La méga star de la pop américaine Taylor Swift recommandera la plus grande prudence. Après d’intenses négociations, la chanteuse qui a détrôné des ventes Barbara Streisand, a refusé un contrat à 100 millions de dollars avec l’entreprise FTX de Sam Bankman-Fried dont le procès débutera le 2 octobre. Dans la famille Swift, on naît banquier de père en fils depuis trois générations. L’expérience a parlé: Adam Moskowitz, l’avocat de Taylor, a déclaré au podcast The Scoop qu’elle avait été la seule célébrité à remettre en question le flou réglementaire autour des cryptomonnaies.
Les cryptomonnaies ou «cryptos» ont ébranlé l’univers financier depuis l’avènement du bitcoin en 2009. Cette monnaie numérique, créée par une personne (ou un groupe de personnes) du nom de Satoshi Nakamoto, a mis un coup de pied dans la finance traditionnelle. Contrairement aux monnaies habituelles émises par des pays, les cryptos représentent une monnaie décentralisée qui fonctionne grâce à des technologies informatiques innovantes. Plus besoin de banques centrales! Une révolution démocratique paraît-il.
Depuis le bitcoin, d’autres cryptos ont envahi le terrain: Ethereum, USDT, Ripple, Litecoin, pour n’en citer que quelques-unes. Elles ont conquis de nombreuses personnes, séduites par la promesse de liberté financière (à condition de ne pas tout perdre en un clin d’œil), la simplicité des transactions transfrontalières, et bien sûr, l’anonymat, proposant ainsi de différences notables par rapport aux systèmes bancaires traditionnels.
Les coulisses technologiques des cryptomonnaies
Les cryptos s’appuient sur des concepts de blockchain et de cryptographie. Pour mieux comprendre comment elles fonctionnent, concentrons-nous sur le Bitcoin.
Imaginez qu’un utilisateur veuille envoyer des bitcoins à un autre utilisateur. Pour ce faire, il crée une transaction. Afin de garantir l’authenticité et l’intégrité de cette transaction, l’utilisateur la signe électroniquement grâce à une paire de clefs cryptographiques qu’il détient. Cette transaction authentifiée est ensuite transformée en bloc dans le but de l’ajouter dans la blockchain.
Une blockchain est comme une base de données rebelle et décentralisée qui conserve de manière indélébile la trace de chaque événement qui s’y produit, en l’occurrence ici, les transactions de bitcoins.
Après la création de ce bloc de transaction, il est ensuite diffusé à travers le réseau décentralisé de «mineurs» (ou plus concrètement les gardiens du réseau), qui rivalisent entre eux pour résoudre un problème mathématique, communément appelé la «preuve de travail». Ce processus garantit la validité de la transaction.
Le mineur qui résout le problème en premier partage son résultat avec les autres mineurs. Une fois que la majorité des mineurs sont d’accord avec la solution, le bloc de transaction est vérifié, puis ajouté à la blockchain. Cette nouvelle blockchain est ensuite distribuée dans tout le réseau.
En fin de compte, la blockchain offre une transparence transactionnelle et une immuabilité à faire pâlir certaines professions. Une fois qu’une transaction est enregistrée dans la chaîne, la modifier relève du défi; ce serait comme essayer d’éteindre le soleil avec un pistolet à eau. Cela est dû à l’utilisation de fonctions d’empreintes cryptographiques et au fait que chaque nouveau bloc est lié de manière sécurisée aux blocs précédents. C’est comme si chaque transaction disposait d’une plaque minéralogique unique, ce qui réduit ainsi les risques de fraudes.
Entre reconnaissance légale et utilisation pour des transactions illicites
Dans certains coins du monde, les cryptomonnaies sont courantes. Prenez le Salvador, par exemple, qui a décidé en 2021 d’adopter le bitcoin comme cours légal, une première mondiale.
Une décision qui a provoqué autant d’applaudissements que d’effrois. Cependant, deux ans plus tard, son utilisation limitée par la population locale et sa nature volatile (le bitcoin a perdu plus de 65% de sa valeur entre janvier et décembre 2022) ont jeté un regard pessimiste sur cette décision.
Le Salvador n’est pas le seul pays à avoir flirté avec l’idée, la République centrafricaine ayant également adopté le bitcoin comme cours légal en avril 2022, pour finalement faire marche arrière un an plus tard. De nombreux autres pays, notamment au sein de l’Union européenne, ont légalisé l’utilisation du bitcoin sans pour autant en faire leur cours légal.
Les cryptos ont aussi une face sombre. Malgré leurs utilisations légitimes, les cryptos sont exploitées pour diverses activités illégales en raison de leurs caractéristiques uniques telles que l’anonymat. Les transactions cryptos, bien qu’enregistrées publiquement, se cachent derrière des adresses de portefeuille qui ressemblent plus à une suite de caractères alphanumériques qu’à une identité humaine. Autant dire qu’identifier leur véritable détenteur relève du casse-tête.
Les criminels peuvent déplacer leurs fonds entre les pays sans jamais passer par la douane des institutions financières traditionnelles. Les marchés du darknet, où l’on trouve de tout, des drogues aux faux papiers en passant par les armes, préfèrent les cryptos, en particulier le Bitcoin, le Monero et l’USDT.
Diverses arnaques sont également associées aux cryptomonnaies, telles que les escroqueries de type Ponzi où les criminels attirent leurs victimes en leur faisant miroiter des rendements élevés sur les cryptomonnaies, tout en utilisant les investissements des nouveaux participants pour payer les anciens, jusqu’à que le criminel s’enfuie avec les fonds, laissant de nombreuses victimes avec des pertes (l’affaire OneCoin en est peut-être l’exemple le plus illustrateur).
En voici un exemple:
Nous avons aussi identifié et analysé certains portefeuilles de cryptos actifs au Luxembourg, sur base de leur adresse IP. L’activité criminelle pouvant s’y rattacher reste faible mais existe…
En nous plongeant dans les détails de deux portefeuilles en particulier, que nous appellerons sobrement portefeuille 1 et portefeuille 2, nous découvrons pour le premier une série de transactions entre le Luxembourg et Kiev totalisant environ 250 opérations entre 2015 et 2016.
Au premier coup d’œil, pas de liens avec le Darknet. Mais en poursuivant les recherches, nous découvrons que le portefeuille 1 a reçu une belle somme de bitcoins en provenance de portefeuilles anonymes, notamment le portefeuille 2.
Le portefeuille 2, quant à lui, affiche un total de 8.099 bitcoins en circulation sur trois ans d’activité, à une époque où la cryptomonnaie avait déjà atteint des sommets. Et d’où venaient ces fonds? Des portefeuilles associés à des escroqueries, des marchés du Darknet, des fraudes, des jeux d’argent, et autres activités du genre…
Le Luxembourg et sa prudence pour les cryptomonnaies
Le bitcoin a gagné 75% depuis le début de l’année 2023, il est en route vers sa meilleure performance annuelle depuis 2020. À la mi-août son prix chutait, suite, selon certains traders, aux décisions du CEO de Tesla, Elon Musk. Si le bitcoin a débuté le mois de septembre 2023 à 25.927 dollars, les spécialistes pensent qu’il devrait terminer le mois autour de 19.691 dollars. Il conservera néanmoins sa position de «meilleure cryptomonnaie».
Au classement des détenteurs de monnaies numériques, le Luxembourg est lanterne rouge loin derrière l’Allemagne et la France. Les Vietnamiens occupent la première place, les Ukrainiens la deuxième, les Américains la troisième. Les Européens sont souvent plus conservateurs face aux innovations technologiques.
Le Luxembourg a fait figure de «pionnier» dans la surveillance des plateformes de négociation. Il fait preuve à la fois de curiosité et de prudence. Autrement dit, le Luxembourg semble rejoindre la famille de Taylor Swift en voulant «assurer un niveau élevé de protection des investisseurs particuliers». Pas certain que la bonne santé numérique du bitcoin suffise à bousculer les habitudes grand-ducales. On verra…
*Benoît Poletti est le directeur général de l’agence publique INCERT, considérée comme un centre d’expertise dans les domaines de la cybersécurité et digitalisation. Cette agence gère des infrastructures informatiques critiques nationales et internationales, ainsi que le développement de solutions utilisées dans le cadre de la gestion d’identité et de la cryptographie. Benoit Poletti représente aussi le Luxembourg auprès d’instances européennes et internationales telles que des agences de l’ONU. Il intervient par ailleurs à l’international pour répondre aux problématiques de gouvernance cybersécurité et digitale de pays émergents.