«La crise a engendré une réflexion quasi unanime sur les modes de fonctionnement et de consommation, notamment sur des aspects de respect, de ­solidarité et de proximité», selon Laurent Friob, directeur Marketing & Research au sein d’IP Luxem­bourg. (Photo: IP Luxembourg)

«La crise a engendré une réflexion quasi unanime sur les modes de fonctionnement et de consommation, notamment sur des aspects de respect, de ­solidarité et de proximité», selon Laurent Friob, directeur Marketing & Research au sein d’IP Luxem­bourg. (Photo: IP Luxembourg)

Le confinement a bousculé les habitudes de consommation avec un appétit prononcé pour les produits locaux et les petits détaillants. Comment l’offre s’adapte-t-elle à la demande? Ce phénomène peut-il s’inscrire dans la durée? Tentative de réponse.

Entre les images de clients empilant des stocks de papier hygiénique et de pâtes dans des supermarchés bondés en mars et celles de la longue file d’attente devant la boutique Louis Vuitton deux mois plus tard, la crise du coronavirus semble avoir été celle de tous les contrastes au Luxembourg. Après la «diète» du confinement, les consommateurs ont repris le chemin des boutiques dès leur réouverture.

«Les ventes sont bien reparties dès le lundi 11 mai», observe Sylvie, vendeuse aux Galeries Lafayette, situées dans le complexe Royal-Hamilius. «Les gens étaient tout simplement contents de pouvoir refaire les magasins», poursuit-elle. Même constat à quelques pas de là, Grand-Rue, où le magasin Sephora a fait le plein de chalands lors du premier week-end de reprise.

«Les clients ont envie de se faire plaisir, témoigne Stéphanie, conseillère dans la parfumerie. Le côté shopping réel, le contact et la dimension de conseil leur ­manquaient.» Après plusieurs semaines de dépendance à l’e-commerce et à ses délais de livraison, les Lux­embourgeois ont de nouveau la fièvre acheteuse. Mais les huit semaines de confinement ont été aussi, pour ­certains, l’occasion de repenser leur consommation et de prendre de nouveaux repères, voire de nouvelles habitudes.

Nous ne possédons pas de données exactes, mais nous avons effectivement eu écho d’une demande accrue de produits locaux.

Ghislaine Soissonchef du projet «Sou schmaacht Lëtzebuerg»Chambre d’agriculture

Ainsi, 67% des résidents veulent privilégier les produits luxembourgeois pour soutenir l’économie nationale, selon un sondage d’ING Luxembourg ­réalisé entre fin avril et début mai. Particularité, ce taux monte à 75% chez les répondants âgés de plus de 65 ans, tandis que chez les 18-24 ans, il descend à 55%. Sur les 500 personnes interrogées, 64% disent aussi vouloir soutenir plus qu’à l’ordinaire les entreprises fortement touchées par les conséquences de la crise sanitaire, comme le secteur de la restauration par exemple. «La crise du Covid-19 a conduit certaines personnes à remettre en question leur mode de consommation. Solidarité et cohésion sont aujourd’hui les maîtres-mots, et la majorité des personnes ­interrogées se montrent prêtes à soutenir l’économie nationale», résume Ingrid Ballesca, lead market analyst au sein de la banque au lion.

Pour concrétiser ce soutien, il semble que les habitudes ­évoluent. Au Luxembourg, près d’un tiers des clients disent fréquenter davantage les commerces de proximité depuis le début du confinement, selon une étude de la régie publicitaire IP menée entre fin avril et début mai. Les supérettes de quartier (+ 22%), les producteurs (+ 16%) et les magasins bio (+ 11%) apparaissent également comme des gagnants de la crise sanitaire, à en croire les 1.913 sondés parmi un échantillon de résidents et de frontaliers.

«La crise a engendré une réflexion quasi unanime sur les modes de fonctionnement et de consommation, notamment sur des aspects de respect, de ­solidarité et de proximité», ­souligne Laurent Friob, directeur Marketing & Research au sein d’IP Luxem­bourg. 91% des sondés estiment que les effets de la crise se feront ressentir pendant très longtemps et qu’elle doit nous inciter à revoir nos modes de consommation. Ils sont même 88% à s’engager à acheter davantage de produits locaux pour soutenir et remercier les producteurs. «Nous ne possédons pas de données exactes, mais nous avons effectivement eu écho d’une demande accrue de produits locaux», relate Ghislaine Soisson, chef du projet «Sou schmaacht Lëtzebuerg» à la Chambre d’agriculture.

De la ferme au pas de la porte

La mise à l’honneur des producteurs locaux, c’est le but de Label Terroir, un e-shop créé en mai 2018 par Christophe Morvan, un entrepreneur spécialisé dans la création de sites internet et la publicité en ligne. Cette activité complémentaire qu’il a lancée avec son épouse – par ailleurs directrice de la Fromagerie de Luxembourg – a vu sa clientèle doubler pendant le confinement. D’une livraison hebdomadaire effectuée un après-midi par semaine auprès des salariés en poste dans de grosses entreprises comme Deloitte, Pictet ou PwC, Label Terroir est passé à deux journées entières de tournées à travers les habitations de particuliers.

Le confinement a été pour nous une opportunité, et ça nous a ouverts à une nouvelle clientèle, plus luxembourgeoise, peut-être un petit peu plus âgée, et avec des profils différents, comme des famille.

Christophe Morvanentrepreneur spécialisé dans la création de sites internet et la publicité en ligne

«Le confinement a été pour nous une opportunité, et ça nous a ouverts à une nouvelle clientèle, plus luxembourgeoise, peut-être un petit peu plus âgée, et avec des profils différents, comme des familles», explique Christophe Morvan. Il assure que même dans le contexte d’assouplissement des mesures sanitaires, «on ne note pas vraiment de diminution» de la demande. «Les gens reviennent pour la qualité des produits et nous nous distinguons avec la livraison à domicile.»

L’entrepreneur travaille avec des petits producteurs basés au Luxem­bourg et dans le Grand Est qu’il présente en détail sur son site web. À côté des produits de base en épicerie, boucherie et primeurs, la plate-forme entend mettre en avant des produits originaux, comme des légumes oubliés, histoire de se ­distinguer des sites calqués sur les offres de la grande distribution. Et puis, rares sont les agriculteurs qui ont le temps et les moyens de réaliser des livraisons à domicile. C’est là-dessus que notre interlocuteur veut tirer son épingle du jeu, en étant le relais entre les producteurs et les consommateurs.

D’autres alternatives

Car le public a pris goût aux achats directement livrés chez soi. Même l’enseigne spécialisée dans l’alimentation locale vendue en vrac Ouni s’y est mise durant le confinement. «Cela nous a permis de toucher une nouvelle clientèle, inévitablement, puisque des gens ont découvert, à travers la livraison, comment on fonctionnait et notre gamme de produits», observe Anne-Claire Delval, chargée de la communication de la coopérative luxembourgeoise.

Ses deux points de vente de Luxembourg et Dudelange ont fermé leurs portes pendant le confinement. Im­pos­sible en effet pour les habitués du concept de venir en boutique avec leurs propres récipients et de les remplir à leur guise des produits souhaités vu que les normes gouverne­mentales appelaient le détaillant à la fourniture d’emballages stérilisés. En revanche, pour la livraison à domicile, Ouni a opté pour des emballages réutilisables ou consignés.

Nous devons main­tenant relever le défi de l’après-confinement, bien établir notre magasin de Dudelange qui avait ouvert le 14 mars et relancer celui de la ville.

Anne-Claire Delvalchargée de la communication d’Ouni

De son propre aveu, la coopérative a connu un «boum» de clients grâce à la livraison, mais avec pour revers un volume accru de travail – trois fois plus – et beaucoup d’adaptations à instaurer en peu de temps. «Nous devons main­tenant relever le défi de l’après-confinement, bien établir notre magasin de Dudelange qui avait ouvert le 14 mars et relancer celui de la ville, même si c’est en bonne voie», souligne Anne-Claire Delval. La priorité reste donc le commerce physique, tandis que l’enseigne ­étudie la mise en place d’un ­système de livraison moins cadencé et réservé aux personnes vulnérables qui ne peuvent se déplacer en magasin. Maintenir simultanément les boutiques et la livraison à ­domicile semble difficile pour la petite structure où l’on peut «faire ses courses différemment».

Autre acteur de la consommation alternative, Co-Labor a vu de nouveaux clients affluer dans son épicerie de Bertrange, mais aussi sur la liste de distribution de ses paniers de fruits et légumes ­biologiques «Grénge Kuerf». «Les clients semblent développer une préférence légitime pour les ­commandes en ligne», constate sa directrice adjointe Catherine Stronck.

Pour répondre à cette demande accrue, la société coopérative a créé un service de livraison et de collecte spécial baptisé le «Service 19». Via le magasin en ligne de Co-Labor, les internautes peuvent désormais acheter des produits alimentaires bio ainsi que des fruits et légumes issus de la production de l’entreprise de ­réinsertion par le travail. Celle-ci promeut depuis plus de 30 ans la production locale et biologique, rappelle sa responsable adjointe. Forte de cette première expérience positive dans l’e-commerce, ­l’enseigne souhaite à présent ­l’intégrer pro­gressivement à ses activités de commerce physique.

Clairement, la crise a poussé les consommateurs à repenser leurs habitudes et leurs priorités. L’étude d’IP Luxembourg montre que si 7 répondants sur 10 promettent de rester fidèles à leur grande surface favorite pour la remercier du travail accompli pendant la crise, ils sont tout autant à vouloir acheter davantage dans les petits commerces de proximité. Le boucher, le boulanger et l’épicier du coin ont donc résolument leur carte à jouer dans le monde de l’après-confinement.