Romain Tisné . (Photo:  Olivier Toussaint )

Romain Tisné . (Photo: Olivier Toussaint )

Depuis des décennies, et sur tous les sujets, le sens commun a plus ou moins consciemment opposé la performance et le confort. Ce dernier, renvoyant à une forme de passivité, voire d’oisiveté, est devenu l’ennemi des plus grands cost-cutters et a progressivement disparu des feuilles de route stratégiques, pour laisser place à l’efficience. Dans un moment de réflexion collective et individuelle sur le comment et le pourquoi des choses, le confort n’est-il pas en réalité devenu une condition sine qua non pour une performance dite «durable»?

Déjà en 1866, Ernst Haeckel, proposait le concept d’écologie – une science qui avait vocation à étudier les rapports entre les organismes et le milieu dans lequel ils vivent. Plus récemment, des organisations de tous horizons s’approprient le concept d’«écologie humaine», en s’intéressant à la place «bienveillante» que chacun pourrait ou devrait prendre dans une société qui sortirait de l’impasse dans laquelle elle se trouve. Dans une vision beaucoup plus «micro», n’est-ce pas le bon moment pour regarder ce qui se passe dans les organisations sur ces sujets? De nombreuses études parlent d’une perte de sens chez les collaborateurs, de nouveaux risques psychosociaux font leur apparition, et les niveaux d’engagement sont au plus bas. Face à ces constats, qui ne sont pas seulement le fruit de certaines pratiques managériales, mais aussi liés à des phénomènes externes, que peut-on faire pour retrouver ensemble du confort dans ce que nous faisons? Patrick Lencioni nous propose un modèle en 5 étapes: Bâtir et entretenir la confiance; Dire les choses et favoriser un débat authentique; Engager autour des décisions; Cultiver l’autonomie et la responsabilité; pour enfin Délivrer collectivement un haut standard de qualité de service. Prenant du recul sur ce que nous vivons dans nos entreprises, ce cycle nous oblige à nous questionner sur l’étape à laquelle nous nous trouvons, mais aussi sur la question du «comment progresser vers le graal ultime». Une chose est sûre, bien que caché entre les lignes, le confort est bien un levier essentiel à chaque étape.

La confiance n’est pas réservée seulement à nos alliés

Dans son ouvrage «Lost in Management», le sociologue François Dupuy écrit: «Ce qui va permettre la confiance, c’est la réduction de l’incertitude des comportements, ce que les philosophes […] appellent l’éthique.» Alors que la confiance est souvent associée à une relation plus ou moins intime, ou tout du moins positive, entre celui qui donne sa confiance et celui qui la reçoit, cette citation nous rappelle à quel point, plus que l’aide que nous trouverons chez une personne en cas de difficulté, c’est bel et bien le caractère prédictible des choses et des gens qui rassure, sécurise et nous permet de créer ou d’entretenir l’alliance. Au sein de l’organisation, chacun a son mandat: certains sont compatibles, d’autres sont corrélés, d’autres enfin sont opposés. Par exemple, la réglementation bancaire a créé des fonctions-clés et un cadre de gouvernance qui permettent à l’organisation de s’organiser face au risque qu’elle peut ou veut prendre. Ces rôles et fonctions différents peuvent amener des échanges plus ou moins productifs, ouverts ou aimables, mais serait-on pour autant incapables de se faire confiance? Je ne le pense pas. L’être humain a, par défaut, plutôt peur de l’inconnu. Dans cette logique, il convient de permettre à chacun de comprendre ce qui se passe ou ce qui se joue, mais avant tout de connaître avec un niveau d’assurance relativement fort la conséquence de son action, de celle de son entourage et du collectif. Dans un exercice qui peut aller de la définition d’une finalité à celle d’une ambition, en passant par des processus du quotidien, le confort relatif au fait de savoir à quoi s’attendre contribuera certainement à poser ensemble la première pierre du processus décrit par Patrick Lencioni.

Des espaces sécurisés

Lorsqu’il est trop tard et que la séparation est proche, chacun cherche et trouve les mots pour verbaliser le pourquoi d’un départ ou d’une rupture. S’ensuivent une série de déceptions, de regrets, de remords, allant même parfois jusqu’à la réconciliation sur fond de promotion immédiate, de contre-offres ou de négociations de toutes natures. Même si cela fonctionne dans certains cas, il est malheureusement souvent trop tard. Pour décrire toutes ces situations, Peter Senge nous parle de remèdes symptomatiques. Dans une situation perçue comme difficile ou urgente, chacun peut percevoir la solution à long terme, mais celle-ci demande du temps, denrée rare au moment de se positionner. Aussi, on traite le symptôme à court terme – la conséquence –, ce qui va systématiquement créer des dommages collatéraux sur le reste de l’organisation et nous éloigner de la solution la plus durable – celle qui traite la cause. Dans la droite ligne d’une prédictibilité quasi absolue, la capacité de chacun à s’exprimer librement, sans conséquence directe, pour poser ses questions ou faire part d’un vécu, remet chacun en situation de faire des choix pour lui-même et pour le collectif. L’enjeu est double – créer un environnement sain avec des espaces sécurisés dans lesquels tout peut être dit, tout en maintenant un fort niveau d’alliance et une certaine autorité permettant de tenir le cadre. Cette transformation doit être accompagnée d’une discussion ouverte entre les talents et leurs managers de proximité – chacun à son niveau. Il convient ainsi de créer des espaces, physiques ou virtuels, définis dans le temps, avec leurs règles et un niveau d’écoute adéquat. La supervision est un mécanisme qui existe et qui a fait ses preuves, mais les organisations se doivent de trouver leurs propres réponses à ces sujets.

Succès mal perçus, équipes déçues

Sur ce sujet, performance rime encore souvent avec rentabilité. L’organisation s’engage dans des feuilles de route à plus ou moins long terme, sur différentes thématiques et dans un espace-temps distendu entre la durée du cycle d’exploitation réel et les échéances fixées par d’autres contreparties. Le mode «projet», en plus d’être valorisant sur un CV lorsqu’il est associé à un titre, est souvent synonyme de complexité. Il permet de recommencer très régulièrement une nouvelle feuille de route, qui mobilisera un collectif et des talents, qui redéfinira les règles en tenant compte des succès et des échecs passés, qui réaffirmera l’autorité de celui qui le porte et qui remplira les agendas de plusieurs comités. Ce n’est plus à démontrer: le «projet» est fondamentalement source de productivité, mais il est parfois vécu comme une «contrainte à délivrer vite». Avec un niveau d’adrénaline continu, chacun se mobilise, planifie, annonce, prend des engagements, délivre ou non, (se) justifie le pourquoi, communique, trouve de nouvelles solutions, fait des arbitrages ou fait trancher – avec pour seul objectif la date à laquelle il traversera la ligne d’arrivée. Or, dans cette course effrénée au résultat, et voyant l’énergie qui se dégage de ce mode de fonctionnement, tout devient «projet», même les tâches qui n’ont pas de fin.

Nicolas Boileau disait en son temps: «Hâtez-vous lentement; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage: Polissez-le sans cesse et repolissez-le; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez». Sans entrer dans un débat certainement riche entre le bénéfice du mode «projet» comparé au mode «run», force est de constater que le premier mode n’a de sens que lorsqu’il a une date de fin claire – lorsqu’il devient perpétuel, il devient source de frustration continue et durable qui empêche les équipes de se consacrer pleinement à la tâche et de se rapprocher d’un temps de respiration qui ne viendra jamais. Le «run», certes moins «sexy», mais bien plus «confortable», a pourtant d’autres avantages. Dans une perspective long terme, chacun capitalise sur l’existant pour progressivement rendre son quotidien plus facile. Chaque journée s’arrête en acceptant qu’une boîte de réception ne soit pas totalement vide. Le temps, ressource dès lors disponible, permet de travailler en amont sur le sens, le design du processus, les modes relationnels. En revanche, il oblige à redéfinir collectivement la notion de succès, une notion-clé pour l’épanouissement individuel et la vie du collectif. Pour grandir et s’adapter à ce mode plus «écologique», la feuille de route peut être construite sur la projection de succès collectifs et individuels dans une action partagée entre la Direction et les équipes. Ainsi, l’adrénaline tant recherchée laisse place à un dispositif durable et motivant, basé sur la recherche de récompenses, à mettre en face d’objectifs ambitieux et réalistes pour des fiches de postes ajustées aux projets individuels comme collectifs. Ici encore, il n’y a plus d’incompatibilité entre nos deux concepts phares.

Au fond, la période que nous vivons n’a-t-elle pas, en autorisant chacun à télétravailler en charentaises, montré la voie pour une nouvelle façon d’allier Confort et Performance? Chaque jour, des études montrent un niveau de productivité stable, voire en hausse, malgré les règles très strictes qui nous sont imposées. Une question demeure ouverte: les organisations réussiront-elles à capitaliser sur ce qu’elles ont vécu pour se réinventer ou revenir à des modes plus «écologiques» une fois le retour durable au bureau permis?

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