Note de la rédaction: l’interview de Philippe Heisbourg a été réalisée le 5 mars 2025 et ses propos reflètent naturellement la situation économique mondiale telle qu’elle était connue à l’époque.
«Nous vivons vraiment une période sans précédent», annonce Philippe Heisbourg, associé de BHB & Partners, une société de conseil en financement d’entreprises. M. Heisbourg a accepté de partager avec Paperjam sa vision globale de l’économie. «Les tensions géopolitiques et le remodelage de la stabilité économique mondiale sont définitivement un problème.»
Les tensions auxquelles il fait référence sont bien connues: la guerre en Ukraine, les conflits au Moyen-Orient, les tensions entre les États-Unis et la Chine et, plus généralement, la politique américaine actuelle. Dans une interview à CBS News début mars, Warren Buffett a même qualifié les tarifs douaniers de Trump d’«acte de guerre, dans une certaine mesure», et, de fait, des coups ont été donnés des deux côtés: après l’introduction de tarifs douaniers américains sur 28 milliards de dollars d’exportations européennes, l’UE a annoncé en mars qu’elle d’une valeur de 26 milliards d’euros.
Le défi particulier de l’Europe, selon M. Heisbourg, sera de naviguer dans des eaux géopolitiques troubles sans son allié habituel à l’ouest.
Il y a aussi la question de l’inflation. Les tendances comme l’inflation se déplacent souvent vers l’est, outre-Atlantique, et aux États-Unis, les taux augmentent chaque mois depuis septembre 2024, passant de 2,4% à 3% (janvier 2025) [en mars 2025, le taux est tombé à 2,6%, ndlr]. «L’Europe pourrait être confrontée à des pressions inflationnistes», commente M. Heisbourg.
«L’ère de la stimulation monétaire expansive, caractérisée par d’importantes injections de liquidités, semble toucher à sa fin», ajoute-t-il, expliquant qu’il y aura probablement moins d’argent et que l’argent sera plus coûteux.
Que signifient ces tensions pour les marchés? Certainement plus de volatilité, ce qui affecte les stratégies d’investissement. «Pour l’instant, je dirais que le sentiment du marché est prudent», explique M. Heisbourg. «Les investisseurs s’inquiètent certainement d’un ralentissement économique.»
Pour sa part, le chief investment officer de Banque de Luxembourg Investments, , ne pense pas que le climat de prudence, du moins aux États-Unis, va durer: «La hausse continue des revenus des ménages [aux États-Unis] suggère que le comportement légèrement plus prudent du consommateur américain n’est pas susceptible de devenir une nouvelle tendance destinée à s’intensifier», déclare-t-il dans le rapport mensuel sur les marchés de la BLI du 5 mars 2025.
En ce qui concerne les marchés, l’Europe se trouve bien sûr dans une situation particulière: son économie tend à ne pas connaître les arcs de croissance dynamiques de ses homologues d’Amérique du Nord et d’Asie. M. Heisbourg estime que des questions telles que la sécurité énergétique ou les problèmes de la chaîne d’approvisionnement pourraient toucher l’Europe de plein fouet.
Pressions extérieures et intérieures
Le secteur financier luxembourgeois est évidemment la base de la richesse du pays, mais il présente également ce que M. Heisbourg appelle une «faiblesse structurelle». » En d’autres termes, une économie aussi orientée vers l’exportation de services expose le pays à des facteurs externes échappant à son contrôle, tels que les chocs et les ralentissements mondiaux.
Les services financiers se distinguent également des autres secteurs par leur relative mobilité, poursuit l’expert en finance d’entreprise. Il n’est peut-être pas facile de déraciner une banque et de lui faire franchir une frontière, mais il est beaucoup plus difficile de délocaliser un secteur comme l’industrie sidérurgique. En outre, des pays comme l’Irlande, les Pays-Bas et la France ont des secteurs financiers concurrents.
La diversification est le moyen de remédier à cette faiblesse structurelle, affirme M. Heisbourg. «Nous devrions certainement essayer de renforcer notre secteur financier en étant très attractifs en Europe, mais nous devrions également diversifier nos sources de revenus.»
Mais le «vrai point faible» du Luxembourg, pour M. Heisbourg, est l’immobilier, dont le prix élevé est un obstacle pour les personnes qui souhaiteraient autrement s’installer au Luxembourg pour y travailler. «Je pense que l’État pourrait activer certains leviers pour accélérer [les solutions à ce problème]. Il rappelle que l’État et les communes constituent ensemble le plus grand propriétaire foncier du pays et suggère qu’ils construisent des logements à louer à des prix contrôlés. Ces logements seraient destinés aux travailleurs étrangers.»
«Cela dit», ajoute-t-il, «je reste positif à l’égard du Luxembourg et heureux d’y faire des affaires et de contribuer à l’écosystème économique. Nous sommes au carrefour de deux des économies les plus fortes d’Europe (la France et l’Allemagne), nous avons une main-d’œuvre multilingue, nous sommes une capitale de l’UE entre Bruxelles et Strasbourg, nous avons des chaînes de décision courtes.»
Opportunités de croissance
Si les taux d’intérêt augmentent, cela aura une incidence directe sur le financement des transactions, explique M. Heisbourg, ce qui donnerait un avantage stratégique aux entreprises riches en liquidités.
«Les secteurs bénéficiant de vents contraires géopolitiques, comme la cybersécurité et la sécurité énergétique, mais aussi la défense, pourraient susciter un intérêt accru de la part des investisseurs», ajoute-t-il, précisant qu’il s’agit là d’observations générales fondées sur les tensions géopolitiques du moment.
Le climat général d’incertitude pourrait entraîner un ralentissement des transactions, dit-il, mais créera également des opportunités. Certaines entreprises souffriront de la hausse des taux d’intérêt, ce qui crée un potentiel d’acquisitions en difficulté.
M. Wagner, de Banque de Luxembourg Investments, fait remarquer que les actions européennes constituent également un point positif. «Malgré la faiblesse de Wall Street», dit-il, «les actions européennes ont maintenu leur tendance favorable du début de l’année en espérant que l’abandon probable de l’orthodoxie fiscale dans la zone euro pour réarmer le Vieux Continent pourrait déclencher une reprise économique plus notable.»
Au niveau mondial, l’économie devrait croître de 3,3% tant en 2025 qu’en 2026, selon un rapport du FMI de février 2025. Le PIB de la Chine devrait croître de 4,6% cette année, celui des États-Unis de 2,7% et celui de l’Europe (hors Royaume-Uni) de 1%.
Cet article a été rédigé pour le supplément de l’édition de parue le 29 janvier. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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