Cédric Kaison partage son expertise sur l’immobilier de bureaux. (Photo: Pancake! Photographie)

Cédric Kaison partage son expertise sur l’immobilier de bureaux. (Photo: Pancake! Photographie)

Alors que l’on parle de reconversion d’immeubles, d’intensité d’usage et de chronotopie en immobilier à l’échelle internationale, le Luxembourg semble à la traîne sur ces questions. Nous avons interrogé le head of advisory Luxembourg chez BNP Paribas Real Estate, Cédric Kaison, pour savoir si ces questions sont d’actualité pour leurs clients.

La question de la conversion des immeubles est-elle un sujet que vous abordez souvent avec vos clients, qui sont majoritairement des investisseurs privés et institutionnels?

Cédric Kaison. – «C’est en effet un sujet qui a été mis sous le feu des projecteurs avec la question du développement durable, mais c’est une préoccupation qui remonte à bien plus longtemps de la part des investisseurs. Depuis que je suis actif dans ce milieu, la question de la conversion des immeubles de bureaux, qui sont les principaux objets d’investissement au Luxembourg, s’est toujours posée. Les investisseurs se posent inévitablement la question de la pérennité du bien visé et se demandent donc si les besoins resteront les mêmes ou s’ils sont susceptibles d’évoluer ou même de se transformer à la faveur d’une autre affectation qui deviendrait plus dominante. L’investisseur doit penser à la valorisation du bien pour une revente future afin de faire circuler ses actifs. Va-t-il parvenir à créer de la valeur avec celui-ci, et si oui, comment? Si le besoin en aménagement de bureaux évolue, il est toujours possible d’envisager une rénovation ou une transformation. Mais si le besoin en surface de bureaux diminue et qu’une autre affectation devient plus dominante, il faut voir si l’immeuble peut être converti.

Connaissez-vous un exemple de conversion au Luxembourg, car à ma connaissance, cela reste très peu fréquent?

«Effectivement, on en parle beaucoup, mais pour le moment, il n’y a que très peu d’exemples concrets. Ce qui n’est pas le cas dans d’autres capitales où des immeubles de bureaux obsolètes situés dans des quartiers résidentiels ont été convertis en appartements, parce que la demande locative pour les bureaux était plus faible. À Luxembourg, le taux de vacance pour les bureaux a toujours été très faible et la tension locative forte. Donc ces conversions sont beaucoup moins fréquentes. Il existe toutefois actuellement un bel exemple à Luxembourg. Il s’agit d’un immeuble qui était autrefois occupé par la banque Edmond de Rothschild, rue Jean-Pierre Brasseur, qui a été racheté par Baltisse et qui l’a reconverti en immeuble résidentiel de haut standing.

Ces reconversions peuvent être compliquées à mettre en œuvre. Avez-vous été confronté à un cas bloquant?

«Oui, tout à fait, à cause de la classification de la parcelle dans le PAG. C’était pour un immeuble de bureaux situé rue des Mines, à Esch-sur-Alzette. L’immeuble était devenu trop vétuste et sa rénovation en maintenant son affectation de bureau ne faisait pas de sens. Par contre, une reconversion en résidentiel aurait été intéressante. Toutefois, parce que la parcelle était classée en zone d’activité économique et non en zone résidentielle, cela n’était pas réalisable sans modification du PAG, qui est une démarche risquée et complexe pour un investisseur. Nous n’avions donc pas d’acheteur pour du bureau, mais pas d’acheteur non plus pour du résidentiel, car les promoteurs estimaient le risque trop fort. Nous avons finalement vendu cet immeuble à un fonds d’investissement luxembourgeois, LLC Real Estate Fund, qui a pris le sujet à bras le corps et a réussi à faire modifier le PAG pour qu’un développement résidentiel soit rendu possible. L’immeuble a par la suite été revendu à un promoteur et les appartements sont en cours de commercialisation.


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Et pour les nouvelles constructions, est-ce que les initiateurs de projet envisagent dès la conception une conversion future?

«Certains promoteurs adoptent effectivement cette démarche. Pour cela, il faut concevoir des immeubles qui ne sont pas trop profonds pour éviter les espaces aveugles, qui ont des hauteurs sous plafond suffisantes, une technique adaptée ou adaptable, et un travail de façades qui se prête aux deux fonctions ou qui soit facilement modifiable.

Comment expliquez-vous le fait que nous ayons jusqu’à présent si peu de reconversion d’immeubles au Luxembourg?

«Cela s’explique par différents facteurs, dont un taux de vacance faible déjà évoqué et un parc immobilier qui est encore jeune. On ne peut pas parler de reconversion de programme sur des immeubles qui ont seulement 15 ans d’existence. Économiquement parlant, cela ne fait aucun sens. Mais cette question va inévitablement se poser dans les années à venir, avec les immeubles qui ont été construits dans les années 1990. Mais nous n’y sommes pas encore.

En fait, la première conversion que l’on a connue au Luxembourg s’est passée dans l’autre sens, c’est-à-dire que des appartements ont été transformés pour accueillir des bureaux. On a encore quelques biens comme cela sur le marché aujourd’hui et cela est très difficile de les louer, car ils ne répondent plus aux standards actuels et sont très éloignés de la qualité demandée par le marché aujourd’hui.

Toutes ces conversions concernent toutefois des occupations monofonctionnelles. Or, la tendance aujourd’hui est d’avoir de la mixité, non seulement dans les quartiers, mais aussi quand cela est possible dans les immeubles eux-mêmes. Observez-vous cela aussi?

«La mixité au sein d’un même immeuble existe depuis très longtemps. Prenez les anciennes maisons de commerce, où l’on trouvait, comme c’était le cas dans la Grand-Rue, le commerce au rez-de-chaussée, voire au premier étage, puis du logement dans les étages supérieurs. À l’époque, cela faisait du sens, mais aujourd’hui, cela n’est plus forcément pertinent. Du moins, pas dans tous les quartiers. Sur le papier, le fait de mettre un commerce au rez-de-chaussée des immeubles est une bonne idée. Dans les faits, cela peut être problématique, car tous les emplacements ne se prêtent pas à du commerce, et le loyer d’un rez-de-chaussée d’immeuble va refléter le prix du foncier et des coûts de construction, ce qui peut être très élevé pour un petit commerce. Cette mixité qui est souvent désirée ne fait pas toujours du sens économiquement parlant.

Ceci est donc lié à la cherté du terrain.

«On répercute en effet les prix du foncier dans les loyers, mais le prix du terrain est aussi déterminé par ce qu’on peut y construire. On pourrait se dire que si l’on sort ces surfaces commerciales des surfaces constructibles, quitte à construire un étage supplémentaire, on pourrait ne répercuter dans le loyer du commerce que le prix de construction, ce qui sera, d’un point de vue économique, beaucoup plus facile pour le commerçant. On a alors une équation économique qui pourrait faire du sens à la fois pour l’initiateur du projet et pour le commerçant.

Mais il n’y a pas que la fonction commerce qui peut être implantée en rez-de-chaussée.

«C’est vrai, et on a un peu trop tendance à ne vouloir faire que des immeubles ‘sandwiches’, comme nous les appelons dans notre jargon, c’est-à-dire une couche de commerces, une ou deux couches de bureaux et des logements au-dessus. Sauf que l’on obtient in fine des immeubles peu lisibles, dans lesquels ni l’occupant corporate, ni l’habitant résidentiel ne se sent vraiment à l’aise. Pour que cela soit confortable pour les différents partis, il faut que les différents usagers aient des entrées d’immeuble différenciées. Ce qui signifie deux halls d’entrée et deux cages d’escalier, et donc autant de coûts supplémentaires qui sont répercutés sur l’utilisateur final. Pour le projet The Arc d’Eaglestone, une solution a été trouvée: ce projet doit être à dominante de bureaux, avec juste quelques unités de logement. Au lieu de placer les logements au dernier étage, ils sont placés au premier étage, ce qui permet de limiter très fortement l’ampleur de la seconde cage d’escalier et donc de limiter les surcoûts et d’utiliser la surface économisée pour prolonger les surfaces de bureaux.


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Et que pensez-vous de l’introduction d’une fonction liée à une collectivité, comme une crèche ou une école? «Là encore, c’est une question de lisibilité. Et tout dépend du type d’investisseur à qui cet immeuble est destiné. Si c’est un fonds d’investissement, il pourrait peut-être être intéressé d’avoir une fonction ‘éducation’ dans sa diversification. Mais si c’est pour de la copropriété, cela sera plus compliqué.

Et quid d’un usage plus intensif d’un même espace dont l’affectation change en fonction du moment de la journée?

«À l’échelle d’une journée, cela me semble difficile, mais cela peut avoir du sens à l’échelle des années. C’est une question de besoin et de temps. Le rez-de-chaussée qui aujourd’hui est prédestiné à du commerce peut ne pas être intéressant au jour J de la livraison du bâtiment, mais pourrait faire du sens 15 ans plus tard parce que le quartier aura évolué, et donc les besoins des habitants également. Ainsi, au lieu d’avoir un local de commerce vide pendant plusieurs années parce qu’il ne trouve pas preneur, on pourrait tout à fait envisager un espace plus hybride qui pourrait avoir une affectation temporaire. Il existe un exemple extrême à Bordeaux qui va dans cette direction: un immeuble de 4.500m2 a reçu son permis de bâtir, mais sans aucune affectation prédéterminée (il s’agit de l’immeuble Tebio, un projet lancé par l’Opération d’intérêt national Bordeaux Euratlantique, porté par le promoteur Elithis et Canal Architecture, ndlr). Il pourra être aussi bien occupé par des logements que par des bureaux. Sa fonction pourra évoluer au fil du temps et en fonction des besoins des utilisateurs, rien n’est figé. C’est certes un exemple extrême, mais intéressant, car rend le produit immobilier encore plus pérenne.»