché, ni pour le régulateur, ni pour personne. Nous devons donc simplifier.» Mais M. Marx a tenu à nuancer: simplifier ne signifie pas déréglementer. «Nous devons nous débarrasser des règles qui ne sont pas adaptées à leur objectif, qui ne permettent pas d’atteindre ce pour quoi elles ont été conçues.»
La nécessité de maintenir un cadre réglementaire robuste reste évidente, au vu des récentes faillites bancaires. Il y a tout juste deux ans, en mars 2023, , dont la Silicon Valley Bank, alors 16e banque des États-Unis. Quelques semaines plus tard, c’est le Crédit Suisse, , qui a connu le même sort.
Autrefois, de telles faillites auraient déclenché une crise financière mondiale, a rappelé Claude Marx. «Mais cela ne s’est pas produit grâce aux exigences en matière de capital imposées par Bâle III.» Une preuve, selon lui, que réglementer intelligemment reste essentiel pour la stabilité du système financier.
Importance de l'éducation financière
Le dernier thème abordé par Claude Marx était l’éducation financière, un sujet qui lui tient particulièrement à cœur. Elle joue un rôle essentiel non seulement pour prévenir le surendettement, mais aussi pour lutter contre la fraude. «Ce que nous avons observé ces cinq à sept dernières années, c’est une explosion des fraudes diffusées via les réseaux sociaux comme TikTok, Instagram et YouTube», a souligné Claude Marx.
«Il est crucial d’éduquer, surtout les jeunes, qui peuvent être tentés par ces canaux promettant un enrichissement rapide.» Mais l’éducation financière ne se limite pas à la protection contre les arnaques. Elle est aussi une condition indispensable pour le succès de l’union de l’épargne et de l’investissement, un enjeu clé pour financer la transition verte, la transformation numérique et la défense.
«Si les gens ne comprennent pas ce qu’est une action, une obligation ou un fonds d’investissement, comment peut-on s’attendre à ce qu’ils veuillent investir leur argent dans l’économie réelle?» Pour Claude Marx, un minimum d’éducation financière est donc indispensable pour stimuler l’investissement privé et favoriser une gestion plus éclairée de l’épargne des ménages.
Cet article a été rédigé initialement en anglais, traduit et édité pour Paperjam en français.