Corine Cahen, souvenirs en tête, prenant la pose dans le magasin de la Gare. Toute une histoire…  (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Corine Cahen, souvenirs en tête, prenant la pose dans le magasin de la Gare. Toute une histoire…  (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Le centième anniversaire de l’enseigne Chaussures Léon, dont elle incarne la troisième génération, réveille mille et un souvenirs chez Corinne Cahen, gérante de l’entreprise familiale. Séquence nostalgie.

Vous êtes les tout premiers à l’apprendre, la saga Chaussures Léon va s’étoffer d’un troisième épisode avec l’ouverture imminente d’un magasin dans le nord du pays. À la rentrée de septembre, ce sera acté. «Une opportunité. Les bourgmestres des communes avoisinantes me le demandaient depuis des années. Parfois, il faut oser», expose la gérante, , ravie que ce nouveau cap de franchi coïncide, pile-poil, avec le centenaire d’une enseigne présentée comme la doyenne des chausseurs au Grand-Duché.

À présent députée (DP) et adjointe à la bourgmestre de Luxembourg, (DP), l’ancienne ministre de la Famille et de l’Intégration – ainsi que de la Grande Région – a repris très tôt les rênes de cette entreprise 100% familiale, dont elle incarne la troisième génération.

Une soirée anniversaire est prévue le 13 novembre, à La Belle Étoile, où l’enseigne longtemps portée avec dévotion par son père, André, s’est fixée en 2020. Sans tourner le dos à son riche passé. Lequel continue de se perpétuer, avenue de la Liberté. L’adresse de toujours. Et le point de départ de l’aventure. Là où nichent des souvenirs par milliers.

Chaussures Léon a donc 100 ans tout rond. Et Corinne Cahen, moitié moins. Pendant une heure, elle s’est livrée. A raconté. Avec flamme. Et beaucoup d’émotion, aussi. Pouvait-il en aller autrement?

Chaussures Léon et vous, c’est une histoire au long cours. Une histoire de toujours…

Corinne Cahen. – «Je suis née dans une chaussure! Chaussures Léon, c’est ma maison. Enfant, j’y ai passé plus de temps que chez moi. Après l’école, j’y allais faire mes devoirs. Sur place, j’y ai eu plein de mamans, plein de sœurs. Plein de filles, aussi, ensuite, en plus des miennes. Oui, c’est ma maison…

Sa principale caractéristique?

«Une véritable entreprise familiale. Au sein de laquelle on se serre les coudes. Des vendeuses nous ayant rejoints durant leur apprentissage ne nous ont quittés qu’au moment de prendre leur retraite. Les gens restent, chez nous. Certains qui étaient partis sont revenus. C’est que ça ne doit pas être mieux ailleurs!

Pardon, mais le coup de l’entreprise familiale où tout le monde est proche, solidaire, complice, ça ressemble un peu à du storytelling, non?

«Je vous donne un exemple… Un jour, une de nos ‘filles’ a touché un petit héritage. Elle vivait alors dans un petit appartement précaire, à Gasperich. Je lui ai donné pour conseil de consacrer la somme qu’elle avait perçue à l’achat d’un logement. Dans mon esprit, un toit, c’est l’élément le plus important. Alors nous sommes parties, ensemble, visiter quelques appartements. Elle a fini par en trouver un, à Bonnevoie. Elle y vit toujours…

Parlez-nous de votre père, André, disparu en 2020. Avant vous, c’était lui le patron. Et ce, depuis son plus jeune âge…

«Il n’a vécu que pour ce magasin. C’était sa vie. Je regrette qu’il ne soit plus avec nous pour les 100 ans de l’enseigne. J’y pense chaque jour.

En vacances, on allait voir tous les magasins de chaussures. Tous.
Corinne Cahen

Corinne CahengéranteChaussures Léon

Comment se traduisait sa passion?

«En vacances, on allait voir tous les magasins de chaussures. Tous. Les usines aussi. Tout tournait autour de cela. Mon père avait coutume de dire qu’il y a deux choses essentielles dans l’existence: un matelas et des chaussures. Parce qu’on passe un temps inouï sur l’un et dans les autres.

Le commerce en général, et la chaussure en particulier, était-ce une vocation chez lui?

«Enfant, il s’était rêvé pâtissier. Rêve qui lui attirait des moqueries, car il aimait bien dormir. Attention, chaque matin il était bel et bien présent au magasin dès 9h tapantes! Mais pour être pâtissier, il aurait fallu se lever plus tôt… Son propre père est décédé le jour de ses 18 ans. Il se trouvait que son meilleur ami était Léon. Mon père s’est pris de passion pour le cuir, le pied. Et surtout pour les gens.

Vous, là-dedans? Votre sœur Magali, votre mère Paulette, et vous-même?

«Sa famille était primordiale à ses yeux. Il se sentait investi d’une immense responsabilité.

Quel patron était-il?

«Le paradoxe, c’est que c’était quelqu’un de réservé. Timide. Sauf au magasin. Mais ce n’est pas un rôle qu’il tenait, pas un numéro de comédien. Vendre pour vendre ne l’intéressait guère. Il aimait profondément ce qu’il faisait.

Avec votre mère à ses côtés. Sa plus robuste alliée?

«Ma mère travaillait autrefois à l’Arbed. Quand elle a été enceinte de moi, elle a arrêté. Avant de reprendre, au magasin. Elle tenait la caisse. Elle a travaillé toute sa vie, ce qui n’était pas le plus répandu chez les femmes de sa génération. Et non seulement elle travaillait, mais en plus elle s’occupait de la maison. Et des repas. On mangeait en famille trois fois par jour. À chaque fois du 3 étoiles Michelin. Ma mère a un grand degré d’exigence vis-à-vis d’elle-même.

Mes parents étaient discrets. Moi, je n’ai pas ce tempérament. Je suis d’une nature curieuse.
Corinne Cahen

Corinne CahengéranteChaussures Léon

Vous avez pris la relève au début des années 2000, et pourtant ce n’était pas votre choix premier puisque vous aviez d’abord opté pour le journalisme. On rembobine?

«Mes parents étaient discrets, ils vivaient plutôt cachés. Moi, je n’ai pas ce tempérament. Je suis d’une nature curieuse. Et comme le plus important pour mes parents comme pour moi était de faire des études… Je voulais être Anne Sinclair. Je rêvais de journalisme politique.

Dans quelles conditions s’est opérée la bascule entre journalisme et commerce?

«J’animais alors la matinale sur RTL. À 10h ou 10h30 du matin, ma journée était terminée. J’appelais mes copains pour leur proposer un café, mais eux me répondaient que, non, ce n’était pas possible, puisqu’ils étaient au travail. Résultat, je filais au magasin où je travaillais jusqu’à 6h du soir…

De là à lâcher le journalisme…

«J’ai posé trois conditions. Premièrement, que le magasin reste ouvert entre midi et deux. Deuxièmement, que l’on refasse les vitrines, que je trouvais «vieux jeu». Troisièmement, que je dispose d’un ordinateur.

Et vous avez été entendue?

«Sur les trois points (sourire).

Entretenir le flambeau familial, c’était pour vous comme un devoir?

«Une histoire de cœur, surtout.

En politique, on ne peut pas avoir uniquement des représentants issus du public.
Corinne Cahen

Corinne CahengéranteChaussures Léon

Mais une histoire que vous avez plus ou moins mise en sourdine, pendant dix ans, lorsque vous avez été nommée au gouvernement. On vous a reproché d’être ministre et cheffe d’entreprise. Ces critiques, vous les avez accueillies comment?

«J’ai eu plein de shitstorms à cause de ça. Lorsqu’on fait de la politique, on représente des gens qui travaillent tous les jours. C’est complètement ridiculissime de faire comme s’il s’agissait d’un crime de mettre un pied dans son entreprise lorsqu’on est ministre. Au début, on m’avait d’ailleurs conseillé de donner mes parts du magasin à mes parents, à ma sœur Magali, ou à mon conjoint. J’ai refusé. Il suffisait d’écrire sur le site du gouvernement que 100% des parts des Chaussures Léon m’appartenaient. Ce qui a été fait.

En politique, on ne peut pas avoir uniquement des représentants issus du public. C’est très dangereux. On a besoin d’une bonne représentativité dans beaucoup de secteurs. Cela m’a beaucoup affectée, et cela m’affecte encore maintenant car les gens issus du privé sont beaucoup plus vulnérables sur la scène politique. Ce que je regrette, également, c’est le fait qu’en tant qu’entrepreneur ou chef d’entreprise, vous soyez tout de suite placé dans une case. La catégorie des gens riches, qui ne s’intéressent pas aux autres, etc. Cette vision du patron est ridicule. Ce que l’on veut, c’est que les employés aillent bien. L’inverse ne serait dans l’intérêt de personne. Chaussures Léon en apporte la démonstration. Alors ces attaques, cela m’atteint.

Quelle valeur revendique la cheffe d’entreprise que vous êtes?

«L’humain. Autant au niveau des clients que du personnel. Notre masse salariale est énorme, on investit vraiment sur ce point.

Et s’agissant du produit que vous commercialisez?

«Je m’intéresse au lieu de fabrication de la chaussure que je commande, et aux conditions de fabrication. On ne peut jamais être sûr à 100%, mais on préconise les marques conçues en Europe. Je ne vendrais pas des modèles dont je saurais qu’elles ont été fabriquées par des enfants.

Comment être sûre et certaine que ce que vous proposez en magasin, et qui donc vous plaît, va également plaire à la clientèle?

«Si j’ai un doute entre deux modèles à commander, je prends les deux. On a la chance de pouvoir se le permettre. Et d’avoir par conséquent un énorme choix.

Les tendances, la mode?

«Mon père disait: ‘Ce qui ne change pas, c’est que les talons sont toujours derrière.’ L’ambition, c’est de proposer des chaussures qui plaisent aux pieds autant qu’aux yeux, au cœur, et au ventre.

La question à se poser, c’est plutôt: quel jeune voudrait aujourd’hui ouvrir un commerce?
Corinne Cahen

Corinne CahengéranteChaussures Léon

À propos de cœur… Comment concevez-vous l’avenir du commerce en cœur de ville, vous qui maintenez l’activité de l’adresse «historique» du quartier Gare?

«Si ce magasin existe toujours, c’est par le cœur. On ne gagne pas d’argent à la Gare en ce moment… Mais la question à se poser, c’est plutôt: quel jeune voudrait aujourd’hui ouvrir un commerce? Vous travaillez du lundi au samedi, vous faites de l’administratif le dimanche, vous ne partez pas souvent en vacances. Alors que si vous êtes fonctionnaire… Le commerce est devenu de plus en plus difficile. Il y a toujours davantage de contraintes, de règlements. Il faudrait une simplification administrative. Pour que les commerçants ne soient que commerçants.

En 2020, vous avez fermé une adresse, dénommée City Shoes et installée boulevard Royal, pour ouvrir à La Belle Étoile…

«Pour l’entreprise, c’était une très bonne décision. Mon papa, alors très malade, était réticent. Je me suis lancée quand même. D’autant que mes vendeuses étaient partantes. Et si je suis heureuse aujourd’hui, c’est parce que mon père, avant de nous quitter, a convenu, lui aussi, que c’était la meilleure décision.

Ce premier siècle d’existence bouclé, on se revoit dans cent ans?

«Ou tous les dix ans plutôt, non? Ou chaque année, si vous voulez!»