Les finances publiques se situent actuellement au creux de la vague. La reprise économique amorcée en 2021, qui a suivi une trajectoire ascendante au premier trimestre 2022, s’est vue contrainte, puis inversée par la guerre en Ukraine et la crise mondiale qu’elle engendre depuis le mois de février. L’inflation élevée et durable, et le climat géopolitique incertain, rendent les prévisions macro-économiques et budgétaires révisables à tout moment. Une notion de prudence qui revient dans de nombreux chapitres de l’«Évaluation des finances publiques» présentée par le Conseil national des finances publiques ce lundi 13 juin.
Croissance: une hausse en pente douce
Sur la période 2020-2022, le recours à la «clause dérogatoire générale» (au niveau européen) et la «clause pour circonstances exceptionnelles» (au niveau national) ont permis au gouvernement luxembourgeois de ne pas respecter l’objectif à moyen terme (OMT) de +0,50% du PIB. Après une forte reprise en 2021 (hausse du PIB réel de 6,9%), la croissance passe à 1,4% en 2022 pour remonter autour de 2,9% en 2023.
Sur la période 2023-2025, en l’absence d’une décision formelle de la Commission européenne et du Conseil européen de suspendre les règles budgétaires pour l’année 2023, lors du dépôt du (PSC) 2022, le gouvernement a fixé l’OMT à 0,00% du PIB. Selon les prévisions du PSC, il respecterait cet OMT. Après 2025, le CNFP indique que la croissance économique devrait se stabiliser autour de 2,7%. Ce taux serait donc proche des prévisions établies dans la loi de programmation budgétaire pluriannuelle (LPFP) 2021-2025, établie avant le déclenchement de la guerre en Ukraine et du taux historique de 3,3% en moyenne sur les 25 dernières années.
Lire aussi
Significativement, et en raison du rôle important du secteur financier dans l’économie luxembourgeoise (les marchés ont réagi sur un mode de recul), la croissance du pays en 2022 est plus impactée que celle de la zone euro (laquelle se situe à 3% en moyenne). En ce qui concerne le chômage, les prévisions sont meilleures que celles imaginées par le programme de stabilité et de croissance (PSC) – et que les scénarios macro-économiques européens – en dépit d’un contexte incertain.
Avec un taux de chômage en baisse à 4,7%, le marché de l’emploi luxembourgeois résiste – malgré un bassin d’emplois démographiquement moins favorable – car il reste attractif. «Le marché de l’emploi a toujours 6 à 9 mois de retard sur les prévisions économiques. Si la guerre se prolonge, ou si la récession arrive, cela se traduira sur le marché du travail», nuance néanmoins , président du CNFP.
Le PSC 2022 aurait pu présenter des scénarios avec des chocs plus significatifs et plus proches d’un pire scénario.
Déficit public: pas d’équilibre avant 2026
Le solde nominal des administrations publiques (différence entre les recettes et les dépenses des administrations centrales, locales et de sécurité sociale de l’État) baisse de +0,9% du PIB en 2021 à -0,7% du PIB en 2022 (-544 millions d’euros) et à -0,4% du PIB en 2023. Le retour à l’équilibre (0,0%) n’étant pas prévu avant 2026, année où les recettes pourront dépasser le montant des dépenses sans toutefois retrouver les taux historiques. Pour cela, l’État compte sur une augmentation progressive des recettes publiques, notamment grâce aux impôts directs et indirects, principale ressource des administrations publiques.
Sur ce point précis, – qui s’installe et risque de perdurer un moment – joue un rôle ambivalent sur le budget de l’État, comme le rappelle Marc Wagener: «L’inflation a une influence sur l’équilibre budgétaire de l’État. Ce dernier va payer plus cher les salaires des fonctionnaires à cause des indexations, et dépenser davantage pour ses investissements publics. Cependant, il y trouve une contrepartie, car il pourra également lever des recettes sur le gonflement proportionnel des bases de certaines taxes à la consommation imposables (carburants, notamment).
De même, sur l’indexation des salaires, et même s’il n’y a pas d’indexation du barème d’imposition au Luxembourg, l’État va trouver des rendements dans la hausse des salaires par effet de proportionnalité, car certains contribuables vont alors glisser dans une tranche d’imposition plus élevée. Il s’agit d’une progression froide: une augmentation des impôts sans les augmenter. Presque un jeu à somme nulle puisque l’État paie plus, mais perçoit également plus.»
Le CNFP indique également que le PSC 2022 «aurait pu présenter des scénarios avec des chocs plus significatifs et plus proches d’un pire scénario», sous-entendu en cas de récession. Par précaution, il a donc imaginé un prévisionnel défavorable d’un point de pourcentage sur le solde des administrations publiques, ce qui aurait pour conséquence un déficit budgétaire de 2,2% du PIB en 2026, tout en restant inférieur à 3% du PIB, comme l’exige la règle budgétaire du traité de Maastricht.
Aujourd’hui, on a 2,5 cotisants pour 1 retraité. Dans 10 ans, il y aura presque 1 cotisant pour 1 retraité. Dans 20 ans, on aura utilisé toute la réserve.
Le poids des prestations sociales
Significativement, le CNFP note une détérioration assez marquée au niveau du solde de la sécurité sociale. En effet, la sécurité sociale présenterait un surplus de seulement 242 millions d’euros en 2026, contre encore 1,2 milliard en 2019. L’Inspection générale de la sécurité sociale (IGSS) alerte également sur l’état de la réserve du Fonds de pension dans son dernier bilan daté d’avril 2022. Sur la base d’un rendement réel à 2% sur la réserve, le solde du régime général d’assurance pension suit déjà une trajectoire décroissante, serait déficitaire en 2032, et complètement épuisé en 2047.
«Le bilan technique de l’IGSS montre des signes précurseurs d’un essoufflement du régime. Le ‘miracle de l’emploi’ ces dernières années a fait que deux fois plus de gens cotisent, mais le nombre de pensionnés n’a pas doublé. Or, le solde de la sécurité sociale baisse. Aujourd’hui, on a 2,5 cotisants pour 1 retraité. Dans 10 ans, il y aura presque 1 cotisant pour 1 retraité. Dans 20 ans, on aura utilisé toute la réserve. Ce n’est pas à nous de dire s’il faut réformer le système, on ne fait que présenter les chiffres», décrypte Marc Wagener.
Le CNFP recommande néanmoins au gouvernement de créer dans les PSC une ventilation de sous-secteur de la sécurité sociale, notamment celle entre le secteur hospitalier public et les institutions de la sécurité sociale proprement dites, notamment le Fonds de pension, pour mieux évaluer les prévisions budgétaires à venir.
Dette publique: la hausse se poursuit
La dette publique connaît une tendance générale à la hausse depuis la crise économique de 2008, durant laquelle elle était plus élevée (+14,5 points de % du PIB) que pendant celle du Covid-19 et de la guerre en Ukraine (+3,5 points de % du PIB). Elle s’élève en 2022 à 19,598 millions d’euros, soit 25,4% du PIB, et devrait atteindre 20,804 millions d’euros, soit 25,8% du PIB en 2023. Selon les prévisions rassemblées par le CNFP, elle suivra une trajectoire ascendante jusqu’en 2026 pour atteindre 23,679 millions d’euros, soit environ 25,9% du PIB. Ce qui reste relativement stable en termes de pourcentage du PIB à partir de 2023.
Une note explicative dans le PSC 2022 indique que cette évolution ascendante n’est pourtant pas de nature à déstabiliser fondamentalement les finances publiques de l’État. «Cette évolution est à remettre en perspective au Luxembourg puisque l’État détient des actifs financiers à hauteur d’environ 48% du PIB». De plus, «la réserve du Fonds de compensation à elle seule (37% du PIB) se situe déjà en dessous de la dette publique».
Compte tenu des contrevents socio-économiques liés à la guerre en Ukraine et à l’évolution sanitaire autour du Covid, des règles entourant l’évolution des dépenses publiques ainsi qu’une règle de dette publique à plus long terme pourraient ainsi se voir renforcées au sein de la Commission européenne dans les prochains mois.