Sophie Casanova, directrice adjointe de la recherche économique chez Edmond de Rothschild. (Photo: Edmond de Rothschild)

Sophie Casanova, directrice adjointe de la recherche économique chez Edmond de Rothschild. (Photo: Edmond de Rothschild)

La réaction des banques centrales, notamment de la Réserve fédérale américaine et de la BCE, face à la crise sanitaire a été sans précédent de par son ampleur, sa vitesse et son étendue.

Leur objectif était double: assurer, d’une part, la liquidité de financement, malgré le tarissement des flux de trésorerie, en soutenant le crédit bancaire et l’activité des marchés des dettes d’entreprises et d’État et, d’autre part, le fonctionnement de l’ensemble des marchés financiers, alors que le renforcement de l’appétence pour la liquidité, alimenté par la hausse de l’aversion au risque, pouvait provoquer des cessions d’actifs en urgence. Si les mesures entreprises semblent efficaces, elles impliquent cependant un accroissement durable de la mainmise des banques centrales sur les marchés d’actifs.

La Réserve fédérale américaine a été, sans aucun doute, la plus «proactive». Non seulement elle a abaissé en moins de deux semaines son taux directeur de 150 points de base à 0,25%, mais elle a également annoncé qu’elle procéderait à des achats illimités d’obligations d’État Treasuries et d’agences adossées à des crédits immobiliers résidentiels et commerciaux. En outre, elle a créé et/ou réactivé des facilités d’apport de liquidité aux marchés financiers, en particulier pour le marché des fonds monétaires ou bien encore celui des dettes d’entreprises de court et de moyen terme, y compris d’entreprises dont la notation a été récemment réduite sous le seuil «spéculatif» par les agences.

Bien plus, pour soutenir le crédit bancaire, elle a, pour la première fois, refinancé des crédits aux PME pour alléger les bilans des banques, interrompu par ailleurs ses exigences de réserves obligatoires et assoupli les règles prudentielles afin de générer pour ces dernières un coussin de liquidité prêtable plus important. 

Les mesures mises en œuvre par la Banque centrale européenne pourraient sembler, a priori, plus timides que celles prises par son homologue américaine, mais elles n’en demeurent pas moins efficaces pour soutenir la liquidité de marché et de financement. En effet, si la BCE a maintenu son taux de dépôt à -0,50%, certainement pour ne pas accroître le poids des taux négatifs sur le système bancaire, elle a su initier un programme d’achat d’actifs massif, le Pandemic Emergency Purchase Programme.

Celui-ci, qui, depuis juin, porte sur un montant total de 1.350Mds d’euros lui permet de déployer ses achats de titres avec beaucoup plus de souplesse que ce qu’elle peut faire dans le cadre de son autre programme d’achat d’actifs, l’Asset Purchase Programme (APP): d’une part, la BCE s’est exonérée de sa règle d’achat par pays, comme en témoigne la part d’obligations italiennes dans ses achats totaux de titres souverains, à 22% en mai, alors que la participation de l’Italie au capital de la BCE n’est que de 17%; d’autre part, elle n’est plus contrainte, comme dans le cadre de l’APP, d’acheter de la dette d’entreprise au prorata des encours de dette existants, ce qui, outre une flexibilité géographique, lui fournit également une capacité d’action sectorielle.

Enfin, la BCE a déployé de nouvelles opérations de refinancement pour les banques et, surtout, assoupli les conditions de ses opérations conditionnées au crédit bancaire, permettant à celles-ci d’obtenir un financement dont le taux pourrait être inférieur à ses taux directeurs, ce qui aurait été inenvisageable il y a encore quelques mois.

Ces mesures sans précédent ont permis de réduire le risque d’une crise de solvabilité généralisée. Mais elles ont également significativement renforcé le rôle des banques centrales. D’une part, ces dernières peuvent davantage que précédemment orienter les flux de financement au secteur privé via le système bancaire. D’autre part, et surtout, elles ont accru leur prise en main des courbes de taux souveraines, mais également, cette fois, des dettes d’entreprises (autrement dit des spreads de crédit). Cet élargissement de leurs champs d’action augmente mécaniquement leur capacité à agir indirectement sur les autres marchés d’actifs puisqu’il amène les investisseurs à la recherche de rendement à se reporter vers des titres encore plus risqués que ce qu’ils n’étaient prêts à acquérir avant la crise sanitaire.  

Ce renforcement de la prise en main des marchés d’actifs par les banques centrales pourrait, à défaut d’être suffisant pour rétablir la demande si l’incertitude liée à la crise sanitaire se prorogeait, contribuer à contenir quoi qu’il en soit la volatilité des marchés financiers au cours des prochains mois, selon notre analyse.