Autrefois, les automobilistes qui traînaient dans le quartier de la gare étaient trop concentrés sur les dames de petite vertu auxquelles ils allaient lâcher quelques dizaines d’euros, pour remarquer une pyramide en verre futuriste.
Aujourd’hui, dans un quartier en pleins travaux, le bâtiment coincé entre l’Office des publications de l’Union européenne et l’European Fund Administration passe encore plus inaperçu. Le Centre des technologies de l’information de l’État (CTIE) assure pourtant un rôle essentiel pour gagner les guerres modernes, la continuité technologique de l’État, quelles que soient les menaces.
«La crise nous a frappés, comme tout le monde!», explique son directeur, Patrick Houtsch, confiné chez lui, lors d’une vidéoconférence. «Il nous a fallu trois jours pour avoir vraiment tout le monde à domicile, prêt à travailler. L’engagement des équipes a été énorme. Elles ont travaillé 24h/24 et 7 jours sur 7 pour faire face à la situation.»
Au moment où le virus se répand comme une invisible traînée de poudre, les ministères et les principales administrations comprennent qu’ils vont devoir passer en «remote working». Travailler à distance. «Il y a eu une forte demande de tout ce qui est matériel! Nous avons d’abord fourni du matériel configuré, des ordinateurs, des imprimantes, de l’équipement pour les réseaux aux quatre centres de soins avancés pour qu’ils puissent travailler», explique le successeur de Gilles Feith, devenu directeur de cabinet du ministre de la Défense.
700 ordinateurs portables livrés en quelques jours
Heureusement, la discussion sur le télétravail est dans l’air depuis des années, et le CTIE a encore un stock «assez important en ordinateurs portables, parce que nous venions de passer commander en prévision de tout ce qui était annoncé pour le télétravail».
En quelques jours, 700 ordinateurs portables sont configurés et mis au niveau des exigences en termes d’applications et de sécurité, pour les fonctionnaires. 700 ordinateurs portables ne suffisent pas à répondre aux besoins, alors les ordinateurs fixes sont aussi parfois utilisés. Le CTIE livre aussi une centaine de téléphones portables.
«Entre les ordinateurs, les téléphones portables, les casques, la vidéoconférence et les hotlines qu’on a configurées, on a dû mettre à jour notre infrastructure, en direction des opérateurs, mais aussi pour pouvoir encaisser les besoins. On a vu les connexions simultanées passer de 200 à 500, puis à 1.000, 1.500, pour se stabiliser aujourd’hui à 2.500. On utilise un VPN et on a dû rapidement mettre à jour l’infrastructure technique pour les accès à distance, car elle était dimensionnée pour un télétravail modéré, qui devait très progressivement se généraliser. Mais évidemment, on n’avait pas imaginé une croissance tellement spectaculaire», explique le directeur du CTIE.
10 fois plus de connexions simultanées
Plus de 10 fois plus de connexions qu’avant la crise. «Elle aura forcément un impact: on a vu que le travail à domicile n’est pas si compliqué à organiser» pour les ministères et les administrations.
Une fois garanties la gestion des accès et les règles de sécurité, une fois le VPN réglé, le CTIE peut poursuivre sa mission d’apporter toute solution technologique aux 18.000 utilisateurs potentiels de l’administration étatique. Développer des solutions au gré des besoins… mais dans l’urgence.
«On a développé les applications spécifiques métiers et back-office pour la crise. Comme l’application pour la gestion des garanties bancaires, qui va connecter les cinq ou six banques avec l’État sur la question spécifique des garanties. On a une plate-forme de dashboards, d’analyse de données, à disposition de toutes les administrations, pour visualiser les données relatives à la crise. Cela doit permettre une bonne prise de décision du politique», explique M. Houtsch.
Premier cas concret, la plate-forme interne à l’État de visualisation des données médicales, pour suivre et anticiper la propagation du virus? «Toutes les données sont agrégées là. On peut connaître le nombre de lits disponibles à quel endroit... Comme ça, le CGDIS peut prendre les bonnes décisions pour envoyer les ambulances. Les données officielles transmises aux médias viennent aussi de cette plate-forme.»
MyGuichet, GovJobs et tout le reste
Ce sont aussi les 440 fonctionnaires et 100 externes qui créent en deux temps trois mouvements la plate-forme GovJobs pour recruter des volontaires, ou qui alimentent MyGuichet, avec les dispositifs d’aide pour les entreprises, comme le chômage partiel. «Typiquement, les équipes de ces projets s’y sont mises toute la semaine et tout le week-end pour que ce soit prêt le plus rapidement possible. Deux, trois ou quatre jours, ça dépend de la complexité de ce qu’on nous demande. Il y a aussi beaucoup de pression pour livrer. D’habitude, des projets sont gérés en fonction du planning, du moment où on peut les insérer. Là, il faut livrer très rapidement. Il y a une très grande pression sur les équipes.»
À la tête de cette armée invisible et consciencieuse, le «général Houtsch» communique beaucoup plus en interne. «Il faut donner de la visibilité sur ce que nous faisons individuellement et collectivement.» Et il surveille la cadence de travail. «La charge de travail, pour certaines équipes, a carrément explosé. Mais on essaie aussi de ne pas brûler les ressources au cours des premiers jours, parce qu’on sait que ça va durer un certain temps. On essaie de ne pas trop forcer. Il faut trouver le juste milieu, les équipes doivent aussi être en stand-by pour pouvoir intervenir en cas de panne sur le réseau gouvernemental ou sur l’infrastructure. Il faut pouvoir réagir très vite.»
Le CTIE continue d’assurer une permanence pour les cartes d’identité, uniquement sur rendez-vous, un des services qu’il délivre aussi pour le compte de l’État. Heureusement, il ne gère pas l’électronique de la police ou de l’éducation nationale, qui ont des besoins spécifiques, ni même celle du Service des médias et des communications, dans le giron stratégique du Premier ministre.
«Mais c’est très valorisant», conclut-il. «Même si on travaille en arrière-plan, les gens qui s’y mettent à fond et pendant les week-ends savent pourquoi ils le font. Ils veulent contribuer au bon fonctionnement, à la bonne gestion de la crise, et chacun connaît son rôle. Les gens ressentent vraiment que le travail qu’ils font, ils le font pour le citoyen.»