Où placer le curseur de la voiture autonome? Si le Luxembourg se montre trop conservateur, il risque de ne pas attirer les entrepreneurs du secteur à Bissen, dans le sillage de Pony.ai. S’il est trop progressiste, il s’exposera à la colère des assureurs et de l’opinion publique au moindre incident impliquant un véhicule autonome sur ses routes. Les décisions sur le futur cadre réglementaire – attendues cette année? – sont donc complexes, d’autant plus que le secteur est en pleine effervescence.
Le Consumer Electronics Show de Las Vegas a illustré un double phénomène: d’un côté, les constructeurs «traditionnels» accélèrent sur les technologies de conduite autonome; de l’autre, les nouveaux acteurs de la mobilité renforcent la sécurité de leurs systèmes, désormais capables de se passer totalement de conducteur.
Toyota muscle son jeu avec Nvidia
Toyota a ainsi annoncé l’intégration de la technologie de pointe Nvidia, avec le supercalculateur Drive AGX Orin, spécifiquement conçu pour les véhicules et capable d’effectuer 275.000 milliards d’opérations par seconde (Tops), contre 150.000 milliards pour les trois réseaux neuronaux de la quatrième génération de Tesla. Elon Musk lui-même a reconnu fin 2024 que le mode de conduite entièrement autonome ne répondait pas encore à ses promesses, tout en annonçant une nouvelle version pour 2026. Toyota espère ainsi rattraper et dépasser le leader mondial des ventes de véhicules, qui fait face à deux écueils:
La National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) a ouvert une enquête sur 2,6 millions de conducteurs de Tesla suite à des rapports d’accidents impliquant une fonctionnalité permettant de contrôler la voiture à distance. Les autorités chinoises hésitent à autoriser l’installation des systèmes de conduite entièrement autonome sur les modèles vendus sur le continent. Nvidia s’ancre en Chine Outre Toyota, Uber a également annoncé un partenariat avec Nvidia pour intégrer des technologies d’intelligence artificielle dans ses flottes de robotaxis. Nvidia renforce sa présence en Asie en augmentant ses effectifs en Chine (4.000 personnes) pour développer des solutions de conduite autonome adaptées au marché local, témoignant de ses ambitions mondiales. La présentation de l’IA générative «Cosmos», capable de simuler des environnements photoréalistes pour entraîner les systèmes autonomes, marque une avancée majeure dans ce domaine.
Le nombre d’opérations par seconde est crucial, car il permet à un système d’envisager une multitude de scénarios et de prendre la meilleure décision en cas d’imprévu. C’est précisément cet enjeu de gestion des aléas que des acteurs comme Waymo, filiale d’Alphabet, tentent de promouvoir.
Waymo moins dangereux qu’un conducteur lambda
Fin 2024, Waymo a publié avec Swiss Re une étude comparative entre véhicules classiques et autonomes. Sur un total de 41 millions de kilomètres parcourus, son système autonome affiche une nette supériorité en matière de sécurité: une réduction de 88% des accidents matériels et de 92% des accidents corporels par rapport aux conducteurs humains. Les résultats sont encore meilleurs pour les voitures immatriculées entre 2018 et 2021: 86% de réduction des accidents matériels et 90% des accidents corporels. L’étude met aussi en avant l’amélioration des performances des conducteurs de véhicules récents, probablement grâce aux technologies embarquées et à une meilleure expérience de conduite.
Cependant, certains experts en mobilité et sécurité rappellent qu’il faudrait analyser des milliards de kilomètres pour disposer de données suffisamment solides pour comparer différentes technologies. Les études valorisant un acteur spécifique présentent souvent des biais. C’est pourquoi la National Highway Traffic Safety Administration a proposé un cadre national volontaire de transparence – encore amendable – pour établir des standards de référence pour la voiture autonome.
La Chine en arbitre du futur
La Chine pourrait une nouvelle fois imposer ses règles à tous. Avec son gigantesque volume de données, son écosystème dense autour des véhicules et la concurrence féroce entre ses constructeurs, «2025 sera l’année de la démocratisation de la voiture autonome en Chine», selon Paul Gong, analyste chez UBS, lors du webinaire organisé par le South China Morning Post.
Un nouveau modèle d’affaires pour les assureurs
Les assureurs devront également repenser leur modèle: si la technologie réduit le risque d’accidents, elle soulève d’autres enjeux, notamment sur la fiabilité, la cybersécurité et la gestion des données personnelles. Ces données, que les conducteurs devront presque inévitablement partager avec les constructeurs, représentent une manne financière précieuse pour les compagnies d’assurance. Cela pourrait déboucher sur une assurance à deux vitesses: des primes réduites pour les conducteurs respectueux du code de la route et des contrats plus coûteux pour les «casse-cous».
À moins que les régulateurs européens ne se saisissent du dossier pour garantir aux conducteurs le contrôle de leurs données de conduite et de consommation.