Depuis 2006 l’Observatoire de la Compétitivité publie annuellement un tableau de bord basé sur près de 80 indicateurs, établi en concertation avec les partenaires sociaux. Ces indicateurs traduisent d’une manière équilibrée des préoccupations économiques, sociales et environnementales. La compétitivité (au sens étroit) et la cohésion sociale sont considérées comme interdépendantes. En 2005, les syndicats LCGB et OGBL avaient publié une prise de position à propos de ce tableau de bord commun soulignant « (Bien plus, nous estimons) qu’elles [la compétitivité et la cohésion sociale] sont même complémentaires ». L’Observatoire de la Compétitivité est resté fidèle à cette démarche originelle, malgré les critiques répétées, alors que d’autres ont manifestement renié leur engagement.
“A poetic way of saying productivity”
Le professeur Paul Krugman, prix Nobel d’économie, qui a donné une conférence au Luxembourg l’année passée, a précisé dans un article célèbre que la compétitivité était le « nom poétique » de la productivité. C’est en effet le concept‐clé du Tableau de Bord : la productivité permet d’augmenter le niveau de vie des citoyens en économisant les ressources rares – énergétiques entre autres – et elle permet de dégager des marges de manoeuvre pour développer la cohésion sociale. Elle détermine aussi une norme pour la compétitivité‐coût et la rentabilité des entreprises. C’est la raison pour laquelle le Bilan Compétitivité soutient une recherche fouillée sur la productivité totale des facteurs a niveau des branches (LUXKLEMS).
De plus, la définition de la compétitivité, qui est inscrite au frontispice de l’Observatoire, est celle retenue par les partenaires sociaux après moult négociations et reprise dans les avis du Conseil économique et socia (CES). Remettre en question unilatéralement cet acquis élaboré en commun, non sans difficulté, revient à détricoter l’édifice de la concertation sociale.
Analyse ou synthèse ? Les deux
Le Tableau de Bord ne se complaît nullement à asséner de vérités « pseudo‐scientifiques » comme l’affirment ses détracteurs : il se borne à mesurer, dans un cadre conceptuel commun, une série de critères arrêtés ensemble sur base de données livrées par la statistique publique. Une analyse sérieuse et approfondie ne peut se faire qu’en étudiant chaque indicateur séparément, par domaine et par branche d’activité. L’indice synthétique, qui agrège l’ensemble de l’information pour donner une vue synoptique, est une aide appréciée par les médias, adeptes de l’information compacte instantanée.
Un audit européen du Tableau de Bord
En 2010, l’Observatoire de la Compétitivité avait commandité un audit après du Joint Research Center (JRC) de la Commission européenne. Ce JRC est le centre d’excellence en matière d’analyse quantitative, qui a notamment collaboré à la rédaction du manuel de l’OCDE sur la construction d’indicateurs mathématiques3. Cet audit a été publié dans sa totalité sous la série de Perspectives de politique économique de l’Observatoire de la Compétitvité. Les recommandations ont été présentées dans le Bilan Compétitivité 2010. Finalement, la transparence du Tableau de Bord et sa solidité méthodologique constituent des éléments certifiés par le JRC.
Révision des données, stabilité des classements
L’Observatoire se sert exclusivement de statistiques publiques officiellement validées. Ces dernières sont révisées régulièrement sur base des critères de qualité généralement admis. C’est le cas des comptes nationaux qui sont révisés périodiquement, exercice inévitable et indispensable. Les révisions sont annuelles, une mise à jour du Tableau de Bord (80 indicateurs !) intra‐annuelle étant trop lourde pour être envisagée avec les moyens disponibles. Les révisions statistiques ne remettent nullement en cause les travaux de l’Observatoire et n’ont pas conduit à une révision ds classements pays, ceux‐ci étant restés stables.
Pondération biaisée ? Faux !
Le reproche est apparemment technique : "la Standardisation des catégories, loin de rééquilibrer le poids des catégories, accroît en fait celui des catégories comportant peu d’indicateurs au détriment de celles en comportant plus, soit totalement l’effet inverse à l’effet recherché." Faux ! La formule d’agrégation donne le même poids aux 10 catégories, indépendamment du nombre d'indicateurs à l'intérieur de chaque catégorie. L’Observatoire de la Compétitivité a rappelé que la compétitivité au sens large est mesurée à travers les 10 catégories du Tabeau de Bord. Par construction, aucune dimension n’est privilégiée.
Education : mesurer l’efficacité du système
D’après une étude de l’OCDE «La comparaison des dépenses d’éducation et des résultats scolaires révèle un manque d’efficacité important»4. L’inefficacité résulte du fait que les ressources (monétaires, humaines) engagées dans le système éducatif produisent des résultats jugés médiocres mesurés à l’aune des tests Pisa.
En niveau absolu, les dépenses par étudiant au Luxembourg sont les plus élevées parmi les pays de l’Union européenne. A défaut d’un indicateur récurrent convenable reflétant l’efficacité de l’éducation, il a été retenu qu’une augmentation des dépenses constitue un signe de dégradation à l’heure actuelle. Ne pas tenir compte des résultats de l’éducation conduirait à classer le Luxembourg au même niveau que la Finlande, champion mondial des tests Pisa ! Ce problème ne s’est pas posé, en revanche, pour les dépenses en R&D, car plusieurs études publiées dans le Bilan ont montré l’effet positif de la R&D sur l’innovation et la productivité dans l’entreprise.
Coût salarial unitaire : une controverse sibylline
Un débat apparemment byzantin oppose les partenaires sociaux sur le fait de savoir s’il faut retenir le coût salarial unitaire réel ou nominal. Tant que les deux semblaient évoluer parallèlement, ce choix ne semblait pas poser de problème. Lorsque les deux indicateurs se sont mis à diverger, il a fallu y réfléchir de manière approfondie. Le taux de change effectif réel est le meilleur indicateur puisqu’il compare les coûts et prix des branches produisant au Luxembourg avec ceux de nos partenaires commerciaux. Le coût salarial unitaire nominal et le taux de change effectif réel font partie des indicateurs retenus par l’Union européen dans la nouvelle procédure de surveillance des déséquilibres macro‐économiques utilisée à partir de 2012 dans le cadre du semestre européen. L’Observatoire n’a jamais écrit que la compétitivité‐coût était le seul critère de performance de la croissance économique, il y en d’autres : qualité des produits, conjoncture, créativité et innovation. Mais, oublier les composantes coût et prix est une position extrême, fort discutable.
Stress test
Suite aux critiques formulées, l’Observatoire de la Compétitivité a réalisé un test de robustesse de son indicateur synthétique. Le test réside dans le fait d’exclure un par un les 79 indicateurs et de recalculer le classement. Dans le tableau ci‐dessous, on voit que le Luxembourg se classait en 1% des cas à la 7ième position, en 15% des cas en 8ième position, en 28% des cas à la 9ième position et en 51% des cas à la 10ième position.
Le modèle scandinave : la voie à suivre ?
La CSL propose une intéressante simulation à l’aide de la méthodologie du Tableau de Bord. Si le Luxembourg affichait les mêmes caractéristiques qu’un pays scandinave (en matière d’inégalité, d’emploi, d’équité du genre, etc), comme par exemple la Suède, notre pays obtiendrait de bien meilleurs résultats dans le classement. Cela montre deux choses. Premièrement, le Tableau de Bord est méthodologiquement bien construit et accessible puisqu’il permet aux partenaires sociaux de s’en approprier pour simuler des cas de figure intéressants. Deuxièmement, le Tableau de Bord contient des dimensions complémentaires de la compétitivité : sociale, écologique et économique. En effet, une faiblesse dans un domaine particulier peut être contrebalancée par une force dans un autre domaine.
Les pays scandinaves sont des pionniers dans de nombreux domaines dont le Luxembourg pourrait effectivement s’inspirer utilement, comme par exemple la modernisation de l’Etat, la réforme des retraites, la refonte du système scolaire, la flexi‐sécurité, sans oublier la coordination macro‐économique entre les partenaires sociaux et le gouvernement. La Suède a un excédent budgétaire en 2010 et les prévisions annoncent des surplus confortables pour les années à venir (Le Luxembourg affiche des déficits de 0.6% en 2010 et 1,4% en 2011). Les prélèvements obligatoires sont cependant bien plus élevés dans les pays du nord (46% en Suède contre 39% au Luxembourg en 2010).Il n’est malheureusement pas aussi aisé de transposer le modèle scandinave dans le continent européen, en raison de différences de culture, d’attitudes et d’institutions.
L’idéologie du dialogue social et du bien‐être partagé
Les détracteurs de l’Observatoire reprochent à ce dernier d’être animé par une idéologie sournoise et le Tableau de Bord d’être un cadeau empoisonné des perfides Danaïdes aux braves Troyens.
En fait, les collaborateurs de l’Observatoire sont restés fidèles aux principes fondateurs qui ont présidé à sa mise en place, sous les auspices de la Tripartite, et qui sont ceux de l’équilibre dynamique entre croissance économique et cohésion sociale durables. L’Observatoire de la Compétitivité reste attaché au dialogue social, à la transparence des méthodes, des analyses, des données et des canons épistémologiques admis en sciences économiques. L’Observatoire a organisé de nombreuses manifestations (« En route vers Lisbonne », « Matinées le la compétitivité »), séminaires et conférences où les partenaires sociaux étaient toujours à l’honneur. Rien n’interdit de réfléchir à des dispositifs renforçant encore la gouvernance, à condition que l’état d’esprit qui prévaut soit celui d’une confrontation ouverte et sérieuse.