Mercredi 1er juillet 2020, trois experts d’Arendt conversaient en direct sur paperjam.lu à l’occasion du premier podcast Arendt We Live intitulé «ESG : towards a new golden age of data ?». L’occasion pour nos invités d’évoquer les perspectives et les enjeux d’un sujet capital pour la place financière. Aujourd’hui, retour sur l’intervention d’Isabelle Lebbe, associée et avocate, chargée d’introduire le sujet et d’évoquer sa dimension réglementaire.

Lorsqu’il s’agit d’évoquer la mise en place des critères ESG aux fonds d’investissement, le Luxembourg est aux avant-postes et se pose comme un acteur incontournable. La taille de l’industrie financière au Grand-Duché en est une évidente raison, la volonté du pays d’être toujours à la pointe du développement en est une autre.

D’un point de vue plus global, la crise sanitaire que nous traversons actuellement n’a fait qu’accélérer la prise de conscience sociétale d’une part, puis des investisseurs et des entreprises d’autre part. Le confinement nous a tous fait prendre conscience de la nécessité de changer de paradigme. «Nous avons eu le temps de ‘remettre les compteurs à zéro’, nous avons apprécié l’embellie environnementale qui a suivi le confinement, la pureté de l’air, le chant des oiseaux et la vie animale qui a ressurgi», rappelait Isabelle Lebbe.

Du côté des institutions, la Commission européenne présentait un «green deal» au mois de décembre précédant la crise. Son objectif: «Transformer l’Europe en une société juste et prospère, dotée d’une économie moderne (…) et compétitive (…) capable de protéger la santé et le bien-être des citoyens…» Au final, le «recovery plan» initié suite à la pandémie de Covid-19 ne fera que poursuivre ces orientations. Autrement dit, les capitaux ne seront de retour dans l’économie que sous certaines conditions, liées aux critères ESG.

On le voit, les ESG sont un sujet sur toutes les lèvres et un enjeu socio-économique majeur. Les échéances se rapprochent, la pression monte pour les acteurs du marché.

La planète semble parler d’une même voix, et au moment d’évoquer la régulation des critères ESG, les trois partis constituent les trois piliers d’un même pont. La société, représentée par ses autorités publiques, souhaite une refonte économique durable en faveur de la planète, entraînant alors la mise en place d’une réglementation par le régulateur qui lui-même utilise le monde financier à cette fin. Et comme nous l’avons dit précédemment, le travail du régulateur n’a pas été ralenti par la crise sanitaire, bien au contraire, celle-ci n’a fait que l’accélérer.

Quels sont les grands traits qui constituent cette régulation? Au micro, Isabelle Lebbe les synthétise en quatre points:

-       la transparence: un investisseur doit clairement savoir ce qu’il achète:

-       le refus et la dénonciation de toute tentative de «greenwashing»;

-       l’utilisation de la data pour mesurer et démontrer la transparence;

-       le recours aux experts.

Au Luxembourg, la régulation est opérée par la CSSF. Au niveau européen, le règlement sur la divulgation, ou «regulation on disclosure», s’applique à tous les acteurs (asset managers, conseillers financiers) et produits du marché financier (tous types de fonds). Il se dévoile sous deux modalités différentes.

Il enjoint premièrement de faire figurer si les critères ESG créent du risque pour le portfolio d’investissements. Prenons un exemple: si vous possédez des investissements sur des hôtels situés en bord de mer, la montée des eaux due au réchauffement climatique présente un risque qui devrait être indiqué et mesuré. 

Deuxièmement, le règlement enjoint à l’inverse de révéler et de mesurer si les investissements eux-mêmes créent du risque vis-à-vis des critères ESG. Voici un exemple: si vous investissez dans une société qui fait un usage massif du plastique (elle fabrique des bouteilles par exemple), ceci devra être indiqué. Ce qui est nettement plus sensible et difficile à faire, car cette déclaration inclut un élément de dénonciation peu flatteur, ce «name and shame» que nous évoquions plus tôt. «Mais qui veut être catalogué comme étant indifférent ou du moins peu soucieux des critères environnementaux?», interroge avec ironie Isabelle Lebbe, avant de poursuivre: «Cette façon de mettre au pilori, de pointer du doigt, sera compliquée à appréhender.» Et puis comment mesurer l’impact réel de tel ou tel investissement? «La data manque encore à ce sujet, elle est souvent incomplète, peu fiable et est difficile d’accès», complète Antoine Portelange, collaborateur chez Arendt & Medernach, travaillant aux côtés d’Isabelle Lebbe sur les dossiers ESG.

À ce sujet, la taxonomie mise en place au niveau européen permettra de mieux définir ce qui est durable ou non pour l’environnement, par exemple, ou au moins ce qui ne porte pas atteinte aux critères ESG, voire contribue à leur protection. Notamment au travers de la liste des six objectifs suivants:

-       réduction du changement climatique;

-       adaptation au changement climatique;

-       économie circulaire;

-       moins de pollution;

-       protection de l’eau et des océans;

-       protection de la biodiversité.

Les politiques et les réglementations sont ambitieuses mais semblent se donner les moyens de leurs ambitions. De plus, il semble que tous les acteurs, les gouvernements, les acteurs économiques et le régulateur travaillent main dans la main.

«Nous sommes loin de la perfection, mais au moins nous bougeons et nous bougeons vite, ce qui me rend optimiste», conclut Isabelle Lebbe.

Quatre questions directes à Isabelle Lebbe

• Genèse et définition du terme ESG?

ESG signifie «Environnement, Social et Gouvernance»; c’est une terminologie récente qui est apparue il y a cinq ans environ, pas toujours aussi bien comprise qu’un terme comme «sustainable», par exemple, qui semble plus universel.

• Est-ce que E=S=G?

Non pas du tout, E n’est pas égal à S et G, même si le législateur tente d’établir des ponts. S et G sont en revanche plus proches, on peut d’ailleurs s’y perdre. Prenons la diversité, qui vient logiquement se loger sous le S, mais qui peut aussi rejoindre le G, si l’on parle de la composition du board d’une entreprise par exemple. C’est un sujet sensible qui devra être clarifié par les autorités européennes au plus vite.

• Une réglementation ESG trop stricte peut-elle nuire à l’efficacité financière?

Non, il faut éviter de tomber dans ce travers. La transparence est capitale, l’investisseur doit savoir ce qu’il achète. La communication doit être claire, pas trompeuse et continue. En revanche, une réglementation foisonnante peut augmenter le risque de divergence entre les États. Si on laisse chaque réglementation nationale se développer, on aboutira à une cacophonie qu’il faut absolument éviter.

• Établir des critères sur une thématique aussi mouvante n’est-il pas paradoxal?

C’est la raison pour laquelle une réglementation trop détaillée ne serait pas la bienvenue, car elle risque d’être vite dépassée. Dans un domaine aussi changeant, le régulateur doit donc être humble et les experts tous dire la même chose, ce qui n’est pas encore le cas. 

Retrouvez l’intégralité du podcast Arendt We Live ci-dessus