Fabrice Eusani, 53 ans, en rééducation au Rehazenter. Ce chauffeur de bus devrait bientôt reprendre le travail après plus d’un an d’arrêt. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Fabrice Eusani, 53 ans, en rééducation au Rehazenter. Ce chauffeur de bus devrait bientôt reprendre le travail après plus d’un an d’arrêt. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Âgés de 47 ans en moyenne selon le CHL, beaucoup de patients atteints de Covid long sont donc au milieu de leur carrière professionnelle. Prise en charge de l’arrêt maladie, reprise progressive du travail voire changement de poste: zoom sur leur parcours parfois semé d’embûches.

«Je suis guéri, mais je ne suis pas rétabli.» Le 8 novembre 2020, Fabrice Eusani est hospitalisé après avoir contracté le Covid-19. Il le restera sept mois, avant de commencer sa rééducation au Rehazenter, toujours en cours. «Nous commençons à parler de reprise», se réjouit le chauffeur de bus de 53 ans, dont l’arrêt a été progressivement prolongé jusqu’au 3 décembre et validé par des contrôles de la Caisse nationale de santé (CNS). Il doit encore passer devant le médecin du travail, qui jugera de sa capacité à reprendre ou non son poste actuel. Dans le cas contraire, il pourrait être transféré au bureau de régulation des chauffeurs.

«J’ai été dans le coma pendant neuf semaines, où j’ai développé des neuropathies au niveau des membres inférieurs. Mes pieds ne fonctionnent pas correctement, je n’arrive pas à les relever. J’ai des orthèses pour les maintenir», explique Fabrice Eusani. Cela lui a permis de reprendre la conduite, même s’il s’interroge sur la responsabilité que voudra lui donner l’entreprise ou non pour le transport d’autres personnes, et sur une longue durée. Il ne s’attend de toute façon pas à travailler de nouveau à temps plein, ne serait-ce que pour poursuivre ses deux après-midi par semaine de rééducation. Son souffle aussi a été touché.

«Après avoir installé ma fille dans la voiture, il faut que je m’accorde un temps de repos. Quand je monte l’escalier pour aller dans ma chambre, arrivé en haut, je dois m’asseoir», illustre-t-il. «Mes capacités pulmonaires sont à 70% aujourd’hui. C’est quasi inespéré de retrouver 100%, mon pneumologue dit que je peux arriver à 85%.» Il appréhende le retour au travail. «C’est un peu angoissant, cela fait un an que je suis arrêté. Mais cela apporte d’autres satisfactions, vous revenez dans la société.»

Leur premier rendez-vous au CHL constitue une grande étape pour eux, on leur dit ‘oui, vos symptômes sont réels’.

Céline Rezetteen charge de la mise en place des consultations Covid long CHL

Alvaro Dinis Machado, 50 ans, vient quant à lui de reprendre le travail, il y a un peu plus d’une semaine, à un rythme progressif: «Deux à trois heures par jour. Après, cela devient dur, je suis fatigué, j’ai mal aux pieds et aux jambes et des difficultés à me concentrer.» Ce chargé d’affaires en chauffage était arrêté depuis le 8 mars 2020. Ses capacités pulmonaires restent limitées à 55%. Pour la reprise, il a pu s’arranger avec son patron pour choisir ses horaires. Il ne vient au bureau que les mardis, mercredis et vendredis, le lundi et le jeudi étant consacrés à sa thérapie au Rehazenter. Il adaptera son rythme au fur et à mesure pour passer à 4h par jour, 6h, puis 8h quand il sera prêt. En attendant, c’est toujours la CNS qui lui verse son salaire. Même si le retour au bureau est «fatigant», il voit cela comme un «pas en avant».

344 demandes depuis juillet 2021

Jusqu’en juillet, difficile de répertorier le nombre de cas de Covid long, puisqu’il n’existait pas de parcours spécifique au Luxembourg. . Désormais, le Centre hospitalier de Luxembourg (CHL) centralise les consultations. Les patients y sont envoyés par leur médecin lorsque leurs symptômes persistent trois mois après l’infection au Covid-19. L’hôpital les redirige ensuite vers le Rehazenter pour une prise en charge pluridisciplinaire, vers Mondorf pour une rééducation à l’effort, vers le Centre hospitalier neuropsychiatrique (CHNP) pour les difficultés de concentration et la dépression ou encore vers la Clinique des troubles émotionnels (CTE) du CHL pour l’anxiété.

En date du 9 novembre, 344 demandes avaient ainsi été envoyées au service Covid long de l’hôpital depuis son lancement le 7 juillet 2021. Leurs profils ne sont «pas ceux auxquels on s’attend», analyse Arnaud Marguet, en charge avec Céline Rezette de la mise en place des consultations dédiées au CHL. Ils ont en moyenne 47 ans et les trois quarts sont des femmes. Des personnes dans la vie active, donc. Il estime que 10% des patients Covid long sont en arrêt de travail et 10% en reprise progressive.

«Ce ne sont pas forcément les patients qui sont passés en soins intensifs», ajoute Céline Rezette. Ce qui rend les choses «parfois difficiles à comprendre pour l’entourage et l’employeur. C’est difficile à vivre pour les patients. Leur premier rendez-vous au CHL constitue une grande étape pour eux, on leur dit oui, vos symptômes sont réels».

Une prise en charge limitée à 78 semaines

Le Covid long ne fait pas non plus partie des maladies reconnues par la nomenclature de la Caisse nationale de santé (CNS). Les patients atteints peuvent quand même bénéficier d’un remboursement des soins, «sur recommandation du médecin traitant et après accord du contrôle médical de la sécurité sociale», explique la CNS. Pour les arrêts maladie aussi, une validation est nécessaire. Or, «plusieurs patients nous contactent pour nous dire que leur arrêt n’est pas accepté», regrette le service Covid long du CHL.

Jusqu’à quand une personne peut-elle rester en arrêt ou en mi-temps thérapeutique? Interrogée, la CNS nous renvoie vers son . Qui dit qu’en cas d’incapacité de travail, «le salarié a droit au maintien de son salaire de la part de son employeur jusqu’à la fin du mois de calendrier au cours duquel se situe le 77e jour d’incapacité de travail». Ensuite, la CNS «prend le relais et le droit à l’indemnité pécuniaire est limité à un total de 78 semaines» en tout, les 77 premiers jours inclus. Que se passe-t-il après cette date? «Une indemnisation par la CNS n’est plus prévue. Il y a cependant d’autres possibilités», répond la caisse de santé. Elle cite le reclassement professionnel ou l’invalidité.

Des exercices personnalisés au Rehazenter

«Des patients se font virer parce qu’ils sont six mois en maladie», dénonce justement Joachim Renouprez, médecin spécialiste en médecine physique et réadaptation au Rehazenter. D’autres reprennent le travail à la fin de leur thérapie – c’est-à-dire, une fois que «les objectifs fixés au départ sont atteints» – mais reviennent parfois parce que le retour ne s’est pas passé comme prévu.

Pour que cela se passe au mieux, le centre de rééducation personnalise ses exercices. «Par exemple, nous avons eu un chirurgien avec une perte de force: nous avons travaillé spécifiquement sur les mouvements précis avec des vis et des écrous. Pour un serveur, on s’entraîne à porter des plateaux. Un boulanger a travaillé dans notre cuisine pour réapprendre à pétrir la pâte, refaire des mouvements proches de ceux de la pâtisserie.»

J’ai été dans le coma neuf semaines, où j’ai développé des neuropathies au niveau des membres inférieurs. Mes pieds ne fonctionnent pas correctement, je n’arrive pas à les relever. J’ai des orthèses pour les maintenir.

Fabrice Eusani

Des patients peuvent aussi se tourner vers une reconversion, témoignent CHL et Rehazenter – sans statistiques là-dessus. L’Adem n’en dispose pas non plus et affirme que le reclassement dans les cas de Covid long se fait comme pour tout autre. Les démarches sont précisées sur son . Il faut par exemple occuper son poste depuis un minimum de trois ans. Le médecin du travail compétent doit constater l’incapacité d’occuper les tâches, puis la Commission mixte décidera le reclassement professionnel interne ou externe.

Sans perspectives, difficile pour les patients atteints de Covid long de savoir s’ils doivent attendre ou changer de poste. Le Premier ministre n’a pas oublié cette problématique dans son . Au cours duquel il a annoncé le lancement d’un projet Covalux, «une analyse scientifique des séquelles à long terme du coronavirus», physiques comme mentales. De quoi leur apporter peut-être, un peu de visibilité.