Professeur à Harvard, ancienne conseillère du président américain George W. Bush, Meghan O’Sullivan était l’invitée de la dixième conférence annuelle du cabinet d’avocats Linklaters, dont elle est membre du comité consultatif.
En tant que spécialiste du Moyen-Orient et de la géopolitique de l’énergie, elle a accepté de répondre aux questions de Paperjam sur l’impact de la crise au Moyen-Orient sur les prix de l’énergie.
Quelles sont les conséquences de la crise iranienne sur le marché du pétrole?
Meghan O’Sullivan. – «L’attente des représailles iraniennes en réponse à l’assassinat de Qassem Soleimani a eu d’importantes conséquences à court terme sur les prix du pétrole début janvier. Mais curieusement, une fois les représailles de l’Iran effectuées, les prix du pétrole ont diminué. Et l’Iran tout comme les États-Unis ont ensuite indiqué qu’ils étaient prêts pour une désescalade des tensions militaires.
L’absence d’impact durable sur les prix est partiellement due au fait qu’il n’y a pas eu de perturbation de la production ou du transport, quelque dramatiques que les événements aient pu être. En outre, beaucoup considèrent que la production des autres pays, notamment celle des États-Unis, suffit pour alimenter le marché et gérer un choc d’approvisionnement, sauf s’il est considérable.
Une nouvelle action militaire aurait pour conséquence de très fortement perturber les marchés de l’énergie.
De mon point de vue, il est trop tôt pour écarter l’hypothèse d’une nouvelle action militaire – dans la région du Golfe ou ailleurs – qui aurait pour conséquence de très fortement perturber les marchés de l’énergie.
D’ailleurs, l’Iraq – qui influence le plus la croissance de la production de l’Opep ces dernières années – est devenu plus instable. Les prévisions de croissance de sa production sont plus incertaines à la lumière des récents événements et leurs conséquences probables sur la sécurité en Iraq.
Pouvons-nous espérer une désescalade à plus long terme dans le Moyen-Orient, et par conséquent une stabilisation des prix de l’énergie?
«Une telle attente serait beaucoup trop optimiste pour l’heure. Les intéressés auraient besoin de retourner à la table des négociations pour résoudre leurs différends. En théorie, le pic actuel de tensions ne l’empêche pas: par le passé, l’Iran a déjà repris les négociations après avoir subi des chocs de cette ampleur.
Cependant, pour le moment, peu d’indices permettent d’imaginer le gouvernement iranien reprendre les négociations. C’est probablement parce qu’il ne veut pas agir ainsi depuis une position de faiblesse et parce qu’il a peu confiance dans le fait qu’un deal avec l’actuelle administration américaine serait respecté.
Les États-Unis sont désormais n° 1 mondial sur le marché de l’énergie. Peuvent-ils contribuer à stabiliser les prix de l’énergie malgré la crise au Moyen-Orient?
«En effet, les États-Unis sont désormais le premier pays producteur de pétrole et de gaz au monde. Mais il est important de noter que le pays consomme davantage que ce qu’il produit.
Les États-Unis ne se substitueront jamais à un producteur de l’Opep comme l’Arabie saoudite.
Cette production significative a de bien des manières déjà contribué à stabiliser les prix de l’énergie au niveau mondial. Par exemple, lors des révolutions arabes au début de la dernière décennie, la croissance soutenue de la production américaine a compensé la sortie du marché d’importantes quantités de pétrole du Moyen-Orient. Les prix du pétrole sont restés stables, malgré le fait que les zones du monde les plus riches en pétrole étaient secouées par les révolutions.
Néanmoins, les États-Unis ne se substitueront jamais à un producteur de l’Opep comme l’Arabie saoudite. La production est en effet entièrement entre les mains d’entreprises privées qui déterminent les niveaux de production, non selon la politique d’un gouvernement, mais selon des aspects tels que les prix ou la disponibilité du capital.
Quels seront les enjeux majeurs de l’année 2020 concernant la crise au Moyen-Orient et les prix de l’énergie?
«Les tensions entre les États-Unis et l’Iran vont bien sûr continuer à perturber les marchés de l’énergie durant l’année à venir. La crise ne semble pas pouvoir être complètement résolue en 2020.
Cependant, si elle était résolue, cela aurait un grand impact sur les marchés de l’énergie, mais dans la direction opposée: le retour du pétrole iranien dans le contexte actuel pourrait faire brutalement chuter les prix du pétrole.
Une autre zone à observer est l’Iraq. Si les troupes américaines étaient amenées à quitter le pays, la sécurité en Iraq deviendrait plus précaire. Les investissements et le développement plus que nécessaire des infrastructures seraient alors impactés négativement, ce qui affecterait la production pétrolière mondiale.»