Face aux alertes lancées par les scientifiques depuis de nombreuses décennies par rapport au changement climatique, la nécessité d’opérer une transition de nos économies vers des modèles plus durables apparaît plus évidente que jamais. Pour faire face à ce défi immense, tous les acteurs doivent contribuer à l’effort collectif, à la mesure de leur capacité d’influence et de leur impact actuel sur leur environnement. On souligne souvent, à raison, combien l’avènement d’une finance verte, capable de fournir des fonds à des projets d’envergure en matière de transition écologique, est crucial. La finance verte offre en effet des opportunités aux acteurs d’autres secteurs de l’économie désireux d’engager leur transformation vers plus de durabilité.
Parmi ceux-ci, le secteur de la construction – gros consommateur de ressources et générateur de déchets dont la valorisation est parfois délicate – pourrait à la fois tirer son épingle du jeu et contribuer de façon fondamentale à notre cheminement vers une «green economy». «La construction présente des caractéristiques spécifiques, qui rendent son rôle très important dans la transition de nos sociétés vers une économie plus verte», estime Bruno Renders, administrateur-directeur général du CDEC (Conseil pour le développement économique de la construction). «Quand on construit un bâtiment, on crée quelque chose qui va rester dans le paysage durant des décennies. C’est très différent des objets produits par d’autres secteurs, comme le digital ou l’automobile, qui ne peuvent prétendre à une si longue durée de vie. Cette spécificité offre une capacité de levier importante à notre secteur, notamment pour améliorer durablement la gestion des ressources et limiter notre impact global sur l’environnement.»
Notre ambition, à l’horizon 2030, est de réduire encore de 55% les émissions de CO 2 liées à notre activité.
Les fonctions nobles du bâtiment
En matière d’impact environnemental, le secteur luxembourgeois de la construction fait déjà figure de bon élève européen, puisqu’il est parvenu, en 15 ans, à réduire de 80% la consommation d’énergie des bâtiments qui sortent de terre. «Notre ambition, à l’horizon 2030, est de réduire encore de 55% les émissions de CO2 liées à notre activité. L’une des clés pour y parvenir est d’hybrider les matériaux utilisés pour la construction: en créant des structures mêlant bois, acier et béton, on utilise moins de chacune de ces ressources et on tire profit des particularités de chaque matériau en le plaçant au meilleur endroit possible», détaille le directeur général du CDEC. Le passage d’une construction artisanale par façonnage à une logique d’assemblage de modules préfabriqués de façon industrielle est un autre impératif pour le secteur. «De cette façon aussi, on économise sur les coûts et on rend possible la production, en masse, de maisons multifonctions qui auront un impact positif sur leur environnement», ajoute Bruno Renders.
Les bâtiments de demain devront en effet non seulement être «intelligents», mais aussi avoir un rôle actif au sein de leur milieu. «J’aime parler des fonctions nobles du bâtiment», poursuit Bruno Renders. «Une maison doit désormais non seulement être neutre en matière d’émissions, mais aussi produire de l’énergie partagée sur des réseaux locaux, participer à une gestion circulaire de l’eau qui permette, à l’échelle d’un quartier, de réutiliser plusieurs fois l’eau de distribution, épurer l’air, produire des légumes… Nous construisons d’ailleurs en ce moment, sur l’un de nos bâtiments, une serre qui permettra d’épurer l’air chargé en CO2 issu de nos locaux en produisant des légumes qui seront ensuite consommés sur place… On ne peut pas faire plus circulaire!»
Un incitant financier est indispensable pour que ce type de constructions se généralise.
Le bâtiment «as a service»
Mais pour inciter les promoteurs, entrepreneurs et clients finaux à opter pour ces bâtiments plus écologiques, plusieurs obstacles doivent être levés. Tout d’abord, le modèle économique qui sous-tend la construction doit évoluer. «Un incitant financier est indispensable pour que ce type de constructions se généralise, car, au départ, les coûts seront nécessairement plus élevés», explique Bruno Renders. «Je parle non seulement d’un financement à la construction, mais aussi à l’usage. L’installation et la maintenance de dispositifs de filtrage d’air ou d’eau, de production et de stockage d’énergie sont coûteuses, mais ces derniers peuvent aussi générer des revenus et, surtout, avoir un impact positif sur l’environnement. Si les milliards de bâtiments construits dans le monde disposaient de ce genre de technologies, l’effet serait considérable.»
L’autre difficulté est de faire évoluer les mentalités pour que chacun considère tout bâtiment comme un élément d’un réseau à travers lequel les différentes ressources – eau, électricité, etc. – sont mises en commun. «Dans ce modèle, on ne possède plus forcément sa chaudière, mais on peut payer pour obtenir la chaleur produite par une installation centrale écologique. L’eau, la chaleur, l’électricité peuvent ainsi être produites ou recyclées de façon plus propre et les revenus générés permettent aux investisseurs qui financent ces projets immobiliers d’obtenir une plus-value. C’est donc tout un écosystème qui doit se mettre en place, avec l’encadrement légal nécessaire. J’ai le sentiment que les nouvelles générations sont prêtes pour ce changement», conclut le directeur général du CDEC.