Robert Goebbels (Photo: Charles Caratini /archives)

Robert Goebbels (Photo: Charles Caratini /archives)

Depuis à la réintroduction des contrôles systématiques aux frontières terrestres entre la France et Luxembourg, le Sud de notre pays étouffe matin et soir dans des bouchons monstres. Pour rentrer ou sortir de notre pays, il faut compter souvent deux heures, parfois davantage. Des files se forment de part et d’autre de la frontière sur 10, 20, parfois 25 kilomètres à cause des contrôles opérés par les autorités françaises. Cette situation bloque également la circulation interne dans les localités frontalières.

Les transports en commun sont saturés aux heures de pointe. Alors que des policiers lourdement armés paradent dans les gares, les trains régionaux bondés ne sont paradoxalement pas contrôlés. Les autobus avancent avec les bouchons. Pour rentrer en bus de Luxembourg à Thionville, il fallait compter deux heures et demi ces derniers jours!

En tant que signataire de l’accord de Schengen initiant la libre circulation en Europe, je lance un appel urgent au gouvernement luxembourgeois et à la Commission européenne afin d’œuvrer rapidement à un retour à une situation normale.

Les accords de Schengen, qui font depuis le traité d’Amsterdam partie intégrante de l’acquis communautaire, ne sont nullement à l’origine de l’afflux de migrants fuyant la terreur meurtrière dans leur région du monde. Les attentats de Paris furent commis essentiellement par des Français. Les auteurs et leurs complices n’ont pas été neutralisés à une frontière, mais dans des villes situées loin des frontières.

Que le gouvernement de la France ait jugé nécessaire de réintroduire les contrôles aux frontières est compréhensible face à ces événements tragiques. Même si manifestement la surenchère politicienne du Front national et d’une partie de la droite républicaine, qui dénoncent depuis longtemps «Schengen» comme étant à l’origine de tous maux, a influé sur le gouvernement, confronté début décembre à un scrutin électoral majeur.

Faut-il rappeler que la Grande-Bretagne ne fait pas partie de l’espace Schengen et que ce pays souffre néanmoins d’une criminalité importante, illustré par le fait que la population carcérale y est la plus importante dans l’Europe des 28? Que la Grande-Bretagne est, après l’Allemagne, le deuxième pays cible des migrants légaux et illégaux? Que les îles britanniques, malgré la maîtrise théorique de leurs frontières, comptent néanmoins un nombre très important de clandestins?

Dans l’espace Schengen il faut sécuriser davantage les frontières extérieures communes. Il faut notamment donner beaucoup plus de moyens à Frontex afin de permettre à cette organisation commune d’épauler les pays méditerranéens et balkaniques à mieux contrôler la migration. La Grèce n’a aucune frontière commune avec le reste de l’espace Schengen, mais peine à sécuriser les 1.000 îles du pays.

Chaque semaine entre 12 et 13 millions de personnes se présentent aux frontières extérieures de l’espace Schengen. Cela fait déjà quelque 130 à 140 millions de contrôles à opérer. Mais les 1,5 milliard de personnes qui traversent chaque année les frontières intérieures de l’espace Schengen ne peuvent plus être contrôlées en permanence. Ou alors il faut instaurer partout l’état policier permanent et tuer la libre circulation des personnes, des services et des marchandises.

Un million de frontaliers traversent chaque jour ouvrable les frontières françaises pour travailler dans une région voisine. 100.000 frontaliers français travaillent à Luxembourg. Continuer à leur imposer les contrôles actuels rendrait non seulement leur vie beaucoup plus pénible, mais aurait également un coût économique grandissant. Si le chaos actuel sur les routes entre la France et ses voisins perdurait, tout le commerce transfrontalier en pâtirait. Les transports internationaux de marchandises également. Que dire des 85 millions de touristes venant dépenser chaque année leur argent en France, encore première destination touristique au monde? Le coût économique risque d’être énorme.

Schengen est compatible avec des contrôles ciblés. Schengen permet depuis 1985 des contrôles par sondage aux frontières. Mais il ne faut pas que l’Europe s’entoure de barbelés et bloque la libre circulation pour 500 millions d’Européens et 16 millions de détenteurs d’un Visa Schengen (sévèrement contrôlé avant attribution), pour contrer éventuellement quelques centaines de terroristes potentiellement dangereux.

La sécurité absolue restera toujours une chimère. Nos libertés doivent être défendues d’autant plus ardemment. 

Robert Goebbels, signataire pour le Luxembourg du traité de Schengen.