Pierre Barthelmé souligne que le Conseil de la concurrence se penchera sur les pratiques des entreprises durant la crise. (Photo : Conseil de la concurrence)

Pierre Barthelmé souligne que le Conseil de la concurrence se penchera sur les pratiques des entreprises durant la crise. (Photo : Conseil de la concurrence)

Le Conseil de la concurrence ne relâche pas sa vigilance en cette période d’économie au ralenti qui peut amener certaines entreprises à piétiner les règles fondamentales de la concurrence.

La période actuelle place les entreprises dans une situation très difficile, qui sera fatale pour certaines. Outre les aides décidées par le gouvernement, les garde-fous habituels restent en place afin de préserver l’économie et ses acteurs. Y compris le Conseil de la concurrence, qui a récemment publié un afin de rappeler le principe de libre concurrence et les dispositions spécifiques prises de manière temporaire. Les explications de son président, .

Comment le Conseil de la concurrence a-t-il modifié sa façon de travailler depuis le début de la crise?

Pierre Barthelmé. – «Le Conseil a réagi depuis le début de la crise en invitant ses collaborateurs à continuer à exercer leur activité par le biais du télétravail et en organisant une permanence téléphonique afin de rester disponibles pour le public. Nous organisons par ailleurs toutes nos réunions via visioconférence.

A-t-il été saisi par des entreprises durant cette crise et dans quels secteurs?

«Depuis le début de cette crise sanitaire, le Conseil s’est en effet vu adresser plusieurs demandes en relation avec celle-ci. Toutefois, pour des raisons de confidentialité, nous ne pouvons vous communiquer plus d’informations à ce sujet.

Je peux néanmoins vous indiquer que le Conseil de la concurrence reste disponible et peut être contacté à tout moment pour répondre aux interrogations du public, liées à la crise du Covid-19, par le biais du .

Le fait que les supermarchés puissent rester ouverts ne fait-il pas concurrence déloyale aux commerces de jardinerie, de bricolage, de mode? Avez-vous été consulté ou saisi à ce propos?

«Il s’agit d’une décision gouvernementale, que je ne vais pas commenter, le Conseil de la concurrence n’étant par ailleurs pas compétent pour traiter des questions de concurrence déloyale.

La crise en cours ne peut servir d’excuse pour adopter des comportements anticoncurrentiels et l’unique tolérance dont il a été question dans les orientations diffusées par la Commission européenne et les autorités de concurrence européennes se limite à certains types de coopérations limitées et ciblées.
Pierre Barthelmé

Pierre Barthelméprésident Conseil de la concurrence

Quels types d’abus sont possibles durant cette période particulière?

«Je suis d’abord convaincu du fait qu’en cette période particulière, il n’est pas dans la priorité des entreprises de mettre en place des comportements déviants, mais plutôt de songer à survivre en ces temps où l’économie mondiale est impactée.

Toutefois, du point de vue du droit de la concurrence, en cette période particulière comme en temps normal, les comportements interdits demeurent, comme les ententes anticoncurrentielles et abus de position dominante, et l’objectif pour notre autorité de concurrence, à savoir garantir les conditions d’une concurrence libre et non faussée, persiste, même en temps de crise.

Face aux difficultés économiques engendrées par la crise actuelle, nous sommes conscients que les entreprises pourraient être tentées d’adopter des comportements déviants par l’exercice de prix excessifs ou par des actions concertées, par exemple une coordination sur leurs prix de vente ou lors d’appels d’offres dans les marchés publics.

Le Conseil de la concurrence sera particulièrement attentif à cet égard. La crise en cours ne peut en effet servir d’excuse pour adopter des comportements anticoncurrentiels et l’unique tolérance dont il a été question dans se limite à certains types de coopérations limitées et ciblées, à savoir celles destinées, par exemple, à garantir la fourniture de produits ou services essentiels, tels que des médicaments ou équipements médicaux.

Il est évident qu’après cette crise, le Conseil analysera le fonctionnement des différents marchés, de ceux qui auront été le plus impactés à ceux qui auront été le moins touchés.
Pierre Barthelmé

Pierre BarthelméprésidentConseil de la concurrence

Êtes-vous amené à intervenir sur les effets du programme de stabilisation et des aides introduites par le gouvernement?

«Non, les effets du programme de stabilisation et les aides étatiques ne font pas partie des mesures pour lesquelles le Conseil est amené à intervenir. Toutefois, le Conseil avise le gouvernement, en toute indépendance, sur toute question concernant la concurrence. Il est évident qu’après cette crise, le Conseil analysera le fonctionnement des différents marchés, de ceux qui auront été le plus impactés à ceux qui auront été le moins touchés.

Comment s’applique le droit de la concurrence lorsqu’une partie de l’économie est au ralenti ou en marche dégradée?

«Le droit de la concurrence protège les intérêts des consommateurs, mais aussi celui des entreprises contre les comportements anticoncurrentiels d’entreprises concurrentes. Par conséquent, continuer à appliquer le droit de la concurrence est fondamental pour préserver l’économie, les entreprises et les consommateurs.

Si le droit de la concurrence reste donc applicable, les autorités de concurrence nationale et européenne font néanmoins preuve de discernement dans son application en temps de crise, en particulier compte tenu de la situation spécifique du confinement de la population et du ralentissement, voire de la mise à l’arrêt, d’une partie de l’économie.

Dans ce contexte, le Conseil de la concurrence a publié un afin de permettre, sous certaines conditions, la coopération entre entreprises en vue d’assurer la sécurité des approvisionnements en produits et services essentiels.

Quatre conditions pour une coopération entre entreprises

Quelles sont ces conditions?

«Globalement, il s’agit des types d’actions concertées temporaires qui, dans les circonstances exceptionnelles de la pandémie:

a) évitent une pénurie, ou assurent la sécurité de l’approvisionnement;

b) assurent une distribution équitable de produits rares;

c) maintiennent des services essentiels;

ou d) fournissent de nouveaux services tels que la livraison de denrées alimentaires aux consommateurs vulnérables, sont susceptibles de ne pas poser de problème du point de vue du droit de la concurrence.

À quoi veillez-vous alors que le secteur de la construction peut redémarrer aujourd’hui? À quoi faudra-t-il faire attention lorsque les autres secteurs seront autorisés à faire de même?

«L’objectif du droit de la concurrence est le bon fonctionnement des marchés, aussi bien en temps de crise, qu’en temps ‘normal’. À cet égard, la construction, comme tout autre secteur, reste tenue de respecter les règles de concurrence nationales et européennes. Nous veillerons à ce que la relance de l’économie ne soit pas entravée par la mise en place de pratiques anticoncurrentielles.

En particulier, le Conseil veillera à ce que les circonstances actuelles ne soient pas utilisées comme prétexte pour masquer des augmentations de prix ou d’autres comportements anticoncurrentiels qui pourraient nuire aux consommateurs, qu’il s’agisse de comportements unilatéraux ou coordonnés entre entreprises.

Au cas où un nombre important d’entreprises ne survivrait pas à la crise actuelle, la conséquence sera celle d’une concentration accrue des marchés et ainsi une potentielle augmentation du nombre d’entreprises en position dominante.
Pierre Barthelmé

Pierre BarthelméprésidentConseil de la concurrence

À moyen et long termes, nous surveillerons également les structures du marché dans les différents secteurs économiques. La crise actuelle posera de grands défis à de nombreuses entreprises. Au cas où un nombre important d’entreprises ne survivrait pas à la crise actuelle, la conséquence sera celle d’une concentration accrue des marchés et ainsi une potentielle augmentation du nombre d’entreprises en position dominante.

Pour ces raisons, le Conseil suivra de près l’évolution de ces marchés afin de prévenir tout préjudice pour les consommateurs et entreprises.

J’invite enfin les entreprises qui s’estiment victimes de pratiques anticoncurrentielles à contacter le Conseil et rappelle l’existence de notre programme de clémence. Il permet d’accorder un traitement favorable aux entreprises qui dénoncent et coopèrent avec le Conseil de la concurrence, afin de mettre au jour et sanctionner les cartels.»