Yves Stein, président de l’Association des banques et banquiers Luxembourg. (Photo: Matic Zorman/Archives)

Yves Stein, président de l’Association des banques et banquiers Luxembourg. (Photo: Matic Zorman/Archives)

Continuer à monter les échelons de la création de valeur. Face aux enjeux liés à la compétitivité des entreprises européennes et à la prospérité de nos concitoyens, l’ABBL continuera de s’investir pour consolider la position des services bancaires luxembourgeois en se concentrant sur l’attractivité et la compétitivité de la place financière.

(Avant le du Paperjam Business Club, le 19 novembre à Kinepolis Kirchberg, nous avons décidé de donner la parole aux acteurs de la place financière. Des cartes blanches qui seront publiées tous les matins jusqu’à l’événement et reprises dans la newsletter de 7h. Aujourd’hui, le président de l’Association des banques et banquiers Luxembourg, , livre son analyse).

Les entreprises européennes font face à de nombreux défis majeurs pour rester compétitives. L’innovation et la transformation numérique sont essentielles pour améliorer leur efficacité et s’adapter aux nouvelles technologies. La transition écologique, portée par le «Green Deal» européen, nécessite des investissements considérables pour réduire l’empreinte carbone et adopter des pratiques durables. Parallèlement, la concurrence internationale accentue la pression sur les entreprises, tout comme la gestion des chaînes d’approvisionnement mondiales. La pénurie de main-d’œuvre qualifiée et la complexité des réglementations freinent également leur compétitivité. De plus, l’intégration incomplète du marché unique européen, les disparités en matière de transposition des directives européennes et les barrières de fait ou de droit compliquent les opérations transfrontalières.

Compétitivité des entreprises et prospérité de nos concitoyens vont de pair. Des entreprises performantes créent des emplois, stimulent la croissance économique et augmentent les revenus, générant ainsi des recettes fiscales qui financent les services publics tels que la santé et l’éducation. Par ailleurs, leur capacité à innover et à s’adapter aux défis mondiaux, notamment la transition écologique et technologique, assure un développement durable bénéfique pour l’ensemble de la société.

Le récent rapport Draghi met en lumière les réformes essentielles pour renforcer la compétitivité et la capacité d’innovation de l’économie européenne. Il insiste sur la nécessité de restructurer les politiques financières afin de soutenir les secteurs à forte croissance et de combler l’écart d’innovation avec des concurrents tels que les États-Unis et la Chine.

L’ancien président du Conseil italien souligne dans ce cadre l’importance des services financiers et des flux de capitaux transfrontaliers, des opportunités réelles pour des places financières internationales comme le Luxembourg. Cependant, il met en garde contre les limites du modèle actuel de financement de l’économie, un point crucial qui devrait pousser les acteurs du secteur bancaire à une réflexion approfondie.

Comment dès lors consolider la position de la place financière luxembourgeoise en tant que plaque tournante incontournable des flux économiques transfrontaliers? Et comment renforcer davantage la capacité des banques luxembourgeoises à soutenir la transformation digitale et durable de l’économie européenne, au service du plus grand nombre?

En matière de services bancaires, nous disposons déjà de bases solides. La place est diversifiée autour de cinq piliers: la banque de détail, la banque privée, le corporate banking, les banques dépositaires et de custody, ainsi que les services de paiement. Chacun de ces piliers joue un rôle crucial dans la circulation des capitaux et a connu une forte croissance au cours des quinze dernières années. Une récente étude de la Banque centrale européenne place notre centre financier loin en tête en matière de dépôts transfrontaliers dans la zone euro. Plus de 75% des prêts consentis par les banques corporate basées au Luxembourg sont dirigés vers l’international. Les clients de nos banques privées sont Européens à près de 85%. Environ 15% sont basés sur d’autres continents. Le défi consiste à maintenir la performance de ces cinq secteurs, tout en augmentant leur contribution à l’économie dite réelle.

Il s’agit également de renforcer leur capacité de financement, par exemple en encourageant les avancées dans le domaine de la titrisation, ou en les libérant de certaines contraintes réglementaires qui les empêchent de soutenir des modèles économiques plus entrepreneuriaux ou innovants, et de ce fait parfois également plus risqués, tels que ceux axés sur des thématiques durables et à impact. Dans ce contexte, les synergies avec le private equity devraient être encore intensifiées.

Il importe néanmoins aussi de porter un regard lucide sur les défis qui nous attendent ces dix prochaines années. Et pour ce faire, commençons par regarder ce qui s’est passé au cours de ces deux dernières décennies.

Depuis la crise de 2008-2009, le secteur bancaire a connu une course réglementaire dont la densité et l’amplitude sont sans précédent. Sans nier les effets de rattrapage bénéfiques en matière de stabilité que cela a impliqués, il en reste que nous sommes sans doute aujourd’hui, l’un des secteurs les plus réglementés au monde. Cette course réglementaire entraîne des coûts. Selon une étude de la Fédération bancaire européenne (FBE), le secteur bancaire européen dépense environ 100 milliards d’euros par an en conformité, et 10% du personnel des banques est dédié aux tâches de compliance. Une étude que l’ABBL a menée ensemble avec EY sur les exercices 2017-2019 a également montré que les banques luxembourgeoises investissent en moyenne annuellement 548 millions d’euros pour leur conformité.

Yves Stein: «Nous devons retrouver plus d’agilité et continuer à monter les échelons de la création de valeur.» (Photo: Matic Zorman/Archives)

Yves Stein: «Nous devons retrouver plus d’agilité et continuer à monter les échelons de la création de valeur.» (Photo: Matic Zorman/Archives)

La question est donc comment rester durablement compétitifs et durablement conforme en même temps? Tout cela dans un contexte où les contraintes ne cessent d’augmenter – qu’il s’agisse des exigences en matière de durabilité ou de cybersécurité – et où les besoins s’intensifient également, notamment pour le financement de la transition durable et numérique ainsi que pour l’autonomie européenne.

La réponse à cette équation est double: nous devons retrouver plus d’agilité et continuer à monter les échelons de la création de valeur.

Je m’explique:

La réglementation a atteint un tel niveau d’ampleur que le secteur bancaire et les régulateurs peinent à suivre, ce qui freine la capacité des banques à s’adapter rapidement aux besoins de leurs clients et à soutenir l’économie. Pour le dire plus simplement: nous sommes devenus trop compliqués. La question de l’ouverture de comptes professionnels, largement thématisée localement, en est un parfait exemple.

En Europe, il est ainsi temps de se demander si nous avons réellement besoin de plus de réglementation ou plutôt d’une meilleure réglementation. La multiplication de règles complexes – comme une énième révision de la directive sur la lutte contre le blanchiment d’argent – contribue-t-elle vraiment à une meilleure gestion des risques? Ne devrions-nous pas appliquer plus de proportionnalité dans les questions réglementaires? Nos dirigeants ne devraient-ils pas réexaminer l’impact de la réglementation sur la compétitivité? Quel est le bénéfice d’être le meilleur élève en matière de réglementation si d’autres pays sont plus souples et parviennent à rester compétitifs? Prenons, par exemple, les discussions autour de Bâle III: entre les banques américaines et européennes, lesquelles seront mieux armées pour financer l’économie? Et dans le domaine de la finance durable, qui l’emportera: les centres financiers européens, américains ou asiatiques?

Retrouver un surplus d’agilité permettant aux banques de mieux encore faciliter et d’accélérer les flux de capitaux est essentiel, non seulement pour l’économie et la prospérité des citoyens, mais également la profitabilité des banques et donc leur pérennité à long terme. Je me répète, l’objectif est de rester durablement profitable tout en restant durablement conforme.

Ne nous voilons pas la face. Pour les raisons que je viens d’évoquer, les banques européennes sont en train de perdre la course à la compétitivité face à leurs consœurs américaines et asiatiques. Pour les membres de l’ABBL – et sans nier les multiples avantages qu’offre notre pays – s’ajoute une structure de coûts qui ne plaide pas nécessairement en faveur de notre pays. Nous le voyons au travers des stratégies de délocalisation ou d’outsourcing de certains acteurs – un phénomène qui ne touche d’ailleurs pas que notre pays – que l’avenir de la place n’est plus à être le back-office de grands groupes financiers. Nous devons ainsi continuer à gravir les échelons de la création de valeur.

Nous pouvons le faire en misant sur une croissance qualitative, notamment en ciblant des acteurs européens et internationaux dont les activités sont complémentaires à celles de la place, ou auxquels le Luxembourg peut offrir une réelle valeur ajoutée grâce à ses spécificités. Ainsi, un de nos principaux défis sera d’attirer encore davantage d’acteurs et de compétences dans le domaine de l’asset management.

Nous devons également être en mesure d’accompagner nos équipes en place, afin qu’ils puissent gravir eux aussi ces échelons. Cela passe par des investissements importants en matière de formation, d’où notamment l’accent mis sur ce sujet dans le cadre de la nouvelle convention collective du secteur bancaire. Néanmoins, qui dit investissements dit également moyens financiers. Ici également, la question de la rentabilité n’est pas neutre. Une banque qui gagne de l’argent sera en meilleure position pour investir dans l’employabilité de ses collaborateurs.

Yves Stein: «Comment attirer ces talents si nous ne savons pas où les loger? Je pense aussi bien à ces collaborateurs qualifiés venus de l’étranger qu’aux jeunes locaux souhaitant poursuivre leur carrière dans le secteur bancaire.» (Photo: Matic Zorman/Archives)

Yves Stein: «Comment attirer ces talents si nous ne savons pas où les loger? Je pense aussi bien à ces collaborateurs qualifiés venus de l’étranger qu’aux jeunes locaux souhaitant poursuivre leur carrière dans le secteur bancaire.» (Photo: Matic Zorman/Archives)

Mais investir dans les forces vives en place ne suffit pas. D’ici 2035, nous devrons renouveler 50% de nos effectifs du fait que la génération des baby-boomers et ceux de la génération X sont ou seront bientôt en âge de partir à la retraite. C’est énorme. Il nous faudra ainsi attirer des talents nouveaux, compétents et motivés qui sauront relever les défis de demain. Il est fort probable que notre bassin de recrutement naturel ne nous permettra pas de répondre à la demande. Il nous faudra recruter plus loin et nous frotter directement à nos concurrents internationaux en allant chasser sur leurs terres, à savoir dans les grandes universités et business schools en Europe et de par le monde.

Mais attirer des jeunes talents m’amène à aborder The elephant in the room: le logement. Comment attirer ces talents si nous ne savons pas où les loger? Je pense aussi bien à ces collaborateurs qualifiés venus de l’étranger qu’aux jeunes locaux souhaitant poursuivre leur carrière dans le secteur bancaire.

Bien sûr, la résolution de la crise du logement ne repose pas uniquement sur les banques. Cependant, nous voulons contribuer à cet effort collectif. L’ABBL s’engage en proposant régulièrement des mesures au gouvernement pour revitaliser le secteur du logement. Nos membres actifs dans le financement de logements résidentiels mobilisent des ressources et montrent leur volonté de collaborer pour mettre en place de nouveaux mécanismes, visant à restaurer la confiance des primo-acquéreurs et des investisseurs. Je pense ici au SPV Prolog Luxembourg S.A. qui certes a connu un départ timide, mais dont je suis sûr qu’il sera un des outils de la relance. Toutefois, il est clair que nous devons aller encore plus loin. Un dialogue constructif entre toutes les parties prenantes est nécessaire pour développer des modèles innovants et adaptés de financement immobilier, afin de rendre le logement plus accessible à tous. Je vois ici notamment du potentiel au niveau des partenariats public-privé où l’ABBL pourrait à l’avenir prendre des initiatives ou du moins jouer un rôle plus actif de facilitateur.

J’aimerais néanmoins conclure sur une note positive. Je pense que nous sommes à un tournant en ce qui concerne la question de la compétitivité et de l’amplitude réglementaire. On sent dans ce domaine une réelle prise de conscience au niveau de la Commission européenne. Par ailleurs, pour ce qui est du niveau luxembourgeois, nous pouvons compter sur des interlocuteurs au niveau ministériel et à celui de notre autorité de surveillance qui ont une compréhension infime des défis de la place financière et qui ont cette capacité, qui ne se retrouve nulle par ailleurs, de penser à l’international. Tout cela est essentiel pour une place financière comme la nôtre.

Tout espoir est donc permis pour que le Luxembourg reste un centre financier qui, au cœur de l’Europe, contribue de manière durable à la compétitivité des entreprises et à la prospérité des citoyens.