Vincent Hein, économiste au sein de la Fondation Idea. (Photo: Fondation Idea)

Vincent Hein, économiste au sein de la Fondation Idea. (Photo: Fondation Idea)

La situation en matière de mobilité, proche de la thrombose, a appelé en 2018 l’élaboration d’une stratégie pour une mobilité durable (MODU 2.0) par le gouvernement. Avec des objectifs (très) ambitieux, sur un horizon temporel de surcroît très court (2025). À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles? Éléments de réponse avec Vincent Hein (Fondation Idea)

Ce n’est un secret pour personne, le Luxembourg souffre de congestion routière… (et même ferroviaire). Le TomTom Traffic Index montre qu’en 2018, il fallait ajouter en moyenne 33% au temps de trajet théorique pour un déplacement en voiture. Dans ce classement mondial de 403 aires urbaines, Luxembourg est la 64e ville la plus encombrée. Ce temps additionnel culmine à 70% aux heures de pointe, ce qui signifie qu’un trajet théorique de 30 minutes en prend alors plus de 50.

On sait que 73% des salariés utilisent leur voiture pour se rendre au travail, 19% prennent les transports en commun, 6% se déplacent à pied et 2% à vélo d’après l’enquête Luxmobil de 2017. Si l’on applique cette répartition modale aux 254 nouveaux salariés hebdomadaires que compte le Luxembourg, cela représente 155 voitures supplémentaires, 48 passagers des transports en commun (l’équivalent d’un bus), ainsi que 15 piétons et 5 cyclistes… Chaque semaine!

Le gouvernement mise (surtout) sur le covoiturage

En 2018, le Luxembourg s’est doté d’une «Stratégie pour une mobilité durable» (Modu 2.0) qui ambitionne, à l’horizon 2025, de «réduire la congestion aux heures de pointe, tout en transportant 20% de personnes de plus qu’en 2017». Concrètement, si le nombre de salariés augmentait de 20%, en comparaison à un scénario dans lequel les nouveaux salariés de 2025 se comporteraient de la même manière que ceux de 2017, la stratégie reviendrait à réduire de 73.000 le nombre d’autosolistes d’ici 2025.

Si l’on fait l’hypothèse d’une évolution linéaire du comportement des salariés en matière de mobilité, cela reviendrait, pour l’année 2020, à «convertir» environ 9.000 autosolistes. Parmi eux, 4.200 devraient devenir des passagers de covoiturage, 1.700 des usagers des transports en commun, 1.900 des piétons et 1.200 des cyclistes! Ces projections, déjà impressionnantes, pourraient même être sous-estimées. En effet, le gouvernement tablait, dans sa stratégie, sur une hausse de 20% du nombre de salariés entre 2017 et 2025, alors que les tendances récentes, si elles se poursuivent, dessinent plutôt une progression de l’ordre de 35%…

La stratégie Modu 2.0 mise sur le développement assez massif du covoiturage pour faire baisser la pression sur la mobilité à court terme. S’il est difficile de faire une évaluation précise de l’application Co-pilote lancée en 2018, plusieurs projets autoroutiers comme l’utilisation de la voie de secours de l’autoroute belge E411 (achevée à ce jour), son prolongement prévu côté luxembourgeois sur l’A6, ainsi que la création d’une troisième voie dédiée sur l’A3 (vers et depuis la France) et l’A31 française, ou encore la multiplication des parkings relais pourraient y contribuer.

Mais ces projets ne seront pas livrés avant plusieurs années, et très vraisemblablement au-delà de 2025. D’autres leviers devront assurément être activés pour accompagner ce qui pourrait s’apparenter à une «révolution culturelle express». Car c’est bien de cela qu’il s’agit quand on parle de s’attaquer à l’autosolisme.

Construire l’offre... et inciter la demande

L’enjeu présent en toile de fond derrière ces chiffres ambitieux est celui de la construction d’une offre de «mobilité en tant que service», un vaste chantier qui a en réalité déjà débuté. Mais pour provoquer les nouveaux comportements tant attendus, des incitations (peut-être) «radicalement» nouvelles mériteraient également d’être mises en œuvre. La réforme fiscale qui se préparera en 2020 constituera une «fenêtre de tir» idoine pour agir en la matière.

S’il est important d’inciter les salariés à adopter des comportements «vertueux», encore faut-il s’assurer que le code fiscal ne renferme pas des signaux contradictoires, voire contreproductifs, qui pourraient bien cantonner le changement de paradigme tant souhaité au stade du vœu pieux. Sur ce plan, deux points (au moins) pourraient faire l’objet d’une remise à plat. Le traitement fiscal du leasing de véhicules comme avantage en nature et les conditions de son imposition (quelle que soit sa modulation en fonction de la motorisation des véhicules) fait partie de ces incitants à «l’autosolisme» qui devraient être revus.

Il semble difficile de revenir abruptement sur le traitement fiscal des avantages en nature, car ils remplissent également d’autres fonctions stratégiques, mais il conviendrait néanmoins de réfléchir à une transition vers d’autres modes de gratification, plus en phase avec une vision de la «mobilité en tant que service», voire avec d’autres avantages que ceux liés à la mobilité.

Dans le même ordre d’idée, la déduction des frais de déplacement forfaitaires «sans prise en compte du moyen de locomotion utilisé», bien que plafonnée, pourrait à certains égards être vue comme une «prime à l’éloignement». La moduler selon les modes de transport que l’on souhaite promouvoir pourrait aussi être un objectif recherché.

Passer à côté des ambitions de la stratégie Modu 2.0 serait un (très) mauvais signal pour l’attractivité du pays. Afin d’éviter ce scénario, un engagement renforcé de tous les acteurs concernés avec une responsabilisation partagée (le gouvernement ne pourra pas tout accomplir seul), mais aussi davantage «de créativité» au service des mobilités paraissent inévitables.