Pour une juste mesure de la compétitivité d’un pays, visiblement, tout est une question de méthode. Voilà ce qui ressort de la dernière communication de la Chambre des salariés, dans son Éconews du mois de septembre. Un document de neuf pages dans lequel elle s’attache à nuancer et auquel contribue la Chambre de commerce. Il plaçait le Luxembourg en 23e position, sur 67 pays.
Une «dégringolade» qui a «provoqué des cris d’alarme dans certains milieux économiques», souligne la Chambre des salariés qui parle aussi «d’alertes sans fondements». Selon elle, cette dégradation de la compétitivité s’explique principalement par trois facteurs, qu’elle s’attache à détailler dans son document. Elle y prône le «discernement», afin de ne pas tomber dans les «pièges des hypothèses de travail dictées par le cadre idéologique des créateurs de ce classement», qui repose sur quatre piliers: les performances économiques, l’efficacité du gouvernement, celle des entreprises et celle des infrastructures.
Selon la CSL, le mauvais score du pays s’explique déjà en partie par la conjoncture économique européenne, dégradée en raison de la guerre en Ukraine, de l’instabilité géopolitique et du niveau élevé des taux d’intérêt. Elle note aussi que la méthode utilisée par l’IMD – comme dans d’autres classements du même type – part du postulat qu’un pays et son économie devraient être gérés comme l’activité d’une entreprise. «Or, une telle façon de procéder peut mener à privilégier des politiques court-termistes aux dépens des enjeux et des défis de long terme.»
Des critères à revoir
Selon la Chambre des salariés, d’autres facteurs seraient pertinents à analyser si l’on veut mesurer la compétitivité, et les seuls facteurs de compétitivité-prix tels que les dépenses publiques, les niveaux de salaires ou l’évolution de la productivité au travail ne sauraient suffire à refléter la réalité de la situation du pays en matière de compétitivité. Elle recommande ainsi de prendre en compte d’autres facteurs qui représentent la compétitivité «hors prix», tels que les systèmes d’éducation et de formation, la protection sociale, ou encore l’innovation. Elle rappelle à ce titre la définition de la compétitivité qui avait été retenue dans le cadre des travaux du Conseil économique et social (CES) par les partenaires sociaux, à savoir «la capacité d’une nation à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale tout en préservant l’environnement».
En matière de croissance et de productivité réelle, elle évoque des «apparences trompeuses» dans la méthode de calcul utilisée, qui est celle de la productivité horaire du travail au regard du nombre d’heures travaillées. Selon la CSL, «si l’on calculait la productivité annuelle, il semble encore plus évident que malgré le peu d’heures travaillées, le Luxembourg crée énormément de richesses». Elle s’appuie ainsi sur les données du qui mentionne «un temps de travail effectivement presté plus élevé que celui mis en avant par l’IMD», et qui est «en constante augmentation».
Autre critère nuancé par la CSL, le pilier «environnement des affaires» qui repose sur des indicateurs subjectifs, «dont deux figurent parmi les principales faiblesses du pays»: la satisfaction des clients et l’utilisation de big data et d’analyse de données dans la prise de décision des entreprises. Les indicateurs et données mis en avant par l’IMD offrent alors une vision du pays qui semble «excessivement pessimiste».
Comparer le Luxembourg au Botswana: un exercice voué à l’échec
La CSL pointe aussi un manque de prise en compte des spécificités luxembourgeoises dans le calcul de cet indice de compétitivité, qui n’a pas tenu compte, par exemple, du fait que le territoire est particulièrement exigu, qu’il dispose d’un marché des biens et services plutôt restreint; ou encore du fait que son économie est largement dominée par le secteur des services. La CSL ajoute aussi que cette «apparente perte de compétitivité résulte largement de facteurs conjoncturels ainsi que des spécificités de l’économie nationale, largement dominée par les agissements de grands groupes multinationaux».
Autre élément qui contribue, selon la CSL, à fausser ce classement: le fait que les «petites économies dépendantes de leurs secteurs financiers sont naturellement peu performantes en ce qui concerne la constitution de capital fixe», tout comme le fait «d’exprimer la formation brute de capital fixe en pourcentage d’un PIB gonflé, notamment, par l’impact des activités intragroupe des multinationales».
À ce titre, il pourrait être utile de «relancer et de renforcer les efforts de diversification économique dans des secteurs d’avenir (logistique, technologies de la santé, de l’environnement) afin de rendre l’économie nationale plus résiliente et apte à faire face aux défis d’avenir».
Plus globalement, elle défend l’idée que «classer des pays dépendant largement de rentes issues de ressources naturelles à des pays reposant largement sur des bases industrielles et à des pays émergents semble un exercice voué à l’échec».
La Chambre des salariés pousse même encore un peu plus la réflexion. Selon elle, des éléments présentés comme des faiblesses seraient en réalité des atouts. Ce serait le cas, par exemple, sur les questions de dépenses publiques. Selon l’économiste et homme politique belge Paul de Grauwe – que la Chambre des salariés cite à plusieurs reprises –, «les pays qui dépensent le plus en matière sociale sont aussi ceux qui ont un meilleur classement de compétitivité». La CSL s’appuie aussi sur les travaux de l’économiste américain Paul Krugman pour alerter sur un risque: «que la compétitivité ne devienne un prétexte pour faire adopter des mesures difficiles et impopulaires sans s’attaquer aux véritables causes des problèmes».