Les avocats dénoncent une atteinte à leur secret professionnel. (Photo: Christophe Olinger/archives Maison Moderne)

Les avocats dénoncent une atteinte à leur secret professionnel. (Photo: Christophe Olinger/archives Maison Moderne)

La Haute Corporation s’oppose à la loi de transposition de la directive DAC6 imposant aux avocats d’informer le fisc si leurs clients leur présentent un montage fiscal transfrontalier potentiellement agressif.

Très attendu par le Barreau, l’avis du Conseil d’État sur le a été livré cette semaine. Et il a de quoi contenter les avocats qui s'étaient indignés de voir leur secret professionnel bafoué par une transposition plus stricte que la directive elle-même.

Outil supplémentaire du couteau suisse développé par la Commission depuis la crise de 2008 dans le but de traquer l’évasion fiscale, la sixième directive sur la coopération administrative (DAC6) élargit l’obligation de vigilance aux intermédiaires, à savoir les conseillers fiscaux, comptables, banquiers, fiduciaires et avocats, actifs dans la planification fiscale pour le compte de leurs clients.

Si la directive autorise l’exemption des professionnels «lorsque l’obligation de déclaration serait contraire au secret professionnel applicable en vertu du droit national», «le législateur ne demande pas aux avocats de dénoncer leurs clients, mais de dénoncer la structure potentiellement agressive», déplorait le bâtonnier sortant Me  .

Les États membres voisins du Luxembourg ont retenu une approche large quant à la dispense accordée aux intermédiaires tenus par le secret professionnel.

Conseil d’État

Le Conseil d’État «s’interroge» sur le choix du législateur de réserver la dispense d’obligation d’informations aux seuls avocats «alors même que d’autres professionnels, à l’instar des réviseurs d’entreprises et des experts-comptables, peuvent également être concernés par ladite dispense». Une différence qui «risque de conduire à une inégalité de traitement dans le domaine des services de conseil fiscal», estime la Haute Corporation.

Celle-ci partage le point de vue du Barreau sur l’étroitesse de la dispense accordée aux avocats par le législateur, constatant que «les États membres voisins du Luxembourg ont retenu une approche large quant à la dispense accordée aux intermédiaires tenus par le secret professionnel», de la Belgique à l’Autriche en passant par la France et l’Allemagne.

Le Conseil d’État demande aux auteurs du projet de loi, sous peine d’opposition formelle pour violation du principe d’égalité devant la loi porté à l’article 10bis de la Constitution, d’étendre la possibilité de dispense à tous les intermédiaires tenus par le secret professionnel.

Conseil d’État

Conséquence: «pour des raisons d’égalité de traitement, le Conseil d’État demande aux auteurs du projet de loi sous examen, sous peine d’opposition formelle pour violation du principe d’égalité devant la loi porté à l’article 10bis de la Constitution, d’étendre la possibilité de dispense à tous les intermédiaires tenus par le secret professionnel – à tout le moins dans le domaine des services de conseil fiscal – à savoir notamment les avocats, les réviseurs d’entreprises et les experts-comptables».

Le Conseil d’État ne s’arrête pas là. Il épingle les dispositions prévoyant que les avocats transmettent à l’Administration des contributions directes des informations sur les montages fiscaux qui leur sont présentés. Des «informations de nature générale et [n’étant] pas susceptibles d’être reliées au client et contribuable concerné, de sorte que la problématique du secret professionnel ne se poserait pas», assure le législateur dans ses commentaires.

D’autres «incohérences» relevées

Non seulement «aucune des législations des États membres voisins du Luxembourg ne prévoit d’obligations supplémentaires en ce qui concerne les intermédiaires soumis au secret professionnel», pointe le Conseil d’État, mais en outre «la transmission d’informations même anonymes permettra ensuite de manière indirecte l’identification des parties concernées». Sans compter que le justiciable qui se verrait poursuivi pour une opération fiscale «risque de se voir opposer par l’administration fiscale les informations qui auront été communiquées par son avocat (…). Il y aura là une atteinte aux droits de la défense.»

Une «incohérence» que la Haute corporation somme au législateur de corriger sous peine d’opposition formelle. Elle brandit une autre menace d’opposition formelle concernant l’accès qui serait accordé à l’Administration des contributions directes à certaines informations conservées en application de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme. Eu égard au règlement général sur la protection des données, cette clause ne peut être insérée dans la loi.

Le ministère des Finances doit donc reprendre son ouvrage sachant qu’il souhaitait que la loi de transposition entre en vigueur le 1er juillet 2020.