Comment fixer le salaire social minimum afin qu’il puisse «permettre aux travailleurs de vivre décemment, en tenant compte du coût de la vie et des différents niveaux de rémunération»? C’est à ce problème que s’est attaqué la directive (UE) 2022/2041 du Parlement européen adoptée le 19 octobre 2022. Une directive que le projet de loi 8437 déposé par le ministre du Travail, (CSV), vise à transposer. Une transposition dont les termes suscitent l’opposition des syndicats.
La voix d’un taux horaire unique à l’échelle du continent n’est pas la solution tant les niveaux de vie diffèrent dans l’Union européenne. Conscient de cela, le Parlement européen n’a pas cherché à établir un salaire social minimum européen, mais à harmoniser «à la hausse» les rémunérations minimales dans les vingt-sept pays de l’Union.
Des rémunérations minimales qui selon les motivations du Parlement européen permettent tout à la fois de lutter contre «l’accroissement de la pauvreté au travail dans l’UE qui a augmenté lors de la dernière décennie» et «qui jouent un rôle important dans la protection des travailleurs à bas salaires, les plus vulnérables face aux crises sanitaires et économiques».
Pour le Parlement européen, cette harmonisation permettrait d’augmenter les salaires réels, d’éviter la concurrence sur les coûts de la main-d’œuvre sur le marché unique et de réduire l’écart de rémunération entre les sexes, puisque près de 60% des salariés au salaire minimum dans l’UE sont des femmes.
Les choix du Luxembourg
La fixation du salaire minimum étant une compétence nationale, le Parlement européen a laissé le choix des moyens de l’harmonisation aux États tout en réaffirmant l’objectif: «Les États membres devront s’assurer que leurs salaires minimaux nationaux permettent aux travailleurs de vivre décemment, en tenant compte du coût de la vie et des différents niveaux de rémunération».
Afin d’évaluer l’adéquation de leurs salaires minimaux légaux existants, les États membres peuvent notamment établir un panier de biens et de services à des prix réels, comparer le salaire minimum net avec le seuil de pauvreté ou bien fixer le SSM à 60% du salaire médian brut et 50% du salaire moyen brut. Le Luxembourg a écarté cette dernière option au profit d’un mécanisme d’évaluation de l’adéquation du SSM au coût de la vie qui se basera sur «le niveau général et la répartition des salaires, le taux de croissance des salaires et les niveaux et évolutions de la productivité nationale à long terme».
Un organe consultatif pour aider le gouvernement à régler les questions liées au salaire minimum sera créé afin d’établir des bilans et des analyses basées sur des données du Statec ou de l’Inspection générale de la sécurité sociale (IGSS). Il sera composé de délégués de l’Inspection du travail et des mines (ITM), de l’IGSS, de l’Adem, des syndicats et du patronat. Sa présidence sera assurée par un délégué du ministère du Travail et il devra siéger au moins deux fois par an.
Le Luxembourg utilisant un mécanisme d’indexation automatique des salaires et des pensions, il est tenu de mettre à jour le SSM au plus une fois tous les quatre ans. Les pays en ne pratiquant pas l’indexation sont tenus de le faire tous les deux ans.
À l’exception de la création d’un nouvel organe consultatif, les dispositions régissant le salaire social minimum telles que détaillées dans les articles L. 222-1 et suivants du Code du travail changent peu. Actuellement, tous les deux ans, le gouvernement soumet à la Chambre des députés un rapport sur l’évolution des conditions économiques générales et des revenus, accompagné, le cas échéant, d’un projet de loi portant relèvement du niveau du salaire social minimum. La dernière augmentation du niveau du salaire social minimum a eu lieu au 1er janvier 2023 lors de l’entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 2022 portant modification de l’article L. 222-9 du Code du travail.
À côté de ce mécanisme d’adaptation structurelle du salaire social minimum, le salaire social minimum est encore soumis, tout comme tous les autres salaires au Luxembourg, à l’adaptation à l’indice des prix à la consommation. Cela demeure aussi inchangé.
Les critiques de la CSL
Ce choix d’un quasi-statu quo est fortement critiqué par la Chambre des salariés dans son avis du 24 octobre qui rejette «à l’unanimité» le projet de loi 8437, parlant d’un «projet déplorable» et d’une «occasion ratée» de la part du Gouvernement pour «améliorer considérablement le sort des salariés au Luxembourg». La CSL regrette que le salaire minimum «ne soit pas augmenté par le présent projet de loi», une augmentation revendiquée comme «structurelle». Et chiffrée. «Pour que le salaire minimum brut puisse atteindre un niveau équivalant à 60% du salaire médian brut – ce qui correspond à une des références proposées dans la directive – celui – ci devrait être augmenté de 3,1%. Si, en revanche, l’objectif national était d’avoir un salaire minimum suffisant pour couvrir le budget de référence du Statec et donc pour mener une vie décente – autre mesure qui est implicitement proposée par la directive –, alors le salaire minimum net devrait augmenter de 22% – cette hausse étant atteinte si le salaire brut était augmenté de 32,7%», argumente la CSL.
En septembre, le SSM brut non qualifié était fixé à 2.570,93 euros brut et le SSM qualifié à 3.085,11 euros. À titre de comparaison, le Statec fixait le seuil de pauvreté en 2023 à 2.265 euros mensuels pour une personne seule.
Actuellement, cinq pays sur les vingt-sept membres de l’UE ne disposent pas d’un salaire minimum gravé dans les Tables de la loi. À savoir l’Autriche, le Danemark, la Finlande, la Suède et l’Italie. Les salaires minimums y sont variables en fonction des branches et sont déterminés par négociation entre les partenaires sociaux. Les 22 autres ont légiféré sur la question.