Notre pays a longtemps occupé les premières places de ce classement mondial de compétitivité, qui compare les performances de 67 pays à travers le monde. Au tournant des années 2000, il figurait même sur le podium des économies les plus compétitives du monde. Dans les années 2010, le Luxembourg se hissait systématiquement dans le top 15, avec même une sixième position en 2015. Depuis, il connaît une dégradation lente, qui s’est donc accélérée en 2023 avec une 20e place et en 2024 avec cette 23e place. Le Grand-Duché s’installe dans le ventre mou de ce classement qui fait référence à l’échelle mondiale alors que les pays que nous désignons souvent comme nos principaux concurrents économiques performent: Singapour (1er), la Suisse (2e), le Danemark (3e) ou l’Irlande (4e). Nous ne pouvons nous en satisfaire.
Il est important d’analyser en détail les raisons de cette perte de compétitivité. Elles sont à la fois conjoncturelles et structurelles. Conjoncturelles, car notre pays est en panne de croissance depuis maintenant deux ans. Les années précédentes, le Luxembourg n’enregistrait déjà plus le différentiel de croissance en sa faveur par rapport à la zone euro, même si le pays a fait preuve d’une remarquable résilience pendant la crise sanitaire. Il a subi de plein fouet la crise inflationniste, particulièrement virulente en Europe. La récession enregistrée en 2023 (-1,1% selon le Statec) a ainsi largement contribué à dégrader la position du Luxembourg pour le pilier «Performances économiques» du classement IMD. Notre pays était premier pour ce pilier en 2022, il était 38e l’an dernier et recule à la 57e place cette année. À l’échelle internationale, seule la Colombie connaît un recul plus important que le Luxembourg pour ce pilier.
Des problèmes structurels à surmonter
Mais il serait réducteur de considérer que les mauvaises performances économiques du moment sont les seules responsables de la dégradation du classement de notre pays au World Competitiveness ranking. Si elle s’accélère depuis deux ans, cette perte de compétitivité est tendancielle depuis une vingtaine d’années. Et les raisons sont d’abord structurelles. Il y a avant tout la nette perte de compétitivité fiscale du pays. Ces dernières années, la compétition fiscale s’est intensifiée à l’échelle mondiale. Selon l’OCDE, entre 2000 et 2022, le taux d’impôt sur les sociétés a diminué dans 97 juridictions à travers le monde, alors qu’il n’a augmenté que dans six juridictions.
Il y a ensuite la difficulté pour le Luxembourg à attirer les talents dont il a besoin pour faire face aux défis économiques de demain: la transition écologique, la transition numérique et le vieillissement de la population. Ainsi, notre pays se classe-t-il à la 53e place mondiale pour le critère «disponibilité de la main-d’œuvre» du classement IMD.
Il y a également la complexité administrative, qui constitue un obstacle majeur à l’expression de notre plein potentiel entrepreneurial. Parmi les indicateurs utilisés par IMD, intéressons-nous au «nombre de jours nécessaires pour créer une entreprise». Le Luxembourg est 50e à l’échelle mondiale pour ce critère avec 16,5 jours en moyenne. À titre de comparaison, il faut seulement 1,5 jour pour lancer un business à Singapour et 3,5 jours au Danemark. Enfin, comment ne pas citer le coût du travail et le temps de travail?
Notre pays présente le coût horaire du travail le plus élevé de toute l’Union européenne et ce désavantage compétitif s’est encore accentué ces derniers mois avec les indexations salariales successives.
Quant au temps de travail, avec 1.488 heures travaillées en moyenne chaque année par salarié, notre pays se classe à la 60e position parmi les 67 pays évalués. Selon Eurostat, le temps de travail hebdomadaire moyen d’un salarié luxembourgeois est de 35,3 heures alors que la moyenne européenne est de 36,1 heures . Le Luxembourg est ainsi le huitième pays européen où l’on travaille le moins. Il voit surtout son désavantage compétitif se creuser très rapidement sur le sujet. Entre 2003 et 2023, en vingt ans, le temps de travail hebdomadaire moyen a reculé de 2,6 heures au Luxembourg.
En vingt ans, le temps de travail hebdomadaire moyen a reculé de 2,6 heures au Luxembourg.
Dans le même temps, la moyenne européenne, elle, n’a baissé que de 2,1 heures. Selon les données de l’OCDE, en heures travaillées par salarié annuellement, le Luxembourg a perdu 113 heures par an et par salarié sur la période, alors qu’en moyenne, les pays de l’OCDE n’ont perdu que 64 heures au cours des vingt dernières années.
Et tout ceci sans gains de productivité réalisés au cours de ces périodes. Résultat: la rentabilité des entreprises – déjà fortement mise à mal par les coûts de production en hausse (cf. indexation automatique, prix de l’énergie, sur-régulation,…) – continue à se dégrader.
La compétitivité est la capacité d’une économie à générer de façon durable des niveaux de revenus, d’emplois et de cohésion sociale relativement élevés, tout en étant exposée à la concurrence internationale. Il faut bien se rappeler que c’était notre forte compétitivité, dopée par notre productivité, qui a fait du Luxembourg un pays prospère, avec des recettes fiscales abondantes, lesquelles ont permis de financer un modèle social généreux. Chaque recul de notre compétitivité est susceptible de remettre en cause ce cercle vertueux. C’est un objectif qui doit être affirmé avec détermination: la restauration de la compétitivité du Luxembourg doit être la priorité absolue du gouvernement.
Simplicité, qualité, modernité: les entreprises attendaient ces mots
Je veux croire que c’est le cas. C’est du moins ce que nous laissent à penser les annonces faites par le Premier ministre Luc Frieden dans son discours sur l’état de la Nation, prononcé le 11 juin dernier. Un discours qu’il a articulé autour d’un triptyque qui sonne comme une devise: simplicité, qualité, modernité. Ces mots, les entreprises luxembourgeoises les attendaient. L’exigence de simplicité administrative, le souci de la qualité et la quête de modernité ne pourront que stimuler notre compétitivité et permettre à notre pays de retrouver son rang.
Ces objectifs transversaux couvrent plusieurs domaines. La fiscalité, d’abord. Le gouvernement s’est engagé à réduire le taux d’impôt sur le revenu des collectivités de 17 à 16% à partir du 1er janvier 2025. À terme, le Premier ministre a exprimé son objectif d’«aligner le taux d’imposition des entreprises à la moyenne internationale». Un signal extrêmement positif. Le logement, ensuite. Les nouvelles mesures annoncées sont à saluer puisqu’elles répondent au besoin vital de construction sur le sol luxembourgeois. Ce besoin est d’ailleurs rappelé par plusieurs enquêtes ces derniers mois. Dans la dernière édition de notre , 76% des sondés estimaient que la crise actuelle du logement a un impact négatif sur la compétitivité et l’attractivité du Luxembourg. 63% des entreprises estiment que la crise du logement a pu impacter leur activité.
Si l’annonce du gouvernement de créer deux nouveaux masters à l’Université du Luxembourg est à saluer, le pays ne peut se passer de l’apport des compétences venues de l’extérieur.
À cette fin, après avoir mis en place des mesures à court terme, principalement fiscales, pour redynamiser le marché en mai dernier, des mesures supplémentaires visant notamment à réduire la lourdeur administrative, sont donc bienvenues pour s’attaquer aux problèmes structurels du logement. Afin d’accélérer la construction de logements, les procédures PAG/PAP seront raccourcies, le principe de «silence vaut accord» pour les autorisations de construire sera appliqué et un «Bautereglement» national sera présenté. Il faudra toutefois être conscient que de nombreuses mesures agiront de manière décalée dans le temps et veiller à ce que les différentes aides financières mises en place, qui doivent être attribuées de façon sélective, ne remettent pas en cause la trajectoire de redressement des finances publiques prévues par le gouvernement.
L’enjeu des talents – tant la formation dans notre pays que l’attraction de la main-d’œuvre étrangère – est également un élément clé de notre compétitivité présente et future. La qualité du système d’éducation et de la formation a également été citée comme un défi important du Luxembourg par la Commission européenne dans sa récente évaluation dans le cadre du semestre européen. Si l’annonce du gouvernement de créer deux nouveaux masters à l’Université du Luxembourg (dans les domaines de l’actuariat et des actifs privés) est à saluer, le pays ne peut se passer de l’apport des compétences venues de l’extérieur.
Il s’agit d’un enjeu stratégique, de survie économique, pour un pays comme le nôtre dont, rappelons-le, près des trois-quarts (74%) des travailleurs n’ont pas la nationalité luxembourgeoise. La place financière en particulier fait face à la concurrence de centres financiers comme Paris, Francfort et Singapour. La concurrence est âpre et les candidats ont souvent l’embarras du choix. Dans ce cadre, la fiscalité est un levier clé pour renforcer l’attractivité du Luxembourg vis-à-vis de ces profils très convoités. À ce titre, la volonté du gouvernement de rendre la prime participative et le régime d’impatriation plus attrayants va dans la bonne direction.
Alors que 22 pays sont désormais plus compétitifs que le nôtre dans le monde, nous ne pouvons plus mettre la poussière sous le tapis.
L’innovation, enfin. Le gouvernement veut accélérer la digitalisation de l’économie luxembourgeoise. Plusieurs annonces concrètes ont été faites dans ce sens: le lancement à l’automne du projet «Clarence», les implantations prochaines de Lyten et de Pony.Ai au Luxembourg, la mise en place d’un superordinateur de nouvelle génération pour remplacer Meluxina ou encore la candidature pour héberger l’un des premiers ordinateurs quantiques européens. Les nécessaires gains de productivité dont les entreprises et administrations publiques ont besoin doivent notamment découler du progrès technologique et de l’innovation, avec à la base des investissements conséquents dans la recherche & développement.
Une fenêtre de tir à exploiter
Toutes ces mesures, les entreprises les applaudissent. Mais elles en attendent d’autres, plus profondes. Là aussi, il y a (enfin) des signaux positifs. Le gouvernement a ainsi affiché sa volonté de réformer une première «vache sacrée» dans notre pays: le système de retraite, incontestablement insoutenable à long terme. «Le système doit être réévalué dans son ensemble et tenir compte de l’évolution démographique et économique du pays», a déclaré le Premier ministre. Il va donc engager une grande concertation sur le sujet. Les entreprises y prendront toute leur part, en portant des propositions concrètes et responsables. D’autres «vaches sacrées» mériteraient aussi d’être réexaminées. Je pense à notre système d’indexation automatique et généralisée des salaires, qui a clairement montré ses limites au cours des derniers mois. Je pense aussi à d’autres sujets importants comme l’absentéisme abusif. Alors que 22 pays sont désormais plus compétitifs que le nôtre dans le monde, nous ne pouvons plus mettre la poussière sous le tapis.
Ce gouvernement, de par ses orientations (cf. ) et ses ambitions (cf. ), semble comprendre les préoccupations des entreprises. Alors que les principales échéances électorales et sociales sont derrière nous, la fenêtre de tir dont il dispose pour opérer les réformes nécessaires à la restauration de compétitivité du pays est inédite. Mais elle est courte. Ne ratons pas cette occasion car demain, il sera trop tard.
«How many hours per week do Europeans work?», Eurostat, mai 2024
est directeur général de la et nous publions son post, disponible sur avec son accord.