Les prix de la construction sont en augmentation de 13,9% sur an, et 16 des 18 corps de métier qui constituent cet indice affichent une augmentation des prix de moins de 10% sur un an.  (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne/Archives)

Les prix de la construction sont en augmentation de 13,9% sur an, et 16 des 18 corps de métier qui constituent cet indice affichent une augmentation des prix de moins de 10% sur un an.  (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne/Archives)

Pour faire face à la hausse brutale des prix des matières premières, Christian Point, partner chez Arendt & Medernach, propose l’introduction du concept d’imprévision dans le droit luxembourgeois tout en l’encadrant.

Face à la hausse des prix, , est-il possible de renégocier un contrat? «En principe, la réponse est négative en l’absence de clauses d’imprévision ou de révision du prix du marché. En présence de circonstances exceptionnelles, il n’est pas possible de prétendre à une révision du contrat», a expliqué , partner chez , lors d’une récente conférence ayant pour sujet «Hausse brutale du prix des matières premières: que faire?», organisée par Arendt, la Fedil et la Chambre de commerce.

L’avocat s’est penché sur la question alors que certains entrepreneurs se retrouvent dans une situation difficile dans un contexte de flambée des prix. Celle de devoir honorer des contrats qui finalement leur coûtent très cher du fait notamment de l’augmentation des prix des matières premières, sans parler des pénuries qui mettent ces mêmes entrepreneurs sous la menace de pénalités de retard.

Pour rappel, le Statec a récemment publié les prix de la construction qui sont en augmentation de 13,9% sur un an, tandis que 16 des 18 corps de métier qui constituent cet indice affichent une augmentation des prix de moins de 10% sur un an.

La «force majeure» difficilement invocable

En premier lieu, Christian Point rappelle qu’il n’est pas possible de faire jouer le concept de «force majeure» pour prétendre à une renégociation ou à une résiliation du contrat. «On pourrait être tenté de soutenir que serait un “cas de force majeure” le fait d’acheter une matière première à un prix qui condamne nécessairement à exécuter un contrat de façon déficitaire. Mais en droit luxembourgeois, il est traditionnellement admis qu’on ne peut retenir l’hypothèse de la force majeure que si l’exécution de l’obligation contractuelle est impossible, ce qui n’est pas le cas de l’hypothèse où l’exécution est seulement excessivement onéreuse», a expliqué Christian Point.  

En revanche, il est envisageable d’inclure dans le contrat une clause permettant de recourir à ce concept. «Il n’est pas impossible de prévoir, dans une clause contractuelle, que serait un cas de force majeure la modification de l’environnement économique. Le fait de devoir exécuter une obligation excessivement onéreuse pourrait ainsi être reconnu comme équivalant à un cas de force majeure. Mais encore faut-il l’avoir prévu dans le contrat initial», a tempéré l’avocat.

Si vous devez honorer un contrat qui, du fait de la hausse brutale du prix d’une matière première, ne vous permet même plus de vous rémunérer, le droit ne permet pas de renégocier ou résilier le contrat.
Christian Point

Christian PointpartnerArendt & Medernach

Introduire le concept d’imprévision dans le droit luxembourgeois?

Pour faire face à la hausse brutale des prix des matières premières ou des prix de l’énergie, les entreprises peuvent inclure dans les contrats des clauses d’indexation avec le défaut de ne pas traduire immédiatement la réalité des hausses de prix. Christian Point propose de s’intéresser au concept d’imprévision, qui est d’ailleurs appliqué dans les marchés publics, mais qui n’est pas encore expressément consacré dans les marchés privés.

«Le soumissionnaire ne peut être chargé par le pouvoir adjudicateur d’un risque extraordinaire résultant de circonstances qu’il ignore et qui échappent à son influence», peut-on lire dans les textes encadrant les marchés publics. Autrement dit, «si vous devez honorer un contrat qui, du fait de la hausse brutale du prix d’une matière première, ne vous permet même plus de vous rémunérer, le droit ne permet pas de renégocier ou résilier le contrat. Mais le droit luxembourgeois prévoit ce cas de figure pour les marchés publics», a souligné Christian Point avant d’ajouter: «Dans ce cas, on peut obtenir une renégociation des contrats et du marché». Mais dans les marchés privés, le mécanisme de l’imprévision n’est «a priori» pas admis en droit luxembourgeois.

«Historiquement, les juridictions n’ont pas reconnu le mécanisme de l’imprévision, même si certaines décisions ont laissé penser qu’une évolution était en cours. Il n’en reste pas moins que le mécanisme de l’imprévision n’a pas été consacré, si bien que l’on reste, en droit luxembourgeois, dans une situation d’impossibilité de renégocier un contrat», a encore expliqué Christian Point.

Admettre l’imprévision, c’est aussi admettre, sans le dire, des incertitudes.
Christian Point

Christian PointpartnerArendt & Medernach

En France, depuis 2016, le concept d’imprévision a été introduit dans le Code civil. « Auparavant très rigide sur la question, le législateur français a ouvert la porte en permettant de demander une renégociation d’un contrat dans le cas où l’on est confronté à des circonstances imprévisibles qui obligent à une exécution excessivement onéreuse. Mais le droit français est resté prudent puisqu’il maintient l’obligation de continuer à exécuter le contrat. », a précisé Christian Point.

Sur ce point, le droit belge a récemment introduit le mécanisme de l’imprévision (pour une entrée en vigueur le 1er janvier 2023). Le législateur belge est même allé plus loin en prévoyant la possibilité pour un juge notamment d’adapter un contrat en cas de refus d’une demande de renégociation ou en cas d’échec de la renégociation dans un délai raisonnable.

Au vu de la situation actuelle, Christian Point propose l’introduction du mécanisme de l’imprévision en droit luxembourgeois. Mais le spécialiste de droit immobilier a également insisté sur la nécessité d’encadrer un tel mécanisme afin de ne pas créer une excessive insécurité juridique qui serait le pendant de la souplesse. «Admettre l’imprévision, c’est aussi admettre, sans le dire, des incertitudes», a conclu Christian Point.