Ce n’est pas peu dire que Benoît Leonardis revient de loin. À seulement 40 ans, il a connu des jours sombres, très sombres, caché au fond d’une cave à fumer du crack. Lorsqu’il se remémore sa jeunesse, il se rappelle toujours avoir été un enfant turbulent et agité. «Je n’arrivais pas à rester en place, être assis calmement m’était impossible, se souvient-il. Il fallait que je bouge, que je parle, que j’attire l’attention.» Et pour cause: Benoît Leonardis souffre d’un trouble de déficit de l’attention (TDAH), mais sans qu’il soit alors diagnostiqué comme tel. «Cette difficulté psychologique m’a amené à avoir des problèmes d’identité. Je voulais attirer l’attention, être le plus beau, le plus fort… Jeune adulte, j’étais très coquet et prenais soin de moi. Je faisais beaucoup de sport, surtout du tennis de table et du football, mais un accident physique m’a contraint à arrêter. C’est là que les choses ont commencé à déraper.»
D’abord pour la fête…
Privé de sport, Benoît Leonardis commence à sortir pour s’occuper. Il fait la fête, de plus en plus tard, et fréquente plus assidument le monde de la nuit. Lui qui n’a même jamais fumé de cigarettes commence à fumer de la marijuana. Mais il a une vie professionnelle et sociale stable, il «maîtrise», comme il dit lui-même, il s’amuse dans ce monde nocturne et festif. Pourtant, la marijuana ne suffit plus et il essaie la cocaïne, «de manière récréative» dans un premier temps. Pendant quelques mois…
Puis un jour, il voit chez son dealer une pipe à crack. Curieux, il demande à essayer. Et là, l’effet n’est pas du tout le même. Il reçoit «comme un coup de poing dans la figure». Lui qui a toujours des pensées agitées, une hyperactivité mentale permanente – due à son TDAH –, tout à coup, tout se calme. «Mon chaos mental s’est apaisé. J’ai trouvé ça absolument génial. J’étais dans un état que je n’avais jamais connu. Et, du coup, j’ai voulu recommencer.»
J’étais dans le déni d’une addiction.
Le jour, Benoît Leonardis va au travail, continue à occuper son poste de manager, et exerce son activité en horaires décalés. Des conditions de travail qui lui permettent de ne pas croiser trop de monde, et de profiter pleinement de ses fins d’après-midi et de ses soirées. «Au début, je pensais vraiment que je gérais complètement ma consommation, explique-t-il. J’en prenais le week-end et il y avait même des périodes pendant lesquelles je ne me droguais pas du tout.»
… puis la descente aux enfers
«En 2017, j’ai fait une grosse rechute. Je prenais du crack tous les jours. Dès qu’arrivait 14h, j’attendais impatiemment 16h, la fin de mon travail, pour aller me droguer. Au début c’était facile, car j’avais un bon salaire. Mais ma consommation a augmenté et mes besoins financiers avec. Jusqu’à 300 euros par jour dépensés pour ma drogue. En plus des problèmes d’addiction sont alors arrivés les problèmes financiers. J’ai même volé ma famille et mes collègues», confie-t-il, honteux.

x (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)
Autour de lui, ses proches s’aperçoivent bien que quelque chose ne va pas. Mais comme il vient d’être promu, il prétexte du surmenage au travail, un burn-out. «J’ai perdu beaucoup de poids et j’ai essayé de le cacher. Je mettais des joggings sous mes pantalons et des pulls sous mes chemises pour me donner plus de corpulence.» Il évite alors tout contact social, ne va plus manger avec ses collègues, ne voit plus ses amis. Tout son temps libre, il le passe seul dans une maison qu’un copain lui prête, à fumer du crack dans le sous-sol pour rester discret. «J’étais complètement dans le déni d’une quelconque addiction. Pour moi, je maîtrisais la situation.» Sa santé et son hygiène se dégradent également. «Je ne me lavais plus. La maison que j’habitais était devenue un vrai taudis. Et tous les soirs je me disais que ça suffisait. Que j’allais arrêter. Mais la trêve ne durait pas et, le lendemain, je recommençais. J’étais devenu un vrai toxicomane et j’habitais dans l’antre du démon.»
Remonter la pente
Un jour de 2018, à 37 ans, il fait une crise de tachycardie. Il ne sait pas exactement comment, mais il se retrouve à l’hôpital. Là, il voit le médecin qui lui donne sur un bout de papier le numéro d’un addictologue. Pas suffisant. Il rentre chez lui et continue à se droguer. Mais, après deux jours, il trouve quand même le courage de prendre rendez-vous, «car j’avais peur que ma famille me découvre mort dans cette cave».
C’est alors qu’un nouveau chemin s’ouvre à lui. Parce qu’il est encore salarié, il peut être pris en charge pour aller dans un centre spécialisé aux Pays-Bas. «Au bout de quatre jours sans drogue, j’ai commencé à retrouver ma lucidité.» Le chemin est difficile et le sevrage douloureux, mais il se sait en sécurité et entouré par des professionnels, donc il fait confiance et accepte de se faire aider. «J’ai ressenti une forte compassion et j’ai eu l’impression d’être compris. L’équipe soignante m’a donné les outils pour m’en sortir, un apprentissage dont je me sers encore aujourd’hui.» Il affronte cette réalité aussi avec ses parents, auxquels il avoue tout.
De retour au Luxembourg, la situation n’est pas facile. Aucun accompagnement n’est prévu, aucun encadrement pour l’aider à ne pas replonger. «Heureusement, je me sens fort et je refais du sport, ce qui m’aide énormément.» Aujourd’hui, Benoît Leonardis a repris une activité professionnelle, il a une petite amie et apprend à maîtriser son TDAH, mais autrement que par la drogue…

x (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)
Cet article a été rédigé pour l’ parue le 27 novembre 2021. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine, il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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