Guy Verhofstadt, ici en visite au Luxembourg en 2019, met en cause l’effet des sanctions européennes sur la Russie. (Photo: Olivier Minaire/Maison Moderne/Archives)

Guy Verhofstadt, ici en visite au Luxembourg en 2019, met en cause l’effet des sanctions européennes sur la Russie. (Photo: Olivier Minaire/Maison Moderne/Archives)

Le Luxembourg a-t-il augmenté ses importations russes depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine? Le député européen Guy Verhofstadt accuse le Grand-Duché de l’avoir fait et pousse de facto le pays dans le camp des assaillants. Les chiffres ne le suivent pas. Bien au contraire…

Le tweet impulsif que l’on regrette après? Peut-être. Mais, sollicité, Guy Verhofstadt n’a fait aucun commentaire sur le sens de son gazouillis du 2 janvier. Son tweet est toujours accessible au moment de la publication de cet article.

En substance, il accuse l’Union européenne en général et le Luxembourg en particulier d’avoir augmenté leurs importations de biens depuis la Russie. Et en très grande proportion pour le Grand-Duché qui affiche, avec 8 millions de biens importés de février à août, une progression de 262% des produits achetés à Moscou.

Dans la précipitation, il semble avoir confondu volume et valeur de ces exportations. Ni même lu la mise en garde du site Politico dont il tire ses chiffres d’un lui-même basé sur les chiffres d’Eurostat. Article où les auteurs ont pris soin de bien spécifier que «les échanges avec la Russie ont considérablement diminué, même si leur valeur est encore légèrement supérieure à celle de l’année dernière en raison de la flambée des prix de l’énergie et des matières premières». Si augmentation il y a, elle est due à la hausse des prix des matières premières exportées par la Russie, gaz et pétrole en tête.

Le souci, c’est que le fil des commentaires du tweet de l’eurodéputé donne la parole aux opposants aux sanctions qui y vont de leur petit commentaire selon lequel l’action de l’Europe serait inutile.

Dans le contexte d’un hiver qui va sinon paralyser les opérations sur le terrain du moins fortement limiter leur ampleur, la guerre ne va pas cesser. Elle va se déplacer vers le front le plus accessible, celui des opinions publiques. Comme en 1939 avec la Drôle de guerre. La «Funny War» comme on l’appelait. Mal à propos d’ailleurs, car l’expression «funny war» est une déformation de «phoney war», soit la guerre des communiqués. C’est déjà moins drôle. On connaît la suite…

Querelle de chiffres

Revenons aux chiffres. Et à leur source, Eurostat. Sur le front du commerce, de 2011 à 2021, les importations et les exportations avec la Russie ont décru, relève l’.

En 2021, la Russie était le cinquième partenaire des exportations de biens de l’UE (4,1%). Derrière les États-Unis (18,3%), le Royaume-Uni (13%), la Chine (10,2%) et la Suisse (7,2%). Elle était le troisième partenaire pour les importations de biens de l’UE (7,5%), précédée par la Chine (22,4%) et les États-Unis (11,0%) et suivie par le Royaume-Uni (6,9%) et la Suisse (5,9%).

Le dynamisme des échanges avec la Russie est porté par l’Allemagne qui importe – importait… – la quasi-totalité de son gaz de la Russie pour y retourner les produits industriels fabriqués grâce à cette énergie «bon marché». En 2021, 68% des importations de l’UE concernaient les matières premières, et seulement 19% concernaient les produits manufacturés. Et parmi les matières premières importantes, l’énergie pesait pour 62%.

Au Luxembourg, selon les données les plus récentes compilées par la Chambre de commerce pour Paperjam, la dynamique est totalement inverse à celle partagée par Guy Verhofstadt.

Toujours à partir des chiffres d’Eurostat, Regina Khvastunova, experte Russie à la Chambre de commerce, et Nicolas Liebgott, junior economist à la Chambre de commerce, constatent pour le Luxembourg une baisse de 3% en valeur linéaire pour la période février-août 2022 par rapport à la même période l’an passé, et ce, alors même que les importations en valeur pour le Luxembourg depuis la Russie étaient déjà en baisse de 31% entre 2020 et 2021.

L’évolution des importations de biens russes au Luxembourg. (Visuel: Eurostat/Chambre de commerce)

L’évolution des importations de biens russes au Luxembourg. (Visuel: Eurostat/Chambre de commerce)

Pour l’UE, les deux experts relèvent bien une hausse en valeur des importations de 56,27% sur la période février-août 2022 par rapport à la même période en 2021. En revanche, le volume des importations diminue de 23,63%. Cette hausse en valeur s’explique dans un premier temps par un effet prix, l’inflation importée venant gonfler la valeur des importations malgré une baisse des quantités. De plus, la réorganisation des sources d’approvisionnement – du fait notamment de la forte dépendance de l’UE au gaz et pétrole russes – prend du temps.

L’évolution des importations de biens russes dans l’UE. (Visuel: Eurostat/Chambre de commerce)

L’évolution des importations de biens russes dans l’UE. (Visuel: Eurostat/Chambre de commerce)

«Depuis la mi-mai 2022, la valeur des importations tend cependant à fléchir. En comparant les cinq premiers mois de 2022 avec les mois de juin à octobre 2022, on note une forte baisse de la valeur des importations russes dans l’UE (la valeur des importations russes entre juin et octobre 2022 recule de 25% par rapport aux cinq premiers mois de l’année 2022)», expliquent Regina Khvastunova et Nicolas Liebgott. Pour qui «la tendance à la baisse de la valeur des importations de biens de l’UE en provenance de Russie devrait s’accentuer avec le nouveau lot de sanctions, soit l’interdiction pour la Russie d’exporter son pétrole brut par voie maritime vers l’UE depuis le 5 décembre 2022 – qui représente environ 90% des exportations de pétrole russe vers l’UE – ainsi que le plafonnement du prix du baril de pétrole russe à 60 dollars décidé par les pays du G7, l’Australie et l’UE.»

Mise à jour: Depuis la parution de l’article de Politico, et suite à de nombreuses réactions au tweet de Guy Verhofstadt – dont le site d’information . Dans le nouveau tableau, il apparaît désormais que les importations de marchandises de Russie vers le Luxembourg ont diminué de 3,1% en février août, par rapport à la même période l’année précédente.