Le déploiement d’outils numériques au sein des organisations réclame d’y consacrer du temps et du personnel, même après la phase d’implémentation.   (Photo: Shutterstock)

Le déploiement d’outils numériques au sein des organisations réclame d’y consacrer du temps et du personnel, même après la phase d’implémentation.   (Photo: Shutterstock)

Les transformations à l’œuvre sous l’impact des nouvelles technologies occuperont les avant-postes de l’actualité RH en cette nouvelle année. Le point sur ce qui a déjà changé… et sur ce qui doit encore changer.

La transformation digitale est au cœur des missions d’Émeline Barbenchon, advisory director, people experience and change chez PwC Luxembourg. «J’accompagne les clients sur l’ensemble de la démarche, de la définition de la stratégie à la mise en place du système, puis dans la révision de leur processus, jusqu’à être en capacité de mesurer la réussite des projets», explique-t-elle. Pour PwC Luxembourg, sous la conduite de la people leader , les solutions numériques ont gagné les rangs du département RH depuis plusieurs mois. 

Avec elles, les ressources humaines entament quelque chose de l’ordre d’une révolution, que les deux spécialistes de PwC décryptent ici.

Où en sont les entreprises luxembourgeoises dans la mise en place et l’usage d’outils numériques au service des équipes RH?

Émeline Barbenchon (EB). – «Le niveau de maturité n’est pas le même pour tout le monde. Les entités luxembourgeoises affiliées à un groupe international sont pour la plupart équipées de suites RH intégrées leaders du marché, telles qu’Oracle HCM Cloud, SAP SuccessFactors et Workday HCM. Les entreprises de plus de 500 salariés avec une entité principale au Luxembourg suivent la même tendance et sont soit déjà équipées, soit en train de s’y employer. Pour les autres entreprises, en revanche, c’est assez disparate, on se trouve à un stade plus ou moins avancé. Certaines, par exemple, ont uniquement une partie de la chaîne de la valeur RH couverte par un système. Parmi les premiers besoins satisfaits, il y a souvent la partie recrutement, avec un Applicant Tracking System, et la partie learning, avec un Learning Management System.

Qu’est-ce qui fait encore obstacle à un déploiement plus rapide, plus soutenu?

EB. – «Pour l’implémentation comme pour les licences, les solutions numériques nécessitent un budget. Et ce budget, toutes les petites structures n’en disposent pas. Certes, une petite structure n’a pas forcément besoin de la Rolls-Royce des systèmes. Mais alors que l’on voudrait couvrir toute la chaîne de valeur RH avec un système intégré à moindre coût, il peut arriver que l’on se retrouve ‘limité’ par des outils disponibles sur le marché, qui ne couvrent qu’une partie des besoins. Cela peut décourager.

Roxane Haas (RH). – «Rayon obstacles, il est important de tenir compte du temps nécessaire et de la capacité des équipes à absorber la mise en place de ces outils, en plus de leurs activités habituelles. Il est crucial de pouvoir mener à bien ces projets et, pour cela, il faut également une bonne gestion du changement, ce qui n’est pas toujours aisé. Le volet ‘change’ et ‘change management’ n’est donc pas à négliger si l’on veut aboutir à une bonne adoption des outils par les collaborateurs et que ces initiatives soient couronnées de succès.

Il est important d’avoir une acceptation du changement et un soutien fort du top management.
Émeline Barbenchon

Émeline Barbenchonadvisory director, people experience and changePwC Luxembourg

EB. – «Oui, il est important d’avoir une acceptation du changement et un soutien fort du top management. Les leaders forts doivent renforcer les messages clés autour des objectifs et avantages de ces outils et montrer l’exemple dans leur adoption. La mise en place d’un nouveau SIRH est souvent une occasion unique pour aligner les outils et les processus sur une culture souhaitée qui, grâce à l’outil, favorise l’autonomie, la transparence et l’engagement des collaborateurs. Si on octroie davantage de responsabilités aux managers en leur confiant de nouvelles tâches et l’accès à certaines données associées au numérique – en matière de rémunération ou de gestion de la performance par exemple –, leur rôle évolue. Dans ce cas, une rapide formation ou une vidéo ne suffiront pas. Au-delà de la destination, la mise en place de l’outil, le chemin parcouru et les étapes franchies sont tout aussi essentiels. Il est nécessaire de prendre le temps de réfléchir aux différentes possibilités de mise en place.

Comment faire comprendre que le jeu financier en vaut la chandelle?

EB. – «Chaque technologie a un coût. Avec le cloud, on paie pour le logiciel, la maintenance, l’infrastructure informatique, la base de données… Ce n’est plus de la maintenance comme auparavant: des nouvelles mises à jour apportent de l’innovation et des améliorations tous les trois, quatre ou six mois, il faut retester et revalider ces fonctionnalités-là. À cela s’ajoute la maintenance des intégrations, ce qui représente un coût également. Quand on choisit une ou des solutions, il faut donc se poser la question de l’objectif que l’on souhaite atteindre. Peut-être est-ce la productivité, peut-être est-ce de faciliter la progression de carrière… Cela permet de se fixer une limite. Aujourd’hui, il existe des solutions en mode open source ou en mode one app free, comme Odoo.

Quels sont les problèmes rencontrés lors des phases d’implémentation et de formation aux outils?

EB. – «Ce que j’observe chez les clients, c’est que les collaborateurs affectés au projet ne le sont pas à 100%, ils conservent leurs tâches habituelles en parallèle. Dans ces conditions, il est difficile de se dégager du temps. Pendant l’implémentation, il y a des périodes particulièrement chronophages: l’identification des besoins, le testing, la mise en place… Le fait de cumuler deux ou trois casquettes peut occasionner des difficultés et des retards sur les projets.

Une fois ces difficultés surmontées, quelles sont les avancées concrètes permises par le numérique?

RH. – «J’illustrerai avec ce qui a été mis en place chez PwC. Tout d’abord, la volonté a été d’améliorer l’expérience du collaborateur, notamment en répondant aux besoins d’instantanéité dans l’accès à l’information. En effet, les comportements humains sont influencés par des facteurs comme les avancées technologiques et les changements sociétaux. Avec l’essor des réseaux sociaux et des plateformes de messagerie, les interactions humaines se veulent plus rapides. On retrouve ces comportements dans le monde de l’entreprise et la fonction RH doit s’adapter à l’évolution des comportements de ses collaborateurs. Cela s’est traduit par la mise en place d’un chatbot. Il y a 25 ans, l’accès à l’information se faisait à travers l’intranet. Aujourd’hui, le chatbot va chercher cette information, la compiler et la rendre instantanée. Là, c’est efficace.

Nous prévoyons également de déployer un outil qui mesure l’engagement des collaborateurs, ainsi que leur bien-être. Un outil intégrant l’intelligence artificielle permettant, de façon anonymisée, de prendre toutes les semaines la température auprès des équipes, afin d’équiper nos team leaders avec ces datas et informations. L’idée est d’être proactif pour anticiper des tendances au sein des équipes et les traiter rapidement. Pour le futur, l’ambition est d’utiliser ces datas en les combinant à d’autres éléments tels que le taux d’absentéisme au sein d’une équipe ou la progression de carrière, et de faire de l’analyse prédictive.

L’intelligence artificielle ne remplacera jamais la décision humaine.
Roxane Haas

Roxane Haaspeople leaderPwC Luxembourg

Autre illustration: PwC évolue vers une organisation basée sur les compétences (Skills Based Organisation). C’est un modèle qui place les compétences des collaborateurs au cœur de la société et de son fonctionnement, par opposition aux modèles plus traditionnels basés sur des rôles et des postes. Là encore, avec des systèmes utilisant l’IA, on est capable de faire une inventaire permanent des compétences disponibles dans notre organisation; de les mapper contre les besoins en compétences pour les métiers futurs (ESG, data…); d’identifier les besoins en formation de nos collaborateurs; de leur offrir un programme de formation qui répond à leurs besoins et leur permet de progresser dans leur carrière.

En matière de recrutement, nous faisons appel à des outils d’assessment, qui s’appuient là aussi sur l’intelligence artificielle pour nous aider à le décision, grâce à des recommandations pilotées par l’AI. L’intelligence artificielle ne remplacera jamais la décision humaine.

Nous avons aussi recours à Microsoft Booking pour automatiser la programmation des interviews et offrir plus de fluidité dans le parcours de preboarding/onboarding du candidat, et ainsi améliorer son expérience.

Qu’est-ce que les transformations numériques impliquent dans l’essence même des métiers RH?

EB. – «On avait un modèle où les ressources humaines sont partenaires du business, je pense qu’on s’oriente à présent vers un modèle où les RH deviennent de véritables consultants stratégiques. Cela va plus loin.

RH. – «Je confirme. S’ajoute à l’opérationnel un volet stratégique qui réclame de l’agilité. Il faut pouvoir s’adapter aux besoins changeants du business. La fonction RH se fait conseiller et partenaire du business, et elle est là aussi pour éduquer sur un certain nombre de dimensions.

EB. – «L’intelligence artificielle transforme le métier. Grâce à cette technologie, les RH vont pouvoir aller plus loin dans leurs analyses et dans la prédictibilité, et mieux connaître leur population. C’est un accélérateur.

Autre bénéfice: avec les exigences réglementaires de plus en plus pressantes auxquelles les entreprises font face (CSRD, transparence salariale…), des technologies comme l’IA vont permettre d’accélérer la collecte, la transformation des données et leur modélisation, ce qui là non plus n’est pas négligeable.

Moralité, ce que vous nous annoncez, c’est donc… la mort programmée des tableurs Excel!

EB. – «Les solutions incorporent des tableurs à la manière d’Excel, donc on peut toujours manipuler les données… Ce que l’on veut absolument réduire et éliminer, en revanche, c’est le transfert de données confidentielles ou sensibles par mail, qui s’effectue souvent via des tableurs. Ce que l’on peut favoriser avec un SIRH, c’est le partage de données actualisées en temps réel, très souvent actionnables, qui permettent non seulement une sécurité accrue, mais également davantage de transparence et de responsabilisation pour des utilisateurs en dehors des ressources humaines, comme les responsables hiérarchiques.»