Mardi 19 septembre, 19h. Le soleil passe encore à travers la baie vitrée pour inonder le hall du Crystal Park de PwC. Les invités quittent l’apéritif pour se précipiter sur les chaises noires molletonnées installées devant la scène. Sur laquelle les têtes de listes pour les législatives des partis représentés à la Chambre des députés se tiennent prêtes à débattre: (DP), (LSAP), (déi Gréng), (CSV), (Piratepartei), (ADR) et (déi Lénk). Après quelques mots du managing partner PwC , hôte de l’événement organisé par le Paperjam+Delano Business Club, les animateurs – le rédacteur en chef de Paperjam, , et le journaliste politique – rappellent les règles: 1h30 de débat, 10 minutes de parole par personnalité. «Ce sera forcément trop court, frustrant. On n’abordera pas tous les thèmes» compris dans les «2.500 à 3.000 pages de programmes électoraux», admet Thierry Labro. Le but, orienter les électeurs encore hésitants, à quelques semaines du scrutin, qui aura lieu le 8 octobre. Le débat se concentrera sur trois thèmes: le logement, l’attractivité et la société/fiscalité.
Partie 1: le logement
Première question: Quelles mesures prendre immédiatement pour débloquer la situation du logement?
«Investir et accélérer», résume Paulette Lenert. «Faciliter l’accès à la primoacquisition.» Xavier Bettel mitraille: «Les gens qui ont des terrains à bâtir et les gardent pour des raisons de spéculation devraient être taxés s’ils ne sont pas construits», «pour les primoacquérants, les dédouaner de frais d’enregistrement», «voir ce qui est primes de location pour les jeunes»… Mais surtout «arrêter de dire que ce sont les uns ou les autres et se mettre tous ensemble».
Un souhait que ne lui feront pas le plaisir de réaliser ses concurrents autour de la table. Si Sam Tanson, qui fait partie de la coalition au pouvoir, défend un «changement de paradigme pour l’investissement dans le logement abordable» à poursuivre, pour Luc Frieden, «la politique de logement des dix dernières années est un véritable échec». La tête de liste CSV préconise d’agir sur deux axes: les procédures et la fiscalité. «Notre population croît, il faut agir vite pour éviter que la cohésion sociale à travers le logement éclate». Des propositions suivies d’un (premier) tonnerre d’applaudissements. Et d’une réplique du Premier ministre à l’ancien ministre: «Mon prédécesseur, (CSV), a dit que vous avez foiré le logement». Et d’autres applaudissements. Le combat continue au sujet de la loi sur le bail à loyer. «Elle n’est pas votée», dit Sam Tanson. «Il faut la retirer», répond Luc Frieden.
Je vais essayer de vous mettre d’accord, vous avez tous foiré avec brio.
«Je vais essayer de vous mettre d’accord, vous avez tous foiré avec brio», lance alors David Wagner. Il propose d’«agir sur la loi au niveau des loyers. Vous aviez dix ans, vous n’avez rien fait. On connaît votre bilan, j’espère que vous n’aurez pas l’opportunité de le rééditer.»
«Le Premier ministre dit qu’il reste beaucoup à faire, je lui donne raison, c’est un aveu», commente à son tour Fred Keup. Pour lui, «il faut s’attaquer à la cause et pas aux symptômes: cette croissance démographique démesurée.» Il se dit d’accord pour «baisser la TVA pour les constructions, alléger la réglementation, il faut que l’État aide à acheter des logements, aide les entreprises de construction, travailler sur les taux d’intérêt qui évoluent dans la mauvaise voie.» Mais «ce qu’il ne faudrait pas faire, c’est travailler sur les taxes des propriétaires. Cela ne changera pas grand-chose. Pour nous, il est important de respecter le droit à la propriété privée.»
Sven Clement continue sur le fait qu’«on n’a pas construit assez, pas assez rapidement». Il veut «mobiliser les terrains que l’État et les communes détiennent déjà» et «densifier», en jouant sur les plans d’aménagement généraux (PAG). Mais aussi «faciliter l’accès à la location», alors que la «fiscalité favorise l’achat». Et «augmenter les garanties pour les prêts hypothécaires».
Partie 2: l’attractivité
À 19h43, on passe à «l’attractivité, la place financière et les talents». «Est-ce que cela vous intéresse toujours d’être un first mover?», interroge Thierry Labro.
«Absolument», assure Paulette Lenert, qui cite les investissements dans la recherche. «Je ne vais pas vous annoncer ce que je ne peux pas vous annoncer, mais des annonces vont venir dans les prochains jours ou semaines, avec de nouvelles entreprises sur l’Automotive Campus», complète Xavier Bettel avec mystère. Sam Tanson évoque la création de panneaux solaires made in Luxembourg. «Si les panneaux solaires font de nous un first mover, j’ai l’impression qu’on est plutôt un last mover», critique alors Sven Clement. «On doit parler de nouvelles technologies qui vont beaucoup plus loin. En commission, on nous dit souvent qu’on attend la transposition des directives chez nos voisins belges ou français. Cela ne donne pas l’impression d’être un first mover.»
Nous devons nous donner pour objectif d’être parmi les trois économies les plus compétitives en Europe.
«First mover se décline en deux mots: attractivité et compétitivité», détaille Luc Frieden. «Deux points sur lesquels nous avons perdu au cours des dernières années. Nous devons nous donner pour objectif d’être parmi les trois économies les plus compétitives en Europe. À travers la fiscalité, pour les entreprises et les personnes physiques.» Ce qui tend Xavier Bettel: «Nous avons dû faire des changements par rapport à votre politique. Avant, nous étions blacklistés ici.»
À la notion de first mover, David Wagner préfère celle de «good mover». «La coopération est plus bénéfique que la compétition, qui implique des perdants. Il faut à mes yeux être un first mover en matière de la réglementation fiscale.»
«On ne peut pas être plus attractif d’un côté et résoudre le logement de l’autre», estime quant à lui Fred Keup. «Il faut faire des choix. Il est essentiel de soutenir la place financière.»
Que faire face à la concurrence des autres places financières?
«Soutenir l’investissement dans les secteurs d’avenir, les fintech, la gestion de données», liste Paulette Lenert. Xavier Bettel parle de la finance durable et de garder le triple A. «Je veux qu’on soit compétitifs, mais aussi compliants.»
«J’ajouterais qu’il faut observer de près ce qu’il se passe à Dublin, à Londres et sur les places asiatiques», complète Luc Frieden. «Il est clair qu’il ne faut pas augmenter la fiscalité.»
Chez déi Lénk, «nous sommes d’avis qu’il fait taxer les grandes fortunes et pas le travail. Nous voulons combattre l’évasion fiscale. Cela nuit au Luxembourg.» Alors que selon Fred Keup, «l’État a besoin d’argent, qui vient en grande partie de la place financière. Il faut rester vigilants.» Sven Clement préconise de «revenir à l’essentiel, la création de services à valeur ajoutée: fonds verts, données…»
Les frontaliers représentent un vivier de talents «au bout du rouleau», rappelle Thierry Labro. «Nous avons déjà simplifié les procédures pour les travailleurs de pays tiers», rappelle Paulette Lenert. Qui cite aussi la qualité de travail et le cadre de vie pour attirer de la main-d’œuvre. Et la nécessité de «penser le Luxembourg au-delà de ses frontières». Xavier Bettel cite les écoles européennes et internationales. Sam Tanson, la formation. Luc Frieden résume le sujet en «trois facteurs: le logement, la formation, la fiscalité».
Ce n’est pas une question d’heures de travail.
«Au Luxembourg, des milliers de personnes viennent d’Amérique latine, d’Afrique et n’ont pas de papiers alors qu’ils sont là depuis 20 ans et travaillent au noir dans la restauration, le ménage… Il faut les régulariser», plaide David Wagner.
Fred Keup répète qu’il ne faut «pas qu’on devienne victimes de l’attractivité. La qualité de vie a diminué ces dernières années au niveau de la mobilité, la délinquance, le coût de la vie…» Ce qui énerve Xavier Bettel, qui se dit «fier qu’on accueille des réfugiés, des gens qui fuient leur pays pour survivre». Applaudissements. Des «belles paroles» pour David Wagner. «Je parle des réfugiés politiques, pas économiques», explique le Premier ministre. «Vous comparez deux misères», conclut le candidat déi Lénk.
Reconnaissance des diplômes et promotion de l’actionnariat salarial font partie des revendications du Piratepartei. En plus «d’abolir cette fiscalité qui se base sur l’état civil» - une mesure qui séduit une nouvelle fois la salle.
«Nous sommes d’accord sur ce point», affirme Xavier Bettel. «Vous auriez pu le faire», répond son adversaire. «J’aurais bien aimé», admet-il, avant de sortie l’argument des crises successives.
Partie 3: société, justice sociale, fiscalité et défis environnementaux
Une bonne transition pour passer à la dernière thématique, à 20h20: «société, justice sociale, fiscalité et défis environnementaux».
Une réforme fiscale, quand et comment? «Je ne la promets pas le 1er janvier», annonce Xavier Bettel. «On doit adapter le barème». Une «grande priorité, qu’on aurait dû mettre en place», selon Paulette Lenert. «Rendre notre système plus juste et l’adapter au temps moderne», termine Sam Tanson. «Nous ne pouvons pas seulement réduire les impôts, il faut continuer à investir dans le futur. Il faut aussi une taxe sur les grandes fortunes en dédouanant la propriété immobilière personnelle.»
«Si cette coalition continue, il n’y aura pas de réforme fiscale», prédit Luc Frieden. «Nous sommes d’avis qu’il faut commencer plus tard, élargir les tranches pour que la progression soit moins forte, éviter d’imposer plus, adapter le barème à l’inflation, ce qui va coûter 500 millions d’euros». Suivi d’une bataille entre partis sur le chiffrage des mesures.
Fred Keup ne croit pas en cette réforme fiscale. «Il faut changer de petits aspects, mais rester réalistes, nous avons des dettes, un seuil de 30% à ne pas dépasser. Ce qui est important pour nous, c’est de donner des avantages aux familles avec des enfants. Nous sommes opposés, comme Luc Frieden, à de nouvelles taxes ou impôts, sur la fortune ou la succession.»
Bonus, la réduction du temps de travail
20h35, la nuit est tombée de l’autre côté de la vitre et la lumière vient maintenant de l’écran géant derrière les candidats sur scène. Leur temps de parole écoulé, ils ont droit à un dernier instant pour s’exprimer, paradoxalement, sur la réduction du temps, de travail.
Paulette Lenert réaffirme la volonté de passer à 38 heures par semaine, en procédant de manière sectorielle via des projets pilotes pour «créer l’évidence». «Le progrès technique ne peut pas être dissocié du progrès social». Xavier Bettel, qui préfère une flexibilisation, qualifie la réduction générale d’«hara-kiri». «En France, on a vu que les 35 heures ont relancé l’économie», ironise-t-il. Une situation économique qui «s’explique par d’autres facteurs que les 35 heures», corrige Sam Tanson. «Il y a une grande demande pour travailler moins afin de se concentrer sur d’autres choses. Il faut soutenir les jeunes parents, pour travailler moins, mais rester dans l’emploi jusqu’à ce que leurs enfants soient scolarisés». Une autre mesure appréciée du public.
Au CSV, «nous sommes pour la liberté d’entreprise, c’est secteur par secteur que cela doit être décidé et non imposé par la loi». Une déclaration qui déclenche d’autres claquements de mains.
David Wagner se remémore alors les précédentes réductions du temps de travail. «Les patrons sont toujours en sueur, et puis on s’en sort». Son parti prône la semaine de 32 heures.
Un «non -sujet» pour Fred Keup. «Je pense que 40h, c’est bien. Ce qu’il faudrait voir, c’est donner la possibilité aux parents qui ont de jeunes enfants qu’un des deux puisse s’en occuper en étant rémunéré par l’État, au lieu de verser de l’argent pour la crèche.» Le Premier ministre fait tomber sa tête entre ses mains et regrette de ne plus avoir le droit d’intervenir dans ce débat qui touche à sa fin. Sven Clement conclut: «Ce n’est pas une question d’heures de travail. Aujourd’hui, on passe plus de temps dans les transports. Les serveurs ne peuvent pas devenir plus productifs en travaillant moins, il y aura toujours des secteurs perdants dans la réduction du temps de travail. C’est pourquoi il faut le faire secteur par secteur, avec des conventions collectives.»
20h46. La grande salle se vide et les invités se dirigent, pour finir la soirée, vers la salle de cocktail.