«Pour un développement cohérent de la métropole transfrontalière du Luxembourg dans la Grande Région». Tel est le nom de l’avis adopté mercredi 29 juin par le Conseil économique et social (CES). Télétravail, formation… Il détaille 23 recommandations pour assurer l’avenir de ce territoire. Le point avec son rapporteur, Vincent Hein, économiste à la Fondation Idea.
Comment définit-on la métropole transfrontalière du Luxembourg et en quoi diffère-t-elle de la Grande Région?
Vincent Hein. – «Elle comprend l’intégralité du Luxembourg et dépasse de 30 ou 40 kilomètres les frontières nationales. Nous avons pris les zones d’emploi ou arrondissements comptant une certaine part de travailleurs frontaliers. Côté français, cela va plus loin, car nous considérons que la zone d’emploi de Metz en fait partie. Elle compte entre 1,3 et 2,5 millions d’habitants. Alors que la Grande Région comprend la Wallonie, jusqu’aux portes de Bruxelles, la Rhénanie-Palatinat et la Sarre ainsi que l’ancienne région Lorraine.
Pourquoi les interactions à ce niveau ne suffisent-elles pas?
«Aujourd’hui, les relations bilatérales constituent un cadre intéressant. Mais elles n’intègrent pas toujours parfaitement les territoires concernés par les enjeux. Il faut trouver un moyen, et c’est probablement au gouvernement luxembourgeois de faire le premier pas, de créer un espace de discussion avec des interlocuteurs pertinents. Parce que ce territoire est déjà une réalité économique et sociale, mais il est un peu comme un cavalier sans tête.
Le fait que les régions voisines deviennent plus attractives ne portera pas forcément préjudice à l’économie luxembourgeoise.
Sinon, vous parlez d’un goulet d’étranglement…
«Avec la poursuite d’un développement dynamique du Luxembourg, on aboutit à des problèmes de mobilité, de disponibilité de main-d’œuvre, de logement, d’inégalités.
L’un des objectifs est de ne pas faire des régions frontalières un second pôle par rapport au Luxembourg. Le pays reste plus attractif que ses voisins, ne serait-ce qu’en raison des salaires plus élevés. Comment inverser la tendance?
«Une divergence entre le Luxembourg et les territoires périphériques peut poser problème à long terme. Les responsables des régions voisines pourraient avoir une attitude moins coopérative. L’avis propose plusieurs pistes, comme le télétravail pour revitaliser certaines villes. Le fait que les régions voisines deviennent plus attractives ne portera pas forcément préjudice à l’économie luxembourgeoise, il faut considérer cette métropole comme un tout.
Une autre piste, trouver des modèles d’entreprises transfrontalières. Elles pourraient installer certaines activités sur le territoire luxembourgeois, pour lesquelles le foncier n’est pas nécessaire pour un développement, par exemple les activités de siège, recherche, administration. Et à l’extérieur du pays dans la Grande Région, des centres qui nécessitent un terrain plus important. Il existe la possibilité entre deux États de s’accorder sur des territoires spécifiques. Comme l’aéroport de Bâle-Mulhouse, sur le territoire français et où s’applique la TVA suisse. Les entreprises présentes dans l’aéroport paient l’impôt sur les sociétés en France, la France en reverse une partie à la Suisse. Ici, on sait que les ports de la Moselle ont un potentiel de développement et, du point de vue luxembourgeois, nous avons des signes de saturation. Pourquoi ne pas imaginer ce type d’accord pour mener un pôle logistique franco-luxembourgeois?
Le télétravail peut dynamiser les villes voisines, mais représente . Quel modèle préconisez-vous?
«Nous essayons de prendre du recul sur les avantages et inconvénients. Cela peut réduire la pression sur la mobilité, améliorer la qualité de vie. Mais aussi créer des phénomènes de réallocation des revenus et un manque à gagner pour le Luxembourg. Pour les territoires voisins, l’impact est positif. Pour les entreprises des régions voisines, cela crée une concurrence en matière de recrutement. Quelqu’un qui vit à Metz et hésite entre un emploi au Luxembourg ou en France pourrait aller vers l’entreprise luxembourgeoise si le télétravail est facilité. Nous faisons donc deux recommandations. Réfléchir à des expérimentations, c’est quelque chose à écrire, mais l’époque est suffisamment mûre. Et par rapport aux négociations entre le Luxembourg et ses voisins, essayer de rehausser le seuil de tolérance fiscale et le faire tendre vers celui des 25% (, ndlr).
Le Luxembourg pourrait proposer aux États voisins de reverser une partie de la fiscalité prise dans le télétravail des frontaliers dans des fonds pour mettre en œuvre des projets transfrontaliers.
Il serait utile que le gouvernement prenne acte de la nécessité (des projets transfrontaliers, ndlr) pour la prochaine mandature, quels qu’en soient les représentants.
Par exemple dans la mobilité. Quels projets sont prioritaires?
«Nous invitons le gouvernement à s’inspirer . L’investissement dans la coopération transfrontalière doit cependant aller beaucoup plus loin que la seule politique de mobilité. Ce n’est pas en favorisant la mobilité du personnel médical qu’on va régler le problème de pénurie. C’est une condition nécessaire, mais il faut ajouter un nouvel étage aux politiques de coopération, qui est de former les gens ensemble.
Justement, plusieurs recommandations concernent la formation…
«Il faut investir ensemble, créer des centres communs, des réseaux entre les instituts.
L’avis a été envoyé au Premier ministre. Quelles sont les chances qu’il suive les recommandations?
«L’avis a été présenté par une commission de travail présidée par et Jean-Claude Reding, deux anciens représentants du patronat et du salariat. Il a été voté à l’unanimité par les groupes patronal et syndical, sans amendement. C’est un message clair des professionnels qui demandent au gouvernement d’intégrer dans sa politique de coopération un nouvel objectif, construire une métropole transfrontalière cohérente et soutenable sur le long terme. Elle est nécessaire pour un développement serein du Luxembourg.
Évidemment, il est peu probable qu’on puisse lancer tous ces projets durant cette mandature. Il serait utile que le gouvernement prenne acte de leur nécessité pour la prochaine, quels qu’en soient les représentants.»