Ancien secrétaire général de l’ACPR, le superviseur bancaire français, Dominique Laboureix préside le Conseil de résolution unique à Bruxelles depuis janvier 2023. (Photo: SRB)

Ancien secrétaire général de l’ACPR, le superviseur bancaire français, Dominique Laboureix préside le Conseil de résolution unique à Bruxelles depuis janvier 2023. (Photo: SRB)

Le Conseil de résolution unique est l’autorité centrale en charge de la résolution des crises bancaires dans la zone euro. De passage à Luxembourg, son président, Dominique Laboureix, juge le marché résilient mais vulnérable. La prochaine crise ne viendra pas forcément des banques, estime-t-il.

Il se présente comme «l’un des visages de l’union bancaire européenne». Le président du Conseil de résolution unique (CRU), Dominique Laboureix, était en visite de travail à Luxembourg fin novembre. Une étape de sa tournée des 21 pays participants au cadre européen pour la surveillance et la gestion des crises bancaires. En marge de sa rencontre avec les responsables de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), le Français a éclairé pour Paperjam le rôle central – mais méconnu – du CRU.

Qu’est-ce que le grand public doit savoir de la mission du CRU?

Dominique Laboureix. – «Le CRU est l’autorité centrale en charge de la résolution des crises bancaires dans le cadre de l’union bancaire. Notre mission principale est d’assurer une gestion ordonnée des banques en difficulté, en collaboration avec les autorités de résolution nationales, afin de minimiser l’impact sur l’économie réelle, le système financier et les finances publiques des États membres. En d’autres termes, notre objectif est de préserver la stabilité financière, tout en évitant de faire appel à l’argent des contribuables.

Une leçon de la crise de 2008?

«Notre mission en découle directement. À l’époque, le système bancaire avait été sauvé grâce à des interventions massives des gouvernements, financées par l’argent public. Cela a révélé l’absence d’un cadre structuré en Europe pour gérer les crises bancaires. En réponse, une réglementation spécifique a été adoptée en 2014, créant un véritable cadre de gestion des crises. Les États-Unis disposaient déjà d’un tel mécanisme. Nous nous sommes inspirés de ce modèle, tout en l’adaptant aux spécificités européennes.

Comment s’organise l’union bancaire européenne?

«Elle repose sur deux piliers. Le premier est la supervision bancaire, qui relève de la Banque centrale européenne (BCE). Le second, dont je m’occupe, est la gestion de crise, également appelée résolution bancaire, qui s’appuie sur le CRU. Ces deux piliers fonctionnent de manière complémentaire pour garantir la stabilité financière.

Qu’est-ce qui différencie une résolution d’une liquidation classique?

«Dans une liquidation classique, les actifs de la banque sont vendus et les créanciers sont remboursés selon l’ordre de priorité défini par la loi. Ce processus peut s’avérer long et complexe, mais il est adapté aux petites banques dont la disparition n’affecte pas l’économie ou les marchés financiers.

La résolution, en revanche, repose sur des outils spécifiques qui permettent d’intervenir rapidement pour préserver les fonctions essentielles de la banque tout en limitant l’impact sur les contribuables. Cela peut impliquer la cession des activités saines à un autre établissement, la création d’une structure de transition ou encore des mesures de recapitalisation interne.

Quand est intervenu le CRU?

«Deux cas concrets se sont produits dans l’union bancaire: en 2017, avec Banco Popular en Espagne, et en 2022, avec Sberbank, la filiale d’un groupe russe, juste après l’invasion de l’Ukraine. Dans ces deux situations, les outils de résolution ont été activés pour protéger les fonctions critiques et éviter des perturbations majeures. Sinon, jusqu’à présent, les autres cas de faillite bancaire en Europe ont été traités à travers la liquidation normale des entreprises.

Une crise de confiance peut se propager extrêmement rapidement.
Dominique Laboureix

Dominique LaboureixchairSRB

Vous n’êtes jamais intervenu au Luxembourg, qui connaît par ailleurs peu de défaillances bancaires, comme Fortuna en 2022-2023. Est-ce notable pour une place financière de cette importance?

«Cela illustre la grande résilience du secteur bancaire luxembourgeois, qui reflète également celle des banques de l’ensemble de l’union bancaire, c’est-à-dire les 21 pays participants. Ces dernières années, nous avons constaté un renforcement des capacités des banques en termes de solvabilité, de liquidité et de profitabilité. Ces trois éléments sont fondamentaux pour garantir leur résilience.

Une banque solvable et liquide, qui parvient à générer des bénéfices, renforce la confiance des clients et des investisseurs. Les profits jouent ici un rôle clé: ils protègent la solvabilité, assurent la stabilité et permettent à l’établissement de faire face aux défis éventuels. À l’inverse, une banque qui accumule des pertes fragilise sa solvabilité, réduit la confiance et peut se retrouver en difficulté de liquidité.

Les stress tests européens de 2023 montrent un système bancaire luxembourgeois résilient, avec des niveaux de capitalisation globalement suffisants. Peut-on dormir tranquille?

«En tout cas pas moi: je suis payé pour être inquiet! Et je crois que les banquiers doivent aussi rester vigilants. Il ne s’agit pas d’être inquiet par principe, mais d’éviter toute complaisance. Ce n’est pas parce que, aujourd’hui, les banques sont solvables, liquides et profitables – ce qui est effectivement une très bonne chose, y compris au Luxembourg – que le système est immunisé contre de futures difficultés.

Les exemples récents sont nombreux pour illustrer à quel point la stabilité peut être fragile. En mars 2023, la faillite de Silicon Valley Bank et les déboires de Credit Suisse ont brutalement ramené les risques bancaires sur le devant de la scène. Une crise de confiance peut se propager extrêmement rapidement et affecter des banques européennes, qu’elles soient situées au Luxembourg, en France, en Irlande ou ailleurs. Il est crucial de ne jamais baisser la garde.

Les risques eux-mêmes évoluent…

«L’influence des réseaux sociaux et la digitalisation ont changé la dynamique des crises. Aujourd’hui, une information – qu’elle soit vraie ou fausse – peut se répandre instantanément. Avec les applications bancaires, les clients peuvent retirer leurs fonds en quelques clics, sans avoir à passer par un guichet. Cela accélère les mouvements de capitaux en cas de panique, rendant la gestion de crise encore plus complexe. Sans parler des risques informatiques et des cyberattaques, qui représentent une menace croissante pour la stabilité financière.

Nous analysons constamment si notre boîte à outils est adaptée.
Dominique Laboureix

Dominique LaboureixchairSRB

Que fait le CRU pour s’adapter aux nouveaux risques?

«Nous avons récemment adopté une nouvelle stratégie au sein du Mécanisme de résolution unique, qui réunit les 21 autorités nationales de résolution et le CRU. Cette stratégie vise à mieux anticiper les risques émergents, comme ceux liés aux cyberattaques, à l’accélération des crises financières via les technologies numériques ou encore à l’évolution des modèles économiques des banques. Nous analysons constamment si notre boîte à outils est adaptée pour répondre efficacement à ces défis.

D’où pourrait venir la prochaine crise financière?

«Je ne suis pas capable de le prédire. Ce qu’on sait, c’est qu’elle pourrait émerger de deux grandes catégories de risques. D’abord, les crises classiques, comme celles liées aux pertes de crédit ou de marché. Une banque prête de l’argent, mais les emprunteurs ne remboursent pas ou elle subit des pertes importantes sur ses investissements. Ce type de scénario est bien connu et a été illustré, par exemple, dans la crise Credit Suisse, qui combinait des pertes sur des portefeuilles risqués et une perte de confiance.

Ensuite, il y a les crises émergentes, souvent liées à des phénomènes nouveaux comme les sanctions, les crises de réputation ou les cyberattaques. Une banque accusée de blanchiment d’argent ou visée par des sanctions internationales peut se retrouver isolée, perdant sa capacité à opérer normalement. De même, une cyberattaque paralysant une institution financière peut créer des effets de contagion en cascade. Nous devons nous préparer à tous ces scénarios, qu’ils soient classiques ou inédits.

La prochaine crise pourrait ne pas venir des banques…

«Tout à fait. Le système bancaire, bien qu’imparfait, est aujourd’hui soumis à une régulation stricte et à des mécanismes de gestion de crise robustes. En revanche, d’autres acteurs du secteur financier sont beaucoup moins régulés, voire pas du tout.

Par exemple?

«Prenez les cryptomonnaies. Ce secteur est encore largement non régulé, et il n’existe pas de cadre de gestion de crise adapté pour ces actifs. Lorsque la bulle crypto a éclaté en 2021, plusieurs cryptomonnaies et plateformes ont fait faillite. Heureusement, les interconnexions entre le monde crypto et le système financier traditionnel – les banques et les assurances – étaient alors limitées, ce qui a évité une contagion au reste de l’économie.

Cependant, si les interconnexions entre ces deux mondes se renforcent à l’avenir, une crise dans le secteur crypto pourrait avoir des répercussions sur l’ensemble du système financier. Je plaide pour l’application d’un principe simple: à services similaires, règles similaires. Les acteurs non bancaires qui mènent des activités comparables à celles des banques devraient être contrôlés eux aussi.

Les non-banques ont besoin d’un cadre de gestion de crise.
Dominique Laboureix

Dominique LaboureixchairSRB

Comment mieux encadrer ces acteurs non bancaires?

«Aujourd’hui, les discussions se concentrent principalement sur la transparence et la liquidité. Nous demandons à ces acteurs de fournir davantage d’informations sur leurs activités et de maintenir un certain niveau de liquidité pour faire face aux crises potentielles. Cela concerne une grande variété d’acteurs: les fonds monétaires, les hedge funds, les family offices, les plateformes de compensation pour les cryptos, etc.

Cela ne suffit pas: à terme, il faudra aller plus loin. Les non-banques ont besoin d’un cadre de gestion de crise. En Europe, nous avons déjà fait des progrès pour certains d’entre eux. Par exemple, une directive sur la résolution des compagnies d’assurance vient d’être adoptée et des règles existent désormais pour les chambres de compensation (CCPs). Mais pour d’autres acteurs, comme les hedge funds ou les plateformes crypto, il n’existe encore rien.

Quels sont les défis macroéconomiques actuels susceptibles d’influencer la santé des banques européennes?

«Les défis sont nombreux et ils évoluent constamment. L’un des plus marquants est lié aux tensions géopolitiques, qui prennent des formes variées. Nous assistons à une fragmentation accrue à l’échelle mondiale, avec des conflits parfois ouverts, comme en Ukraine. Ensuite, il y a les défis structurels, notamment ceux liés à la digitalisation – avec leur corollaire cyber – et au réchauffement climatique. Tous ces changements peuvent se traduire par des tensions économiques susceptibles de peser sur la stabilité bancaire.»