Leasinvest Real Estate et Extensa ont fusionné en septembre 2021. Pouvez-vous nous en dire plus sur les raisons de cette fusion, dont le fruit est Nextensa?
Michel Van Geyte. – «Leasinvest était présent depuis 20 ans en bourse, et nous y sommes d’ailleurs toujours cotés. Mais nous étions une société immobilière réglementée (SIR), c’est-à-dire un fonds immobilier qui doit répondre à plusieurs contraintes, dont celle qui nous interdisait de développer et revendre les bâtiments. S’il y avait un profit exceptionnel à faire, nous ne pouvions l’envisager et passions donc à côté de belles opportunités.
L’autre raison est que Leasinvest voulait moderniser son portefeuille dans la voie de la durabilité. Or, parce que nous devions garder un certain niveau de dividende, c’est-à-dire qu’il faut redistribuer au moins 80% du profit, il nous était très difficile de revendre les bâtiments.
Au vu de tous ces éléments, le groupe d’investissement Ackermans & van Haaren (AvH) (qui a un pourcentage de participation dans Nextensa à hauteur de 58,5%, ndlr) a décidé de fusionner deux acteurs de son portefeuille: Extensa – qui se limite au projet de Tour & Taxis à Bruxelles et à une participation à moitié avec Promobe dans la Cloche d’Or à Luxembourg – et Leasinvest Real Estate.
La raison de cette fusion est de créer une position unique sur le marché, dans le sens où Nextensa est désormais à la fois développeur et investisseur. Ce qui veut dire que nous gardons les bâtiments dans notre portefeuille tant qu’ils sont durables. Nous valorisons le plus possible ce portefeuille, puisque nous pouvons y effectuer tout l’éventail de l’immobilier, à savoir la position (achat du terrain), la construire (project management et project development), la location (asset management) et l’exploitation (property management). Toutes ces étapes sont réalisées aux meilleurs niveaux possibles, puisque c’est dans notre propre intérêt.
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Quels sont les impacts pour le Luxembourg?
«Au Luxembourg, nous avons toujours été investisseurs. Avec la participation financière dans Promobe, qui est impliqué à travers Grossfeld PAP dans le développement la Cloche d’Or, nous avions aussi un peu la revente. Peut-être qu’à l’avenir nous allons aussi conserver un ou deux bâtiments dans notre portefeuille, ce qui n’a jamais été le cas auparavant.
Est-ce que cette fusion était un acte de survie dans ce marché qui est très concurrentiel?
«Ce n’était certainement pas une manœuvre de survie, car nous avons quand même un bilan de 2 milliards. Mais plutôt une réponse à cette nouvelle tendance que les développeurs veulent aussi créer un recurrent cashflow, un flux financier qui provient d’une part de la vente des appartements, mais surtout du flux des loyers qui est assuré par l’asset management de notre portefeuille. Grâce à cette base de revenus fixes, nous pouvons garantir une augmentation de dividende année par année. Et nous avons par ailleurs la liberté de revendre et de prendre un profit si nous le souhaitons. Cette fusion nous permet donc d’avoir plus de liberté dans nos décisions.
Cette fusion s’est conclue en septembre 2021, en pleine période Covid. Est-ce que ce moment singulier a influencé certaines décisions?
«Oui, car 50% de notre portefeuille était du retail et nous avons beaucoup souffert pendant la pandémie, notamment dans les deux Knauf dans le nord du Luxembourg. Nous avons aussi 10% dans la société Retail Estate qui a fort descendu en valeur. Cela nous a fait un peu de mal et a accéléré nos décisions. Mais le grand avantage de la pandémie est que nous avons pu faire toute cette fusion de manière très discrète, puisque tout s’est fait depuis nos maisons!

La fusion a pu se faire dans la plus grande discrétion grâce au télétravail imposé pendant la pandémie. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)
Quel effet a eu la pandémie sur la gestion de votre portefeuille?
«Un fort ralentissement, sauf au Luxembourg, où cela s’est vite rétabli. Par ailleurs, je suis convaincu que les surfaces de bureaux vont être diminuées et que les bâtiments durables vont gagner en valeur. Jusqu’à présent, je n’ai jamais vu à Bruxelles une augmentation significative des prix des loyers. Or, c’est ce qui se passe actuellement pour les bâtiments durables. Luxembourg va suivre cette tendance à n’en pas douter. Il ne faut pas rater le coche. Les entreprises veulent que leur image, et donc leurs espaces de travail, soit associée à cette notion de durabilité.
Donc, oui, il y a un ralentissement, mais les bureaux ne vont pas disparaître du jour au lendemain, tout comme les boutiques ou les restaurants vont aussi rester, pour la simple et bonne raison que les êtres humains sont des êtres sociaux et ont besoin de se voir et d’être ensemble.
Pensez-vous que le prix de vente au Luxembourg, qui est aujourd’hui à un niveau élevé, est toujours en adéquation avec la valeur du marché?
«Dans l’asset class bureau, le prix du loyer a toujours eu une bonne croissance et je ne pense pas que cela va s’arrêter. Les yields auxquels on achète actuellement vont peut-être changer. En tant qu’économiste, j’ai tendance à penser que l’inflation actuelle va réduire l’intérêt. Toutefois, il y a encore beaucoup d’argent sur le marché, et l’immobilier de bureaux peut rester une classe d’actifs intéressante pour l’investissement.
Par contre, l’immobilier vu comme un ‘hedge against inflation’ ne serait pas le cas dans le retail. Après les difficultés que nous venons de vivre avec la pandémie, il n’est pas possible de demander une augmentation de loyer à un commerçant. Il me semble plus judicieux de parler avec les locataires et de trouver un arrangement pour qu’ils tiennent le coup, car un locataire qui tombe en faillite est beaucoup moins intéressant qu’un locataire qui paie un peu moins.
Pour le résidentiel, qui nous occupe aussi au Luxembourg, les prix sont de nouveau à la hausse. Est-ce que nous sommes au sommet? Je ne sais pas… Peut-être qu’avec les prix de l’énergie, la hausse des produits de première nécessité, il y a aura moins d’argent disponible pour rembourser des prêts immobiliers.
Je ne serais pas étonné de voir arriver des fonds institutionnels qui achètent des blocs d’appartements pour les mettre en location.
Pensez-vous que cette remarque est valable même au Luxembourg?
«Il est vrai que Luxembourg est un marché particulier. Il y a à la base un fort pouvoir d’achat, et la croissance de population n’est pas une croissance de population pauvre. Les nouveaux arrivants ont du travail, des salaires convenables, et n’hésitent pas trop à dépenser. Le fait que les prix augmentent n’est finalement pas un si grand frein pour eux. Par contre, si les prix de l’immobilier continuent à augmenter, le marché de la location va naturellement s’accroître. Je ne serais pas étonné de voir arriver des fonds institutionnels qui achètent des blocs d’appartements pour les mettre en location. Mais il est vrai que Luxembourg reste un marché particulier, car la gérance des fonds, la sécurité, les conditions de travail, l’infrastructure publique sont tout à fait uniques. C’est un pays qui s’est bien battu au niveau fiscalité aussi, car même si Luxembourg n’est plus un paradis fiscal, toutes les banques ont tenu leur gérance de fonds, et je ne peux que féliciter le gouvernement luxembourgeois sur ce qu’il a réussi à accomplir.
Votre venue au Luxembourg est liée à la mise sur le marché du business center EBBC, rebaptisé «Moonar». Cet ensemble de bureaux a été acquis en plusieurs étapes. Pouvez-vous nous en expliquer l’acquisition?
«En 2006, le bâtiment D était dans le portefeuille de Dexia Immo Lux, que nous avons repris dans son ensemble. Puis en 2017, nous avons acheté deux autres bâtiments qui appartenaient à Aerium. En 2018, nous avons systématiquement augmenté notre participation dans le certificat immobilier Lux-Airport géré par la KBC en Belgique et qui comprenait les blocs B et E de l’EBBC. Ces actions à l’époque étaient basses, car bien qu’on pense que Luxembourg ait toujours été un marché florissant, au début des années 2000, certains actifs avaient perdu beaucoup de leur valeur. Nous avons profité de cette situation pour acheter au fur et à mesure plusieurs parts, jusqu’à 70% des actions. À ce moment-là, nous sommes sortis du bois, avons acheté les 30% restants par une sorte de ‘squeeze out’. Nous avons ainsi acheté aux valeurs réelles deux bâtiments pour le prix d’un seul. C’est comme cela qu’on a acquis les cinq bâtiments. Le seul bâtiment qui ne nous appartient pas est le bâtiment H, qui appartient à J.P. Morgan.
Pourquoi avez-vous choisi d’investir dans ce business park aujourd’hui vieillissant?
«Dans le temps, chez Leasinvest nous aimions bien redévelopper des valeurs pour les remettre ensuite sur le marché. Cet ensemble immobilier correspondait donc à notre cœur de métier.
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Redévelopper des bâtiments existants est pour vous plus intéressant que de démolir et reconstruire? Pourtant on sait que rénover est souvent plus coûteux que de reconstruire…
«Cette tendance existait déjà avant, mais depuis les deux dernières années, elle s’est accentuée, car la durabilité est de plus en plus à l’ordre du jour. C’est aussi une des raisons pour lesquelles nous avons constitué Nextensa l’année dernière, pour être une organisation exemplaire au niveau de la durabilité. La circularité des bâtiments est très importante. Or, les bâtiments de ce business park ont une identité architecturale forte dont il serait dommage de se priver. Redonner une nouvelle vie à des bâtiments devient une des spécialités de Nextensa. Certains bâtiments ne s’y prêtent pas, évidemment, mais ici, il y avait un beau potentiel à exploiter et à remettre en valeur.
Quel est le montant de l’investissement prévu dans Moonar?
«Plus de 35 millions d’euros. Notre volonté est de créer un parc post-corona, dont l’échelle reste humaine, avec des zones de rencontre, des brainstorm rooms, des services… C’est la voie sur laquelle Nextensa veut aller au Luxembourg. Les travaux vont durer deux ans, et la mise sur le marché maintenant permet d’apporter les modifications éventuelles que souhaiteraient les futurs locataires.
Est-ce que les espaces de coworking sont intéressants pour vous? «Absolument, on en a déjà et en avons développé nous-mêmes. Le secret est de trouver la bonne combinaison. Il ne faut pas faire que du coworking, car ce n’est pas assez rentable. L’idéal est d’avoir un bon mix, ce qui permet aux sociétés qui sont en location d’envisager une expansion dans un coworking ou un business center.
Quelles sont vos ambitions de développement au Luxembourg?
«Nous sommes très heureux ici. La seule difficulté, c’est que, depuis 2006, date à laquelle nous sommes arrivés au Luxembourg, d’autres acteurs ont aussi découvert ce marché et ont envie d’avoir leur part du gâteau. Or, comme vous le savez, tout l’enjeu réside dans la recherche du foncier, qui est devenu ultra-cher. C’est pourquoi il faut être prudent, toujours regarder les petites lignes, voir si un projet est viable à long terme. Je suis toujours surpris de la valeur qui est accordée aux terrains dans les concours avec vente, et à un certain moment, avec les prix actuels pour la construction, il faut vraiment être prudent.
Quelles sont vos priorités de développement?
«Le grand avantage que nous avons maintenant grâce à la fusion est que nous pouvons développer du résidentiel. Nous n’avons pas un portefeuille classique dans le sens où nous n’avons pas un portefeuille d’investissement, mais un portefeuille de redéveloppement, avec plusieurs projets qui ont encore beaucoup de potentiel. Nous avons donc du travail pour plusieurs années.
À quel pourcentage s’élève à peu près ce potentiel de redéveloppement?
«C’est environ 80% de notre portefeuille. En fait, seuls les centres commerciaux n’ont pas vraiment besoin à l’heure actuelle de redéveloppement. Tous les autres biens fonciers que nous possédons peuvent évoluer. Comme ce projet du business park. Nous sommes actuellement à un prix de 24€ par mètre carré et nous estimons qu’il y a une marge pour aller jusqu’à 32-34€/m2. C’est pour cela que nous investissons de manière conséquente dans ce projet, afin de le relancer sur le marché à un autre niveau.
Pour d’autres immeubles, nous avons fait le choix de la revente et de prendre la valeur ajoutée. C’est le cas par exemple de . À certains moments, il faut aussi savoir prendre la valeur existante et remettre cet argent dans d’autres projets. Cette fusion nous permet de créer plus de rotations dans le portefeuille.
En tant que développeur, notamment à la Cloche d’Or, vous êtes amené à développer de nouveaux quartiers. Quelle est votre approche de l’urbanisme?
«L’ambition de Nextensa est de créer des villes du quart d’heure. La Cloche d’Or ou Tour & Taxis sont conçus dans cette perspective, avec des accès à proximité d’espaces de travail, de logements, de commerces et de loisirs. Le tout s’intègre dans l’extension d’un tissu urbain existant. Ce n’est pas facile à faire, car il faut parvenir à acheter de grands sites et avoir beaucoup de patience, car ces projets prennent beaucoup de temps.
Pas de présence au Kirchberg?
«On y est beaucoup moins. Nous avons fait plusieurs tentatives, mais à chaque fois c’était trop cher. Nous aurions dû acheter il y a cinq ou six ans tout ce qu’on nous présentait. Mais nous ne l’avons pas fait à l’époque… Aujourd’hui, c’est une frustration dans le groupe, mais c’est ainsi!
Et Belval?
«Belval… vous aimez ou vous détestez… Chapeau à ce qui a été fait, mais pour moi Belval reste un site périphérique. Comme développeur, pourquoi pas, mais comme investisseur, je suis moins enthousiaste. Tout comme je ne suis pas convaincu non plus par Leudelange. Si vous regardez à Belval, beaucoup des surfaces de bureaux sont louées par l’État. Je préfère que les immeubles soient liés à la vraie économie plutôt qu’à des subsides. Raison pour laquelle également nous n’avons jamais investi dans les maisons de repos.
Avez-vous de grands projets au Luxembourg?
«Nous regardons plusieurs projets, mais il faut les gagner. Pour le moment, nous sommes surtout occupés à regarder ce qu’on peut faire avec notre portefeuille et à la Cloche d’Or.»