En mettant en doute la conformité des aides de la BCE, la Cour constitutionnelle allemande a lancé une mini bombe la semaine dernière au sein des institutions européennes. (Photo: Shutterstock)

En mettant en doute la conformité des aides de la BCE, la Cour constitutionnelle allemande a lancé une mini bombe la semaine dernière au sein des institutions européennes. (Photo: Shutterstock)

La Commission européenne doit-elle vraiment aller en justice contre l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande mettant en cause les aides de la BCE? Avocat spécialisé en droit européen de la concurrence chez Arendt, Philippe-Emmanuel Partsch apporte une réponse plutôt nuancée.

Le 5 mai dernier,  mettant en cause les limites des aides fournies par la Banque centrale européenne (BCE) dans le cadre de programmes de quantitative easing. Elle donne ainsi trois mois à l’institution de Francfort pour justifier qu’elle ne dépasse pas ses compétences. Une décision qui a fait réagir la présidente de la Commission européenne, l’ancienne ministre de la Défense allemande, Ursula von der Leyen. Rappelant que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a admis le principe de ces aides en 2018, elle menace l’Allemagne d’un recours en justice. Pour elle, c’est clair, le droit européen prévaut sur le droit national.

La présidente de la Commission européenne a-t-elle raison de menacer l’Allemagne d’un recours en justice?

 «Les cours suprêmes nationales ont un devoir renforcé de respecter le droit européen du fait de leur influence sur les autres juridictions nationales. Mais la question qui se pose à propos de cet arrêt de la Cour constitutionnelle allemande est de savoir s’il y a un manquement et en quoi. Si on regarde le dispositif de l’arrêt, on distingue trois points.

La Cour allemande dit aux différentes autorités allemandes – Parlement, gouvernement, banque centrale et administration – qu’elle a des doutes sur le point de savoir si la BCE n’est pas allée au-delà des compétences qui ont été confiées, notamment par l’Allemagne, à l’Union européenne en matière de politique monétaire. Il faut bien voir que nous sommes face à des mesures non orthodoxes de politique monétaire qui ont des impacts sur la politique économique. Or, celle-ci est restée pour l’essentiel une compétence nationale.

Donc les États veulent garder le contrôle?

«La question principale que soulève l’arrêt de la Cour constitutionnelle est de voir si la BCE et la CJUE n’ont pas outrepassé les compétences confiées à l’UE par les États. Et à ce niveau-là, les deux premiers points du dispositif de l’arrêt font obligation aux autorités allemandes de prendre toutes les mesures pour faire en sorte que les institutions européennes concernées restent dans les limites de ce transfert de compétence.

Sur ces deux premiers points, la Cour constitutionnelle est dans son droit. Cela relève de son contrôle de constitutionnalité. Les différents organes allemands doivent veiller à respecter la Constitution allemande et les limites des compétences accordées aux institutions européennes.

À quel moment la Cour allemande serait-elle allée trop loin dans son arrêt?

«Dans le troisième et dernier point du dispositif, elle enjoint indirectement la BCE de modifier sa décision ou, en tout cas, de s’expliquer dans les trois mois. C’est un pouvoir qu’elle n’a pas. La Cour précise bien que, pendant une période de trois mois, l’effectivité des actes de la BCE ne sera pas remise en question. Mais il y a quand même une injonction indirecte envers la BCE en interdisant à la Bundesbank de participer à la mise en œuvre et à l’application des décisions de la BCE mises en cause…

Sauf si le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale peut démontrer d’une manière compréhensible et motivée que les objectifs de politique monétaire poursuivis par le plan ne sont pas disproportionnés au niveau des effets de politique économique et budgétaire découlant de ce programme.

Est-il donc opportun pour la Commission européenne de poursuivre l’Allemagne?

«Outre l’injonction envers la BCE, ce n’est pas non plus à une juridiction nationale de contrôler la conformité au droit et aux traités européens des décisions des institutions européennes. C’est le travail de la CJUE. Mais la crainte de la Commission est que d’autres juridictions suprêmes, en Pologne ou en Hongrie par exemple, ne mettent en doute, à leur tour, l’authenticité de l’arrêt de la CJUE validant les aides. S’il y a un recours, il faudra donc voir sur quoi il va porter. Selon moi, une partie de l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande est juridiquement défendable.

La Commission européenne doit donc voir si le jeu en vaut la chandelle. Elle doit s’assurer du respect du droit européen interprété par la CJUE et éviter l’effet de contagion avec les pays tels que la Pologne et la Hongrie. Mais elle ne doit pas non plus s’ingérer dans un débat constitutionnel allemand qui est légitime.

La Cour allemande ouvre un débat dans la mesure où ces politiques de mesures monétaires non traditionnelles risquent finalement de devenir la norme.
Philippe-Emmanuel Partsch

Philippe-Emmanuel PartschpartnerArendt

N’y a-t-il pas un aspect émotionnel qui joue par le fait de remettre en cause des décisions de la BCE, qui devrait permettre d’atténuer la crise?

«Au-delà de l’aspect strictement juridique, la Cour allemande ouvre un débat dans la mesure où ces politiques de mesures monétaires non traditionnelles risquent finalement de devenir la norme. Cela risquerait en effet de porter atteinte à certains principes des traités européens sur le non-financement monétaire des besoins financiers des États. Est-ce qu’à force d’utiliser ces mécanismes, il ne faudrait pas réexaminer l’appréciation qui avait été faite par la CJUE en 2018? N’est-on pas en train d’aller trop loin?

Mais est-il logique que la BCE doive prouver à un État qu’elle est bien restée dans les limites de son mandat?

«Non, et la BCE a d’ailleurs déjà probablement réagi. Elle va ignorer cet arrêt allemand. En fait, il faudra désormais voir quelle sera l’attitude du gouvernement et du Parlement allemand par rapport à cet arrêt. Par le passé, le Bundestag avait déjà montré beaucoup de rigueur dans l’analyse des principes européens. On peut donc s’attendre à un débat au niveau du Parlement allemand.

La Commission européenne devrait temporiser et voir quelle tournure prendra le débat en Allemagne. Une intervention rapide de la Commission pourrait être perçue comme profondément anti-démocratique. Elle donnerait alors un prétexte aux voix les plus anti-européennes et à différents mouvements populistes en Allemagne. C’est d’autant plus délicat que, selon moi, tout n’est pas négatif dans la dynamique qui a été générée par la Cour constitutionnelle allemande.»