Jean-Yves Leborgne, portfolio manager, ING Luxembourg. (Photo: Patricia Pitsch/Archives Maison Moderne)

Jean-Yves Leborgne, portfolio manager, ING Luxembourg. (Photo: Patricia Pitsch/Archives Maison Moderne)

On le sait, les difficultés d’approvisionnement sont un des gros problèmes auxquels fait face l’économie mondiale actuellement. Plus un tel désordre logistique perdure, plus il aura des conséquences économiques.

À ce jour, les contraintes d’approvisionnement prennent différentes formes: les pénuries de semi-conducteurs ont été les premières visibles. Mais d’autres composants ou matières premières rencontrent les mêmes problèmes de capacité de production. À côté de cela, on observe de plus en plus des pénuries de main-d’œuvre, qui sont aussi des contraintes d’offre. Enfin, même si les composants ou les produits finis sont disponibles, les contraintes dans le transport maritime mondial empêchent un approvisionnement fluide des marchandises.

Mécanique grippée

Dans l’ensemble, ces perturbations logistiques continuent à freiner les échanges. La fiabilité des horaires en est une bonne illustration, car lorsque les plans de navigation prennent du retard, cela correspond à une perte de capacité de transport à l’échelle mondiale. Ainsi, la ponctualité réelle de l’arrivée des navires dans les ports du monde entier, calculée par Sea-Intelligence, reste à un niveau très bas.

Tout au long de l’année, la fiabilité des horaires a oscillé entre 30 et 40% (alors que le niveau normal est plutôt de 70 à 80%), ce qui a conduit à l’indisponibilité, en août, de 12,5% de la capacité mondiale de transport en raison de la perturbation des programmes de navigation, des retards dans les ports, et de porte-containers vides attendant plus longtemps d’être chargés dans des terminaux encombrés.

Pas d’amélioration dans l’immédiat

Bien que la forte accélération de l’économie mondiale semble avoir pris fin, la demande mondiale de biens reste forte et vient s’ajouter aux arriérés déjà énormes de l’industrie. De plus, la pression va se maintenir à l’approche de certaines des journées d’achats les plus chargées de l’année (Black Friday, Cyber Monday et Singles’ Day en novembre, suivis de la période de Noël et du Nouvel An chinois en février). En outre, les pénuries provoquent des comportements de thésaurisation de la part des entreprises et des consommateurs, ce qui entraîne une demande excessive et de nouvelles pressions sur la chaîne d’approvisionnement.

Dès lors, les facteurs qui plaident en faveur d’un assouplissement des contraintes d’offre à court terme sont encore limités. L’extension des horaires d’exploitation jusqu’à 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour décongestionner les ports, comme cela a été fait aux États-Unis, est utile dans une certaine mesure, mais si l’on tient compte des problèmes qui se posent le long des chaînes d’approvisionnement, comme l’absence de chauffeurs routiers, cela ne permettra pas de dénouer les nombreux nœuds qui entravent la fluidité du commerce mondial.

Une première étape en février…

La normalisation progressive du transport international prendra donc des mois et non des jours, ce qui explique pourquoi les contraintes d’offre se prolongeront en 2022. Nous prévoyons cependant un certain relâchement des contraintes à partir de début février. En effet, pendant le Nouvel An chinois, toutes les usines seront fermées. Concrètement, il y aura moins de marchandises à transporter à partir de ce pays, permettant à la logistique mondiale de se concentrer sur les commandes du reste du monde. La logistique d’expédition pourra alors au moins partiellement rattraper son retard pendant cette période.

… mais pas de normalisation avant 2023

Par contre, la pénurie de semi-conducteurs devrait rester problématique pendant une période plus longue. La mise en place de nouvelles installations de production prend des années, alors que la demande reste élevée. Cela nous amène à penser que les marchés des semi-conducteurs resteront très tendus jusqu’en 2023. Dans un autre registre, les pénuries de produits chimiques nécessaires à la fabrication de plastiques ou de peintures, par exemple, devraient également durer jusqu’en 2022, de nombreuses usines pétrochimiques de la région du Golfe étant encore fermées pour le moment.

En conclusion, les contraintes pesant sur l’offre ne vont pas disparaître dans les prochains mois. Aussi longtemps qu’elles n’entraînent pas un essoufflement de la demande, cela ne fera que lisser la reprise économique, qui prendra plus de temps, mais ne perdra pas trop en vigueur. Par contre, si les contraintes actuelles entraînent des annulations massives de commandes, des pertes d’activité, des faillites et des pertes d’emplois (ce qui n’est pas notre scénario actuel), leur effet serait bien plus négatif sur l’économie mondiale.