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 (Photo: DR / Flickr)

L’enjeu: une banque peut-elle se prévaloir du secret bancaire pour refuser de fournir les données nécessaires à des poursuites civiles contre une personne qui fait du commerce, via internet, avec des marchandises contrefaites?

La société allemande Coty Germany détient une licence exclusive de la marque communautaire «Davidoff Hot Water». En 2011, elle a acheté, sur internet, une bouteille de parfum de la marque «Davidoff Hot Water». Après avoir versé le prix du produit sur le compte bancaire de la Sparkasse communiqué par le vendeur, elle a constaté qu’elle avait acheté un produit contrefait. Elle s’est alors adressée à la Sparkasse pour lui demander le nom réel et l’adresse du titulaire du compte bancaire sur lequel elle avait dû verser le montant de la marchandise contrefaite achetée. La Sparkasse, invoquant le secret bancaire, a refusé de lui fournir ces informations. Coty Germany a alors introduit une action auprès de la justice allemande pour obtenir les informations souhaitées.

La juridiction allemande saisie de l’affaire demande à la Cour de justice si la directive sur les droits de propriété intellectuelle permet à une banque de se prévaloir du secret bancaire pour refuser de fournir des informations sur le nom et l’adresse du titulaire d’un compte. En effet, cette directive prévoit que des tiers (tels une banque) qui ont été trouvés en train de fournir, à l’échelle commerciale, des services utilisés dans des activités contrefaisantes doivent fournir, à la demande des autorités judiciaires, des informations sur l’origine et les réseaux de distribution des activités concernées. Or, la législation allemande prévoit qu’une banque à laquelle de telles informations sont demandées peut refuser de communiquer celles-ci en se prévalant de son droit de ne pas témoigner dans une procédure civile (secret bancaire).

Dans ses conclusions de ce jour, l’avocat général Pedro Cruz Villálon souligne que la législation allemande limite deux droits fondamentaux du titulaire d’une marque, à savoir le droit à une protection juridictionnelle effective et le droit fondamental à la propriété intellectuelle. À cet égard, l’avocat général rappelle que les États membres doivent garantir à tout moment le caractère effectif de la protection juridictionnelle, de sorte à ne pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union. Or, une législation nationale qui a pour conséquence de faire échec au droit du titulaire d’une marque à obtenir la protection des tribunaux n’assure pas une protection juridictionnelle effective.

Néanmoins, l’avocat général rappelle qu’il y a également lieu d’assurer la protection des données du contrefacteur présumé. Selon lui, la juridiction allemande devra donc vérifier si l’impossibilité pour Coty Germany d’exercer, en raison du secret bancaire, son droit à une protection juridictionnelle effective et son droit à la propriété intellectuelle est adéquate, nécessaire et proportionnée pour atteindre l’objectif de protection des données du contrefacteur présumé. Il importera notamment de vérifier si la protection par la banque des données de son client ne peut pas être obtenue par une mesure qui limite les droits fondamentaux de Coty Germany de moindre manière (par exemple via le recours à une autre source d’information que la banque ou via l’introduction d’une procédure pénale capable de faire échec au secret bancaire). Enfin, le juge national devra procéder à une pondération entre les droits fondamentaux en conflit afin de déterminer lequel doit l’emporter sur l’autre.

En résumé, l’avocat général propose à la Cour de répondre que, sous réserve d’un contrôle de proportionnalité à effectuer par la juridiction de renvoi, une législation nationale ne doit pas permettre de manière inconditionnée à une banque de se prévaloir du secret bancaire pour refuser de fournir les données nécessaires à des poursuites civiles contre un contrefacteur présumé.