Cette publication ne se veut évidemment pas une analyse exhaustive de la compétitivité de l'économie luxembourgeoise, concept très vaste, mais se concentre sur un aspect fractionnaire et particulier de celle-ci, à savoir les coûts salariaux, sur lesquels reposent des éléments constitutifs et importants de notre modèle social.
D'autres sujets plus spécifiques, mais toujours intimement liés aux coûts salariaux, sont également brièvement abordés : le niveau du salaire social minimum et le phénomène des travailleurs pauvres, l'indexation des salaires, l'attractivité qu'exerce le « site Luxembourg » sur les investissements directs étrangers ainsi que l'importance d'un niveau conséquent de salaire pour soutenir la consommation et attirer la main-d'oeuvre qualifiée recherchée par le pays.
Des coûts salariaux nominaux annuels en trompe-l'œil
La première étape de l'analyse porte sur les coûts salariaux totaux annuels par salarié et montre que le Luxembourg est, certes, en moyenne, au-dessus du niveau de ses voisins pour l'ensemble de l'économie, mais pas de manière significative.
Toutefois, ne pas s'encombrer de nuances en la matière induirait le lecteur pressé en erreur ; ce niveau global cache en effet d'importantes disparités sectorielles que l'on ne peut ignorer.
En réalité, le Luxembourg possède les coûts salariaux annuels par salarié les plus élevés, comparativement à ses principaux partenaires économiques, dans deux secteurs seulement : les transports et communications et les activités financières.
Dans les transports et les télécommunications, tout comme dans l'industrie d'ailleurs, certaines branches, qui comportent de grosses entreprises dominantes ou encore certains services publics, tirent le coût moyen vers le haut. Leur surreprésentation dans l'économie luxembourgeoise, par rapport aux économies plus grandes, a donc tendance à faire surestimer le niveau de rémunération au Luxembourg.
Il en est de même des activités financières où les salaires sont bien plus élevés que dans le reste de l'économie alors qu'elles sont proportionnellement bien plus importantes que dans les autres économies : 21,4 % des rémunérations pour 12,6 % des salariés en 2001 contre 3,3 % des salariés et 5,6 % des rémunérations pour l'ensemble de l'Union européenne (UE).
Concernant les autres secteurs économiques, on constate que le Luxembourg se situe le plus souvent dans une position intermédiaire par rapport à ses voisins, plus fréquemment devancé par la France et la Belgique ainsi que par l'Allemagne pour ce qui concerne l'industrie manufacturière.
Si l'on considère la variation du coût salarial nominal et réel dans le temps, là encore, la comparaison avec les pays européens, et plus particulièrement avec les principaux partenaires économiques que sont ses voisins, indique une évolution sur un tempo modéré des coûts salariaux au Luxembourg.
Tout ceci est d'autant plus remarquable que le Luxembourg demeure le pays où la durée du travail hebdomadaire par rapport à ses principaux partenaires économiques est la plus élevée. Ainsi, le coût horaire de la main-d'œuvre au Luxembourg, inférieur à celui de ses trois voisins, est absolument concurrentiel.
Médaille d'or de la productivité
Si l'on ajoute à cela que le Luxembourg est le pays européen où la productivité apparente de la force de travail est la plus élevée d'Europe, le fantasme selon lequel les coûts salariaux luxembourgeois seraient pénalisants pour les entreprises tend à s'affadir.
Dans l'analyse des coûts salariaux, il ne faut évidemment pas perdre de vue que, si le travail a un coût, il génère également de la valeur qu'il convient de mesurer et de mettre en relation avec lesdits coûts.
Avec une productivité supérieure à celle de ses voisins, on ne peut en effet pas conclure que le coût de la main-d'œuvre est pénalisant pour la compétitivité des entreprises luxembourgeoises, d'autant plus que son évolution se situe tout à fait dans la norme.
C'est pourquoi il est possible d'affirmer que, à niveau global, les rémunérations des salariés au Luxembourg ne pèsent pas sur la compétitivité des entreprises, surtout si on la compare avec la richesse produite ou la répartition de la valeur ajoutée.
Evolution du coût unitaire du travail en défaveur des salariés
Que ce soit en termes nominaux, corrigés de la durée du temps de travail ou en tenant compte de la productivité de la main-d'œuvre luxembourgeoise, force est de constater que les coûts salariaux luxembourgeois ne sont pas particulièrement élevés et même, souvent, inférieurs à ceux de ses voisins.
Dans la suite logique de l'analyse, l'observation de l'évolution du coût unitaire du travail est particulièrement intéressante, puisqu'elle met en parallèle l'évolution des salaires et celle du PIB. En d'autres termes, il s'agit du rapport entre combien chaque travailleur est payé et la valeur qu'il produit par son travail.
Le coût unitaire du travail connaît une tendance fortement baissière depuis 1985, au Luxembourg plus qu'ailleurs. En effet, entre 1985 et 2005, celui-ci a baissé de 10%, tendance que connaissent d'ailleurs les autres pays européens. Relevons aussi que le coût salarial unitaire en termes réels (c'est-à-dire en neutralisant l'évolution des prix) connaît également cette baisse significative.
Part des salaires dans la valeur ajoutée: une répartition de plus en plus inique
L'évolution du coût salarial unitaire réel est en fait un miroir de l'évolution de la part des salaires dans la valeur ajoutée.
La valeur ajoutée désigne le supplément de valeur que l'activité de la force de travail d'une entreprise donnée apporte à une marchandise qu'elle transforme. C'est grâce à cette valeur ajoutée que l'entreprise peut payer le travail fourni et rentabiliser les capitaux investis. La richesse nationale, souvent mesurée par le PIB, est la somme de ces valeurs ajoutées.
Le phénomène de répartition de la valeur ajoutée n'est généralement que peu thématisé au Luxembourg. Or, une analyse sur la part des salaires dans la valeur ajoutée nous montre que le partage de la richesse créée au Luxembourg n'est guère favorable aux salariés dans la comparaison internationale.
Comme nous le voyons sur le graphique ci-dessus, la part des salaires dans la valeur ajoutée au Luxembourg est inférieure à l'ensemble de ses partenaires économiques. Ce constat ne vaut pas seulement au niveau de l'économie en général, mais également au niveau sectoriel à l'exception du secteur « immobilier, location et services aux entreprises ».
Les entreprises luxembourgeoises devraient donc disposer des moyens pour financer leurs investissements et pour renforcer de la sorte leur compétitivité hors coût. Une analyse de l'utilisation des excédents des entreprises luxembourgeoises s'impose, puisqu'un argument souvent avancé pour justifier la diminution du coût du travail est la nécessité de consolider le taux de marge des entreprises afin de rendre possible des investissements permettant d'augmenter la compétitivité au niveau de la qualité de la production et de favoriser le potentiel de croissance de l'économie.
En effet, on constate, au niveau européen, que l'augmentation des taux de marge des entreprises n'a pas conduit ces entreprises à hausser leurs taux d'investissement, mais à augmenter sensiblement la part du profit non investi.
Les salariés luxembourgeois ne sont donc guère récompensés de leurs efforts de production, alors qu'ils offrent le « retour sur investissement » le plus juteux à leur employeur. Une autre façon de montrer que le Luxembourg est tout à fait performant en matière de coût salarial est de calculer le ratio « valeur ajoutée/rémunérations des salariés ». En calculant ce ratio, on obtient la valeur ajoutée au Luxembourg pour un euro de rémunération. Force est d'observer que, de nouveau, le Luxembourg sort largement vainqueur et concurrentiel dans la comparaison internationale, ceci tant au niveau global que dans presque tous les secteurs.
Les coûts salariaux ne sont pas les seuls coûts à considérer
Comme le renseigne la publication, le coût salarial unitaire est globalement inférieur au Luxembourg par rapport à ses principaux partenaires commerciaux. Cependant, une analyse uniquement basée sur le coût salarial unitaire comme facteur de compétitivité-coût comporte un biais important et est trop limitative.
Il convient également d'analyser le poids du coût des consommations intermédiaires dans la valeur de la production luxembourgeoise, autre source importante de frais pour les entreprises.
Si l'importance des consommations intermédiaires dans la valeur de production augmente, il en résulte que le taux de valeur ajoutée (valeur ajoutée/production, le pendant du ratio consommations intermédiaires/production) diminue, à moins que la valeur de ce que l'on produit ne soit elle-même adaptée.
On constate au Luxembourg que le taux de valeur ajoutée n'a cessé de se dégrader jusqu'en 2000 où il se situe au plus bas niveau de l'UE-15 ! L'amélioration constatée depuis 2001 est prononcée mais reste insuffisante, le Luxembourg demeurant à un niveau inférieur aux autres pays européens, la Belgique mise à part.
En fait, tout semble s'être passé comme si le Luxembourg avait, lors des années de forte croissance, beaucoup dépensé et que le fort ralentissement observé depuis 2001 a forcé les entreprises luxembourgeoises à rationaliser leurs dépenses et à réaliser des efforts pour restaurer leur compétitivité.
Ainsi, la dégradation du taux de valeur ajoutée est plus imputable à l'augmentation des coûts des consommations intermédiaires qu'à celle des salaires dont la part dans la valeur de la production a connu une baisse continue de 1990 à 2000. Toutefois, les analyses sectorielles montrent que les entreprises luxembourgeoises conservent des niveaux d'excédent bien souvent supérieurs aux autres pays européens et plus particulièrement à ses principaux partenaires économiques.
L'économie luxembourgeoise demeure l'une des plus rentables et des plus lucratives pour les entreprises, qui conservent des capacités d'investissement intactes.
Les travailleurs pauvres au Luxembourg
Finalement, il ne faut pas perdre de vue que les salaires ne constituent pas uniquement un coût. A côté de leur rôle moteur pour stimuler la consommation interne, ils constituent le moyen, pour la population active, de vivre décemment et dignement dans son environnement particulier.
C'est ainsi qu'il faut considérer que le coût de la vie est élevé au Luxembourg et que les salaires et, particulièrement, le salaire social minimum doivent impérativement y avoir un niveau conséquent afin, notamment, d'éviter la recrudescence du phénomène des « travailleurs pauvres »
Les 8% de travailleurs pauvres au Luxembourg classent le Grand-Duché parmi les pays européens disposant du taux de pauvreté laborieuse le plus élevé. Notons par ailleurs que si l'on considère la pauvreté générale de la population totale, le Luxembourg atteint un taux de 40%, avant transferts sociaux, pour un taux de 12%, après transferts, pensions comprises. Ceci souligne l'extrême importance et l'efficacité de ces transferts au Luxembourg.
Avec et grâce à son modèle social, le Luxembourg a su devenir en 20 ans l'économie la plus riche et la plus productive d'Europe. Il serait inopportun et irresponsable de remettre en cause ce modèle qui a pourtant apporté une réussite certaine à l'économie luxembourgeoise, à ses entreprises et à la population. Il convient de garder à l'esprit que, dans une économie aussi avancée, les avantages compétitifs ne se fondent plus sur les coûts mais bien sur la qualité, la différenciation, la technicité et l'innovation.
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