Catherine Warin, avocate au Barreau de Luxembourg et docteur en droit, est également présidente et cofondatrice de l’asbl Passerell. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Catherine Warin, avocate au Barreau de Luxembourg et docteur en droit, est également présidente et cofondatrice de l’asbl Passerell. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Face aux demandes de protection internationale qui ne cessent d’affluer au Luxem­bourg, un livre sur le droit luxem­bourgeois et européen de l’asile vient de paraître pour informer les professionnels et le grand public.

Il n’existait pas d’écrit récent sur le droit de la protection internationale au Luxembourg, alors que c’est une matière dense, c’est pourquoi nous avons eu l’idée d’écrire ce livre», explique Catherine Warin, avocate au sein du cabinet Lutgen + Associés qui a codirigé Droit luxembourgeois et européen de l’asile avec Fatima Chaouche, Jörg Gerkrath, Janine Silga et Julia Sinnig.

L’ouvrage collectif est le premier livre né de l’initiative de jeunes chercheuses issues de l’École doctorale de droit de l’Uni. «L’idée est de s’adresser à la fois aux professionnels du droit, avocats, juges, juristes, afin qu’ils aient un aperçu du contexte luxembourgeois, pas forcément exhaustif, mais assez équilibré sur les différents aspects qui peuvent se poser en droit de la protection internationale, mais nous nous adressons également à la société civile et aux autorités pour qu’elles comprennent la complexité du sujet», ajoute la jeune femme de 31 ans.

Car, si cette matière est mouvante, c’est aussi parce que le droit d’asile est un sujet très politique, et dépend de la géopolitique mondiale. «Nous avons donc voulu mettre en valeur plusieurs points qui nous semblaient incontournables dans le livre, notamment la protection des mineurs et des personnes vulnérables au cours de la procédure d’asile, la mise en œuvre du règlement Dublin III, la complexité de la procédure de regroupement familial, les enjeux psychologiques de la procédure d’asile.»

Nous possédons aujourd’hui un réseau d’une quinzaine de membres pour le projet Pink Paper, avocats, juristes, etc.
Catherine Warin

Catherine Warinprésidente Passerell

Préfacé par le ministre des Affaires étrangères et européennes, de l’Immigration et de l’Asile, , le livre rassemble, parmi ses contributeurs, de hauts magistrats, comme Georges Ravarani, (juge à la Cour européenne des droits de l’Homme), des membres du monde associatif et des psychologues, ainsi que des organisations internationales, comme le HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés).

Plusieurs niveaux de droit

Selon la règle de la hiérarchie des normes juridiques, le droit européen prime sur le droit national, mais le droit d’asile est un droit particulier, et dans les faits, le droit européen s’articule avec le droit luxembourgeois parce que certains éléments ne sont pas prévus dans le droit européen, et dans ce cas, c’est le droit luxembourgeois qui prime. Le droit international intervient également, puisque c’est la convention de Genève – qui protège les réfugiés – qui s’applique.

«Il y a donc beaucoup de niveaux de droit à agencer, et c’est ce qui en fait une matière passionnante, mais aussi compliquée», confirme Catherine Warin, qui est également présidente et cofondatrice de l’asbl Passerell, qui crée du lien social entre les résidents et les demandeurs de protection internationale à travers le programme Civis, et qui a mis en place une cellule de veille et d’action juridique en matière d’asile nommée Pink Paper. «Nous possédons aujourd’hui un réseau d’une quinzaine de membres pour le projet Pink Paper, avocats, juristes, etc.»

Passerell mobilisée

Les deux salariées de l’association – Cassie Adélaïde, qui est également cofondatrice de l’asbl, et Ambre Schulz – reçoivent au quotidien des demandeurs de protection internationale et des réfugiés dans leur bureau de la Maison de la cohésion sociale. Créée en 2016, Passerell a reçu 711 personnes à sa permanence en trois ans. «L’écoute est extrêmement importante, et il faut décrypter les problèmes et les besoins», ajoute Catherine Warin.

Et parmi les problématiques rencontrées par l’asbl, «nous avons souvent des personnes déboutées de leur demande de protection internationale ou des ‘Dubliners’». En 2018, 2.205 personnes ont fait une demande de protection internationale au Luxembourg, et 978 personnes ont obtenu le statut de réfugié. Dans le cadre de l’application du règlement Dublin III, 1.134 demandes de prise et de reprise en charge ont été envoyées vers un autre État membre en 2018, selon le ministère des Affaires étrangères.

Passerell, qui a déjà interpellé Jean Asselborn sur le sujet, continue de se mobiliser sur l’application de ce règlement, qui prévoit qu’un seul État de l’UE soit responsable de l’examen d’une demande d’asile, à savoir le pays par lequel le demandeur d’asile est entré dans l’UE et a été contrôlé, ou l’État qui a accordé un visa ou un titre de séjour.

Les autorités appliquent avec trop de zèle le règlement Dublin III.
Catherine Warin

Catherine WarinprésidentePasserell

Dublin III soulève des questions

«Si le Luxembourg permet aux DPI (demandeurs de protection internationale) et aux BPI (bénéficiaires) d’être hébergés dans des structures d’accueil et d’hébergement dès leur arrivée, les autorités appliquent avec trop de zèle le règlement Dublin III, affirme Catherine Warin. D’une part, la question de la vulnérabilité n’est pas assez prise en compte. Et d’autre part, les réfugiés sont très souvent passés par l’Italie actuellement. Or, nous savons que, dans ce pays, les conditions pour accéder à la protection internationale sont extrêmement compliquées, et les DPI souvent livrés à eux-mêmes dans la rue, sans solution.»

En la matière, c’est le tribunal administratif qui a le dernier mot et qui statue, et il a reconnu une seule fois, en 2018, qu’il y avait des défaillances systémiques en Italie, et ne l’a plus jamais reconnu depuis. «Au Luxembourg, il y a une seule juridiction, alors qu’en France, par exemple, il y a de nombreux tribunaux administratifs, donc il peut y avoir une variété de décisions. Ici, il y a une seule ligne juridictionnelle», regrette Catherine Warin.

Le règlement Dublin III prévoit dans ses exceptions la possibilité pour un État membre de traiter le dossier du DPI et de ne pas le renvoyer dans le pays où il a été enregistré, dans le cas où ce pays est dans une situation de défaillance systémique, et laisse les réfugiés dans des situations contraires à la dignité hu­maine ou aux droits fondamentaux. Une ouverture sur laquelle l’asbl continuera d’alerter pour le respect des droits des réfugiés.