La dernière édition s’était tenue en 2019. Le Wood cluster forum organisé par Luxinnovation revenait ce jeudi pour une nouvelle édition au Celo d’Hesperange. Un peu plus de 200 personnes sont venues assister aux présentations et tables rondes des professionnels de la filière bois, du Luxembourg et de la Grande Région. Une filière porteuse, qui emploie environ 11.000 personnes, dans 1.519 entreprises, dont 769 qui en ont fait leur activité principale. Les autres sont des entreprises actives dans le domaine de la construction. Alors forcément, la question de l’usage de ce matériau a rythmé les discussions.
Malgré ses multiples vertus, il a été délaissé au fil du temps par les bâtisseurs. Mais depuis quelques années, il fait l’objet d’un regain d’intérêt dans les rangs des architectes, ingénieurs et constructeurs. Pourquoi? D’abord parce que son utilisation va dans le sens d’une construction plus durable. Dans cette logique, le développeur immobilier Iko Real Estate a fait de la construction bois un pilier de sa stratégie. «Les aspects de diminution du carbone sont importants dans nos développements immobiliers. Nous avons réalisé une analyse de tous nos projets, ceux déjà achevés, en cours ou à venir, et nous avons défini une série d’objectifs jusqu’en 2040», a témoigné le directeur de projet d’Iko Real Estate, Stéphane Valet.
«La hausse des prix de l’énergie rend les constructions en béton/acier plus chères, même si elles restent moins chères que le bois qui est écologique et de plus en plus compétitif», a indiqué l’administrateur de Rollingertec, Dirk Plattes. Il a toutefois souligné que le concept hybride était aujourd’hui le plus innovant et le moins coûteux. «Le bois dans tous ses aspects est un matériau clé de l’architecture de demain», a ajouté l’architecte de Jonas Architectes Associés, Miriam Prosch. Autre intérêt, des délais de constructions qui peuvent être plus courts.
Le bon équilibre entre exploitation et préservation
Si les questions de rentabilité et de coût sont bien sûr à prendre en compte, difficile de ne pas classer les enjeux climatiques en pole position. L’Innovation project manager de Neobuild, Régis Bigot l’a rappelé: «Le bois est un matériel d’avenir, mais nous devons insister sur son bon usage. Il ne s’agit pas d’une ressource inépuisable, il y a aussi un intérêt de le laisser évoluer dans son biotope.» à Paperjam en septembre: «Ce n’est pas incompatible d’avoir à la fois une gestion durable, et à la fois de sortir du bois pour le commercialiser et gagner un peu d’argent.» Mais il alertait aussi sur la situation phytosanitaire de certaines espèces comprises dans les 92.000 hectares de forêts que compte le pays.
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Le premier défi est donc bien celui d’une gestion raisonnée de la forêt et des ressources, avec un équilibre entre exploitation et préservation. «Les feuillus (pour l’heure moins touchés que les résineux par le réchauffement climatique, ndlr) ne sont pas assez exploités. On en fait du bois de chauffage, mais nous pourrions tout à fait nous en servir dans le domaine de la construction», pense Régis Bigot. «Ces dernières années, la transformation des bois récoltés connaît une profonde mutation. Le secteur du bois “énergie” est en pleine expansion. Mais celui des bois “de qualité” est en recul, surtout pour les bois feuillus qui sont majoritairement exportés en Asie. Cela engendre une énorme perte de valeur ajoutée pour le pays» a déclaré la CEO de Luxinnovation, , dans son propos introductif.
Le défi du cadre règlementaire
Autre défi, et pas des moindres, pour encourager et généraliser l’usage du bois dans la construction, c’est la mise en place d’un cadre règlementaire adéquat. Ce qui manque aujourd’hui selon la représentante de l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils (OAI), . Celle qui est aussi ingénieure chez Schroeders & Associés a présenté, avec le partner d’Inca Laurent Heinen, les résultats partiels du groupe de travail sur les bioressources conduit par l’OAI. «On nous reproche souvent de ne pas être innovants. Mais nous ne disposons pas aujourd’hui d’un cadre général qui règlemente l’utilisation des matériaux biosourcés. Les responsabilités sont réparties entre différents acteurs, et cela ne rentre pas dans une logique de développement durable», a-t-elle souligné.
Des objectifs et des feuilles de route en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il en existe, comme le , «mais il manque un organe pour fédérer tous les acteurs, comme un comité de pilotage. Les trois quarts des entreprises questionnées sur le sujet par l’OAI estiment que la règlementation est aujourd’hui difficile à mettre en œuvre. Nous n’avons que des prescriptions qui s’ajoutent les unes aux autres, et qui se contredisent même parfois» relate celle selon qui il faudrait s’inspirer de pays tels que la Suisse, le Danemark ou l’Autriche pour l’élaboration d’un document règlementaire unique régissant l’utilisation du bois et des matériaux biosourcés à des fins de construction. Les professionnels préconisent ainsi l’élaboration d’un document unique et contraignant, adapté à la réalité luxembourgeoise, une analyse et étude des potentialités, ainsi que l’élaboration d’un pacte sur les matériaux biosourcés fixant des seuils d’utilisation minimum.
Décarboner le bâtiment
Dans le cadre de la proposition de refonte de la directive sur la performance énergétique des bâtiments et les objectifs de réductions des émissions à effet de serre (GES), l’État a aussi présenté sa en septembre dernier. Un des enjeux étant de parvenir à atteindre les objectifs nationaux de réduction des émissions de GES de 55% d’ici 2030 (par rapport à 2005). Un document que le directeur du département de la construction durable et de l’économie circulaire au ministère de l’Énergie, Paul Schosseler est venu présenter en personne.
Pour une décarbonation réaliste et efficace, le spécialiste recommande par exemple de prendre en compte le cycle complet de vie d’un bâtiment pour mesurer ses émissions, et pas seulement sa phase d’utilisation. «Si l’on s’intéresse au cycle de vie complet, on constate que 50% des émissions de CO2 sont produites lors de la phase de construction, et 50% sur le reste du cycle de vie du bâtiment», a-t-il illustré, rappelant au passage l’intérêt de certains matériaux tels que le chanvre ou la cellulose dans une logique de décarbonation.
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Des projets concrets ont été présentés à l’assemblée en guise d’exemples, comme le campus scolaire Wobrécken, à Esch-sur-Alzette, par Witry & Witry. À ce titre, l’administrateur-délégué de Prefalux Constructions, , a expliqué les bénéfices et les limites de la préfabrication dans une construction en bois, et l’importance d’une bonne coordination entre architecte et maître d’œuvre.
Le défi de la digitalisation
La digitalisation, la collecte et l’exploitation des données sont aussi un enjeu fort pour le secteur de la construction. «La numérisation de la planification est très importante et favorable pour le maitre d’œuvre», a souligné l’architecte de Jonas Architectes Associés, Camille Dengler.
Chaque année, la récolte de bois représente environ 60% de l’accroissement naturel de la forêt. Cela veut dire que la forêt, qui représente un capital exceptionnel, génère des intérêts dont seuls les deux tiers sont utilisés.
Et certains professionnels du secteur ont déjà développé des pépites, comme Space Time en 2019. Cette jeune entreprise est spécialisée dans la collecte de data et l’analyse de data, qui peut tout à fait s’appliquer aux forêts. «Aujourd’hui des inventaires sont faits, mais ils sont basés sur des mesures réalisées sur un échantillon de la forêt et qui sont ensuite extrapolées à l’échelle de toute la forêt. Ce processus de collecte de data, nous avons réussi aujourd’hui à le robotiser et à l’automatiser», a détaillé l’architecte et fondateur/CEO de Space Time, À l’aide de robots opérant des mesures de façon automatisée in situ, cette technologie permet de tirer des conclusions, dresser un état des lieux phytosanitaire et planifier de façon concrète, et non plus à partir de probabilités.
Des mesures plus justes donc, qui pourraient permettre de découvrir un potentiel inexploité. «À Esch, on a pu voir que le volume de bois était sous-estimé de 120%, ce qui peut permettre de produire des volumes de bois plus élevés», a-t-il illustré. «Chaque année, la récolte de bois représente environ 60% de l’accroissement naturel de la forêt. Cela veut dire que la forêt, qui représente un capital exceptionnel, génère des intérêts dont seuls les deux tiers sont utilisés», a indiqué la CEO de Luxinnovation.