Le monde du travail a été profondément touché par la pandémie de Covid-19. On le constate tous les jours, ne fût-ce qu’au niveau sanitaire. Il en va de même pour le marché de l’emploi, ce dernier ayant été tout aussi bouleversé en profondeur par ce que le monde vit depuis désormais presque deux ans.
«Aujourd’hui, comme on peut l’imaginer, un recrutement se fait davantage virtuellement que physiquement», explique Stanislas Dutreil, managing director chez Badenoch + Clark (Luxembourg et Belgique), un des leaders du marché luxembourgeois en matière de recrutement.
Il arrive désormais que plusieurs mois après la signature du contrat, certains employeurs n’aient toujours pas rencontré en chair et en os celui qu’ils ont engagé. C’est le cas chez 5 à 10% de nos clients.
«Cependant, le plus souvent, l’entretien final, le dernier avant l’embauche, reste toujours un rendez-vous en face à face. Mais pas partout. Ainsi, il arrive désormais que plusieurs mois après la signature du contrat, certains employeurs n’aient toujours pas rencontré en chair et en os celui qu’ils ont engagé. Les entretiens s’étant faits en ligne, avant que le matériel nécessaire à la réalisation des tâches ne soit livré au domicile de l’employé, tout comme les différentes autorisations. Cette situation a dû se présenter chez 5 à 10% de nos clients. Mais c’est une chose qu’avant la pandémie, je n’avais jamais vue en 16 ans de carrière…»
Le télétravail est devenu une norme
Comme dans bien d’autres domaines, la crise sanitaire a servi d’accélérateur sur le marché de l’emploi. «En 2019 et début 2020, on voyait déjà, chez certains, un changement au niveau de la politique réservée au télétravail. Mais cela n’avait rien à voir avec ce que l’on connaît aujourd’hui. On se retrouve désormais dans une situation qui aurait dû mettre dix ans à nous arriver normalement…»
Le constat est là: aujourd’hui, «100% des personnes intéressées par un emploi demandent dès le premier entretien ce qu’il en est du télétravail. Alors qu’elles étaient peut-être 1% avant le Covid. Et la majorité pose un refus catégorique si l’entreprise ne le pratique pas. C’est en quelque sorte devenu la norme.»
Pas de différence générationnelle
D’ailleurs, selon Stanislas Dutreil, le taux de candidature pour une offre d’emploi a baissé de 30% en deux ans. Tandis que le «taux de fiabilité» a, lui, diminué de 75 ou 80% à 50%. Comprenez que désormais, seule une personne sur deux s’engageant dans un processus de recrutement ne se désiste pas avant la fin de celui-ci.
«Les explications sont multiples. Mais elles tournent autour du fait que les gens savent ce qu’ils ont, pas ce qu’ils auront. Avec les entretiens virtuels, il est moins possible de créer des liens, de susciter des envies. Beaucoup donnent le sentiment de vouloir laisser passer la tempête sanitaire avant de tâter le marché…»
100% des personnes intéressées par un emploi demandent dès le premier entretien ce qu’il en est du télétravail.
Une constatation valable, apparemment, quel que soit l’âge des candidats. Car, contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’y a pas que les jeunes qui sont devenus plus exigeants. «On ne peut pas faire de généralité générationnelle, effectivement. Cela concerne les jeunes comme les seniors. Les raisons qui les poussent sont différentes, mais la finalité est la même…»
À côté du télétravail, un autre élément entre dorénavant de plus en plus dans l’équation du recrutement: la flexibilité des horaires. «Les demandeurs ne veulent plus systématiquement travailler à heures fixes, de 9h à 18h par exemple. Ils demandent à pouvoir arriver le matin dans une fourchette horaire, entre 8h et 10h par exemple. Et il en va de même le soir. De manière à mieux pouvoir gérer leur vie personnelle: les enfants, les embouteillages…»
La problématique de la fiscalité
Face à une telle mutation, les entreprises n’ont pas le choix, elles sont dans l’obligation de s’adapter. «Du moins si elles veulent attirer les ‘nouveaux talents’… Si elles n’offrent pas un minimum de flexibilité en termes de télétravail et d’horaires, elles perdent clairement en attractivité», explique Stanislas Dutreil.
Mais elles ont aussi bien compris qu’elles pouvaient tirer (en partie) profit de cette situation. Beaucoup ont ainsi décidé de diminuer leur surface immobilière («si tout le monde ne travaille pas au même endroit au même moment, il n’y a plus besoin d’avoir un espace capable d’accueillir 100% du personnel…»), baissant ainsi les coûts.
Mais les réflexions vont plus loin encore. En termes de décentralisation par exemple. «Les très grosses entreprises, comme PwC par exemple, ne sont plus les seules à penser à installer des bureaux au niveau des zones frontalières. De beaucoup plus petites structures le font désormais aussi. Chacun cherche simplement le meilleur montage possible…» Quitte, même, à envisager d’installer des bureaux de l’autre côté des frontières avec la France, la Belgique et l’Allemagne. Tout en compensant du même coup la différence qui se créerait fiscalement au niveau du salaire.
Une fiscalité qui sera forcément au cœur de toute cette problématique dans les prochains mois. Car personne n’a oublié que les mesures dérogatoires liées au télétravail en période de Covid prendront bien fin un jour…