Interdisciplinary Space Master  – En février dernier, Étienne Schneider, Stéphane Pallage et Claude Meisch ont présenté le nouveau master. (Photo: SIP)

Interdisciplinary Space Master  – En février dernier, Étienne Schneider, Stéphane Pallage et Claude Meisch ont présenté le nouveau master. (Photo: SIP)

L’évolution technologique transforme les métiers et les compétences recherchées sur le marché du travail. L’État, les entreprises et les employés doivent préparer les travailleurs à un monde digitalisé.

«L’automatisation transformera de nombreux emplois et en fera disparaître de nombreux autres», estime l’OCDE dans sa Stratégie 2019 sur les compétences. «L’incertitude règne cependant quant aux répercussions de la technologie sur les besoins en emploi de demain.»

Cependant, «dans tous les cas, les compétences demandées par les nouveaux emplois sont différentes de celles requises par les emplois en passe de disparaître». L’impact des technologies et les progrès de l’intelligence artificielle et de la robotique sur les modes de travail ne sont pas encore connus dans leur ensemble mais s’avèrent considérables.

Pour certains travailleurs, les plus qualifiés, cela permettra de nouvelles possibilités, tandis que d’autres se verront précarisés. Afin de pallier ce phénomène et permettre une meilleure capacité d’adaptation des individus, ceux-ci doivent acquérir la bonne combinaison de compétences.

«Le challenge est grand pour l’enseignement», estime Laurent Probst, partner, Government Digital Transformation & In­no­vation leader chez PwC Luxem­bourg et coauteur du livre «Upskill» avec partner, People & Organisation HR Technology leader, également chez PwC Luxembourg.

Une forte demande digitale

L’OCDE précise l’étendue de la problématique: 14% des emplois seront automatisés et 32% se verront profondément transformés. Elle note aussi que «l’écart entre ce que demande un emploi et ce que peut faire une machine est en train de se résorber».

La part du temps de travail réalisée par des machines croîtra de 10 à 20% entre 2018 et 2022, évalue quant à lui le Forum économique mondial dans son «». Le temps de travail pour la recherche d’informations et de données effectuée uniquement par des machines passera ainsi de 47 à 62%.

40% des emplois créés actuellement ont une forte demande digitale.

Christian ScharffpartnerPwC Luxembourg

«40% des emplois créés actuellement ont une forte demande digitale, rappelle Christian Scharff. Or, 60% des adultes n’ont pas de bases en ICT ou en informatique. L’équation est donc compliquée.» Cela explique les résultats luxembourgeois de la «» réalisée par PwC: 47% des CEO luxembourgeois interrogés sont inquiets de la disponibilité des compétences-clés et de la rapidité des changements technologiques, leurs deuxième et troisième sujets d’inquiétude devant la surcharge réglementaire. Ceux-ci jugent en outre que la difficulté à embaucher des travailleurs est à 71% due à un manque de travailleurs qualifiés.

Moderniser l’enseignement

«Un décalage entre le monde professionnel et l’enseignement existe sur certains aspects, reconnaît le ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, . Notamment au niveau de l’informatique et de la digitalisation. C’est un grand défi qui concerne tous les pays développés. Nous constatons qu’en moyenne, l’intérêt des jeunes s’est plutôt éloigné de ces branches-là. Un des objectifs de ces cinq prochaines années est de moderniser l’enseignement, de le rendre plus proche de la réalité de l’économie. Ainsi, nous encourageons les jeunes très tôt, dès l’école fondamentale, en tentant de leur transmettre la logique d’un algorithme, de les intéresser aux branches informatique et technologique, ainsi qu’aux sciences naturelles, parce qu’il y a un grand besoin dans ces domaines. Une option est d’enseigner davantage de coding ainsi que d’autres aspects de la digitalisation au lycée. Ce sont des matières étudiées dans les formations spécialisées, mais je crois que cela doit devenir une compétence de base pour toutes les autres professions.»

Un avocat ou le leader d’une entreprise ne peuvent pas ignorer le fonctionnement de la blockchain ou de l’IA.

Laurent ProbstpartnerPwC Luxembourg

Selon Laurent Probst, il existe quatre compétences technologiques de base à acquérir: «La blockchain, l’IA, la cybersécurité et les computer sciences. Un avocat ou le leader d’une entreprise ne peuvent pas ignorer le fonctionnement de la blockchain ou de l’IA. Mais tout le monde doit comprendre ces compétences, selon plusieurs niveaux de sophistication différents.»

Acquérir des compétences transversales

Au-delà de l’acquisition de notions technologiques de base, la grande difficulté reste l’anticipation des compétences requises à l’avenir. «On prépare des jeunes pour des métiers qui n’existent pas encore, explique Claude Meisch. Pour cela, il faut se distancier de l’idée de former un étudiant uniquement pour l’une ou l’autre mission au sein d’une entreprise. Il ne sera plus dans la situation où il trouvera un emploi après sa sortie de l’école, qu’il gardera pendant toute sa carrière professionnelle, même s’il change d’entreprise. À l’avenir, ce sera surtout le travail qui va fortement changer. Il faut donc transmettre aux jeunes, en plus des compétences concrètes pour qu’ils soient employables à leur sortie de l’école, des compétences transversales, des compétences sociales, comme celles de pouvoir gérer un projet, s’adapter, se remettre en question, travailler en équipe.»

Il faut envisager le système éducatif de manière plus large.

Claude Meischministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur

Un bagage tout aussi important que des compétences dans une matière spécifique. D’autant plus que le savoir se trouve abondamment sur internet. Encore faut-il savoir en faire quelque chose, le vérifier et l’intégrer dans un projet commun et collaboratif. «Cela, il faut l’apprendre, car internet ne peut pas nous indiquer comment le faire, ajoute Claude Meisch. Ce sont des compétences d’avenir absolument nécessaires pour trouver sa place dans une société qui est en plein changement. Pour cela, il faut envisager le système éducatif de manière plus large. Ainsi, les activités en dehors des heures de classe, l’éducation non formelle et informelle, ont aussi leur valeur. Dans ce cadre, les compétences transversales sont très importantes.»

On va davantage vers des ensembles de compétences que vers des métiers. Il faudra avoir certaines compétences techniques, liées au métier, et des compétences de base dans les domaines digitaux et technologiques.

Laurent ProbstpartnerPwC Luxembourg

«Ce qu’il faut surtout, c’est apprendre à apprendre, c’est aller vers une économie de l’apprentissage, détaille Laurent Probst. Tout au long de la carrière, il faudra effectuer un apprentissage constant, afin de rester en phase avec l’économie et la société. On va davantage vers des ensembles de compétences que vers des métiers. Il faudra avoir certaines compétences techniques, liées au métier, et des compétences de base dans les domaines digitaux et technologiques. Mais à cela devront s’ajouter des compétences transversales, telles que l’empathie, la résolution de problèmes, l’esprit critique, le travail en équipe, la communication, l’innovation et la capacité d’apprentissage, qui permettront à l’individu de s’adapter à un monde en perpétuel changement.»

L’appren­tis­sage des adultes revêt une importance cruciale.

OCDE

Ce qui correspond au top 3 des compétences qui augmen­teront d’ici 2022 selon le Forum éco­nomique mondial: la pensée analytique et l’innovation; le savoir-apprendre et l’apprentissage; la créativité, l’originalité et l’initiative. Le rapport de l’OCDE ne dit pas autre chose: «L’édu­cation a jusqu’à présent consisté en une période d’acquisition de compétences et de spécialisation pendant l’enfance et la jeunesse. Après cette période, chacun améliorait marginalement ses compétences dans le milieu professionnel. Ce modèle est de moins en moins viable dans un monde de mutations technologiques, économiques et sociétales rapi­des, exigeant des individus qu’ils apprennent à apprendre et qu’ils s’adaptent à un paysage en évolution constante. L’appren­tis­sage des adultes revêt une importance cruciale.»

Priorité à l’upskilling

Une des difficultés majeures se situe justement au niveau de la formation des adultes, estime Christian Scharff: «Il y a cinq jours de formation par an au Luxem­bourg, dont quatre dits 'de confort', à savoir apprendre à faire mieux ce que l’on fait déjà, et seulement un jour dédié à l’apprentissage de connaissances nouvelles. Il n’y a donc pas de formation effective pour des compétences nouvelles. Pourtant, en Allemagne, un salarié qui effectue un upskilling a 40% de chances en moins de se voir exclus car on évite de se faire remplacer par la machine.»

Le temps de la formation a lui aussi été impacté par le rythme des mutations technologiques. «Désor­mais, il faut compresser le temps de formation: dans 90% des industries, c’est six mois voire une année maximum. Et dans la majorité des cas, il s’agit d’une formation d’un à trois mois. Les bootcamp en sont un exemple, avec des formations intenses de trois mois à temps plein, huit heures par jour.»

L’absence de motivation est particulièrement prononcée chez les travailleurs peu qualifiés.

OCDE

Encore faut-il avoir la volonté de se former: dans les pays de l’OCDE, 48% des adultes ne suivent pas et ne souhaitent pas suivre de formation pour adultes au cours d’une année donnée. Il faut «à tout prix trouver des moyens efficaces de motiver ce public», rappelle l’OCDE, d’autant que «l’absence de motivation est particulièrement prononcée chez les travailleurs peu qualifiés».

Un autre frein se trouve au niveau du budget des entreprises, souvent trop limité pour permettre des formations conséquentes. «L’État doit s’impliquer dans cette transformation, explique Christian Scharff. C’est le cas de l’Inde ou de la Nor­vège, qui ont adopté des politiques volontaristes sur le sujet, mais aussi de Singapour, qui donne 500 dollars par an aux salariés pour leur permettre de se former. Le Luxembourg est d’ailleurs dans le peloton de tête avec l’initiative Digital Skills Bridge.»

C’est l’ensemble des acteurs et de l’écosystème qui doit évoluer: «Dans un monde de mutations rapides et d’incertitudes, estime l’OCDE, gouvernements, citoyens, entreprises et syndicats devront tous assumer une plus grande part de responsabilité pour assurer l’acquisition et le développement de compétences tout au long de la vie.»