, partner et responsable de la durabilité chez KPMG Luxembourg, s'est entretenue avec Paperjam au sujet du paquet , qui vise à rationaliser le reporting en matière de durabilité, à assouplir les délais de mise en œuvre et à réduire la charge pesant sur les entreprises, tout en améliorant la disponibilité des données durables.
Pourriez-vous expliquer brièvement en quoi consiste le «paquet Omnibus» de la Commission européenne sur le reporting en matière de durabilité et le devoir de diligence?
Julie Castiaux. – «Le paquet Omnibus vise à améliorer la cohérence et à rendre les règles de transparence en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) plus compréhensibles. Il porte sur plusieurs réglementations clés, notamment la directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD), la directive sur le devoir de diligence en matière de durabilité des entreprises (CSDDD), le règlement sur la taxonomie de l’UE et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM). L’objectif de cette proposition est de renforcer la compétitivité de l’UE et de favoriser la croissance économique. Elle répond aux préoccupations du marché concernant la lourdeur réglementaire et les coûts potentiels associés au reporting ESG, ainsi que la confusion entourant les normes proposées sur les informations à déclarer.
Les nouvelles exigences de reporting de la [CSRD] s’appliqueront uniquement aux grandes entreprises comptant plus de 1 000 employés et réalisant soit un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros, soit un total d’actifs dépassant 25 millions d’euros.
Quelles sont les principales modifications introduites par ce paquet par rapport aux réglementations précédentes?
«Principales modifications introduites par le paquet Omnibus par rapport aux réglementations précédentes
- “Stop the Clock” pour la CSRD et la CSDDD La Commission européenne propose de repousser les exigences spécifiques de reporting pour la CSRD et la CSDDD. Les grandes entreprises concernées par la CSRD pour l’exercice fiscal 2025 ainsi que les petites et moyennes entreprises pour l’exercice 2026 (les entreprises dites de la vague 2 et de la vague 3 de la CSRD) devront commencer leur reporting avec deux ans de retard, en se concentrant sur leurs performances pour les exercices 2027 et 2028. De plus, la date limite de mise en œuvre de la CSDDD sera repoussée d’un an, jusqu’en 2028.
- Révision des seuils de la CSRD
La proposition prévoit également une réévaluation des seuils de la CSRD afin de les aligner sur ceux de la CSDDD. Les nouvelles exigences de reporting ne s’appliqueront qu’aux grandes entreprises comptant plus de 1 000 employés et réalisant soit un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros, soit un total d’actifs dépassant 25 millions d’euros. Pour les entreprises en dessous de ce seuil, la Commission envisage d’introduire une norme de reporting volontaire, basée sur la norme volontaire pour les PME (VSME) élaborée par l’Efrag.
– Révision de l’Acte Délégué des ESRS
La Commission mettra à jour l’acte délégué définissant les normes européennes de reporting en matière de durabilité (ESRS). Cette révision vise à réduire considérablement le nombre de points de données requis, clarifier les dispositions ambiguës, assurer la cohérence avec d’autres législations et simplifier les obligations de reporting. La proposition prévoit notamment la suppression de l’exigence de normes spécifiques aux secteurs.
- Ajustement des seuils de la Taxonomie de l’UE
Enfin, le paquet Omnibus propose des ajustements aux obligations liées à la Taxonomie de l’UE. Il suggère que les grandes entreprises comptant plus de 1 000 employés et générant un chiffre d’affaires supérieur à 450 millions d’euros soient tenues de déclarer sous la Taxonomie de l’UE, tandis que le reporting restera facultatif pour les autres entreprises.
Vous avez mentionné que ce paquet devrait affecter les entreprises luxembourgeoises de plus de 1.000 employés. Quels sont les principaux défis auxquels ces entreprises pourraient être confrontées?
«Le paquet Omnibus aura un impact significatif sur le Luxembourg, car plus de 1 500 entreprises sont concernées par la deuxième phase de la directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD), en particulier celles qui remplissent deux critères financiers : un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros et plus de 25 millions d’euros d’actifs nets. Cependant, en raison de la mise à jour des seuils, de nombreuses entreprises pourraient ne plus être soumises à ces obligations, puisque les exigences ne s’appliqueront désormais qu’aux entreprises luxembourgeoises comptant plus de 1.000 employés, soit environ 150 à 250 entités basées au Luxembourg.
Bien que la simplification puisse réduire la charge de reporting pour les entreprises, des défis majeurs subsistent.
«Même si ces exigences sont levées, les entreprises devraient toujours collecter et fournir des données ESG à leurs clients et investisseurs, car les banques et les compagnies d’assurance utilisent ces informations dans leurs évaluations des risques. Avec une meilleure compréhension des pratiques de durabilité des entreprises, les banques pourraient ajuster leurs critères de prêt, favorisant potentiellement les entreprises qui affichent de solides performances ESG.
De plus, les entreprises continuent de faire face à des défis liés à l’optimisation de la collecte des données ESG, à l’identification des sujets de reporting les plus importants pour les parties prenantes et à la garantie de la qualité des informations ESG fournies. L’accent est de plus en plus mis sur la création de valeur à travers la durabilité et l’amélioration de l’efficacité, plutôt que sur la simple conformité aux obligations ESG.
La simplification de la réglementation pourrait attirer les gestionnaires d’actifs et les institutions financières qui accordent une priorité aux facteurs ESG.
Le Luxembourg est reconnu pour son leadership en finance durable. Comment cette réglementation pourrait-elle impacter sa position sur le marché financier mondial?
«Au cours des quatre dernières années, depuis l’introduction du règlement sur la publication d’informations en matière de finance durable (SFDR), nous avons observé des changements significatifs sur le marché, en particulier concernant l’article 9 du SFDR et la notion d’« investissement durable », ainsi que l’alignement avec la taxonomie de l’UE. Les gestionnaires d’actifs se sont préparés à la mise en œuvre de la CSRD, s’attendant à collecter des données ESG plus détaillées et précises auprès de leurs portefeuilles afin de répondre à leurs obligations de reporting.
Cependant, avec l’arrivée de la proposition Omnibus, tant les investisseurs que les gestionnaires d’actifs commencent à exprimer leurs préoccupations quant à une possible pénurie de données ESG provenant des entreprises. Cela pourrait compliquer la mesure de l’impact ainsi que le suivi et le reporting efficaces des efforts de durabilité.
D’un point de vue positif, la simplification de la réglementation pourrait attirer davantage de gestionnaires d’actifs et d’institutions financières mettant l’accent sur les critères ESG, renforçant ainsi la réputation du Luxembourg en tant que centre d’investissement durable.
Comment les nouvelles exigences pourraient-elles affecter les prêts bancaires et les compagnies d’assurance, compte tenu de leur attention croissante à la durabilité?
«Les banques et les compagnies d’assurance sont désormais tenues de rendre compte des facteurs ESG et ont collecté davantage de données ESG au cours des dernières années afin de les inclure dans leurs évaluations des risques et leurs calculs de solvabilité. Un manque de données suffisantes peut poser des difficultés, non seulement pour établir des rapports complets, mais aussi pour prendre des décisions éclairées en matière d’octroi de prêts et de développement de produits d’assurance adaptés, éléments essentiels pour la gestion des risques de solvabilité.
Tout d’abord, nous reconnaissons que de nombreux acteurs du marché luxembourgeois sont impactés, car ils ne remplissent pas le critère de 1 000 employés ou plus, ou d’autres critères retardant la mise en œuvre du reporting CSRD. Cette situation peut être perçue comme un soulagement pour ces organisations, car elles ne sont plus, ou dans une moindre mesure, légalement tenues de divulguer l’ensemble des exigences définies par la CSRD. Elles peuvent désormais se concentrer sur l’expansion de leur activité existante, en prenant le temps d’améliorer leurs stratégies ESG internes et d’adapter leurs offres commerciales aux besoins du marché.
Par exemple, les banques peuvent répondre à la demande de prêts ESG ou continuer à proposer des prêts traditionnels sans subir la pression immédiate d’adapter leurs processus opérationnels et leurs exigences en matière de données ESG. De même, les compagnies d’assurance bénéficient d’un avantage dans la commercialisation de leurs produits d’assurance.
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Deuxièmement, bien que les exigences de reporting aient été simplifiées, la nécessité de collecter et de communiquer des données ESG aux clients et aux investisseurs demeure. Le marché mondial accordant une importance croissante à la transparence en matière d’ESG, de nombreuses institutions dans des pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont déjà commencé à publier leurs rapports CSRD.
Par conséquent, les banques et les compagnies d’assurance au Luxembourg restent également soumises aux exigences de reporting ESG, telles que le SFDR. Elles ont commencé à collecter des données ESG il y a plusieurs années afin de les intégrer aux processus de leurs clients ainsi qu’à leurs modèles d’évaluation des risques et de solvabilité. Il est essentiel pour elles de faire face au problème du manque de données ESG, non seulement pour produire des rapports complets, mais aussi pour prendre des décisions éclairées en matière de financement et proposer des produits d’assurance adaptés sur le long terme.
Ainsi, la collecte de données CSRD sur leurs contreparties pourrait les aider à relever le défi de la disponibilité des données, un enjeu clé qu’elles doivent surmonter.
Pourriez-vous expliquer plus en détail comment ce paquet pourrait modifier le périmètre d’audit et les normes de reporting?
«Le projet Omnibus propose de simplifier les normes européennes de reporting en matière de durabilité (ESRS). Les révisions suggérées incluent un cadre plus simple avec un nombre réduit de points de données requis, dont certains pourraient devenir facultatifs.
Concernant l’assurance externe, la proposition maintient l’exigence d’une assurance limitée, ce qui signifie que les auditeurs externes devront toujours examiner le contenu des rapports et confirmer l’exactitude des informations fournies, y compris les données quantitatives et qualitatives liées à la double matérialité. Il est à noter que le projet actuel supprime l’exigence future d’une assurance raisonnable obligatoire pour les informations extra-financières.
Face à un paysage réglementaire de plus en plus complexe, les auditeurs jouent un rôle essentiel dans la préservation de l’intégrité des informations financières et non financières. Les nouvelles exigences peuvent entraîner plusieurs défis, notamment :
– Assurer la qualité et l’exhaustivité des données
- Clarifier les attentes en matière d’assurance limitée
- Gérer l’augmentation des demandes des parties prenantes en matière de transparence
Dans cet environnement en constante évolution, les auditeurs doivent considérer ces défis comme des opportunités pour affiner leurs méthodologies et fournir des analyses plus approfondies. En recherchant la cohérence et la fiabilité du reporting ESG, ils peuvent renforcer la confiance et promouvoir une culture de responsabilité bénéfique à l’ensemble des parties prenantes.
En l’absence d’un reporting standardisé, les parties prenantes externes auront de plus en plus de difficultés à évaluer l’impact des entreprises, et les clients éprouveront des obstacles à mener des analyses approfondies.
Certains craignent que la simplification des réglementations n’affaiblisse les efforts en matière de durabilité. Quel est votre point de vue sur l’équilibre entre simplification et impact significatif?
«La simplification réglementaire peut être perçue comme une évolution positive, en particulier face aux défis réglementaires auxquels les entreprises européennes sont confrontées. Bien que l’obligation de reporting ESG ait initialement été mise en place pour lutter contre le greenwashing et améliorer la mesure de la contribution des entreprises à la durabilité, la proposition Omnibus va au-delà de la simple simplification. Selon la communication du Parlement européen, elle des entreprises de l’UE de leurs obligations de reporting.La montée en puissance de la durabilité et des pratiques commerciales responsables a conduit de nombreuses organisations à reconnaître que les facteurs ESG jouent un rôle crucial dans le succès à long terme et la gestion des risques. Les conseils d’administration et les équipes de direction ont pris conscience de l’importance d’accéder à des données ESG et de les intégrer aux indicateurs financiers pour prendre des décisions éclairées.
Cependant, en l’absence de reporting standardisé:
- Les parties prenantes externes auront de plus en plus de difficultés à évaluer l’impact des entreprises.
- Les clients auront du mal à analyser et comparer les informations et pratiques des entreprises de manière cohérente.
- Les entreprises elles-mêmes feront face à des défis liés au manque de données ESG, ce qui freine leurs efforts de durabilité et l’adoption de pratiques commerciales durables.
Toutefois, la proposition Omnibus pourrait encourager de nombreuses entreprises de taille moyenne et petite à entamer une démarche de conformité à la CSRD sur les pratiques ESG. Ces entreprises comprennent de plus en plus les avantages des évaluations de double matérialité, qui leur permettent d’identifier à la fois l’impact de leurs opérations sur la durabilité et l’impact des enjeux de durabilité sur leur activité en termes de risques et d’opportunités.
En conséquence, même si ces entreprises ne sont pas encore soumises à des normes obligatoires, elles peuvent continuer à progresser dans leurs efforts ESG en adoptant des normes volontaires. Ainsi, la proposition pourrait, paradoxalement, encourager davantage de petites entreprises à s’engager dans les pratiques de durabilité et le reporting ESG, contribuant ainsi à un impact positif plus large.
Quelles mesures concrètes les entreprises devraient-elles prendre dès maintenant pour s’adapter aux nouvelles exigences de reporting et de diligence raisonnable?
«Pour les entreprises toujours soumises à de potentielles obligations dans deux ans
Le report des exigences devrait être perçu comme une opportunité de réévaluer les politiques internes, les procédures et les cadres de contrôle. Cela permet aux entreprises de :
– Consolider un consensus sur les messages clés en matière de durabilité qu’elles souhaitent communiquer à un large éventail de parties prenantes.
- Profiter de ce délai supplémentaire pour collecter des données ESG, en évaluer la qualité et ajuster leur stratégie globale.
- Faciliter l’intégration des enjeux de durabilité dans leurs opérations et leur modèle économique. Pour les entreprises désormais exemptées des obligations de reporting
Même si ces entreprises ne sont plus tenues de se conformer aux obligations de la CSRD, la collecte, le suivi et le reporting des données ESG restent essentiels pour:
Assurer une communication efficace avec les clients, les banques, les compagnies d’assurance et les actionnaires. Examiner leurs activités et chaînes de valeur sous un prisme plus large, favorisant l’intégration des facteurs ESG dans : La gestion des risques Le développement stratégique La définition des priorités d’investissement Optimisation et efficacité du reporting ESG
D’un point de vue opérationnel et stratégique, la mise en place d’un cadre standardisé de reporting ESG peut permettre de :
- Répondre plus efficacement aux nombreuses demandes d’informations ESG des parties prenantes externes.
- Rationaliser l’étendue des diligences ESG, réduisant ainsi la complexité et les coûts associés à la mise en conformité. En fin de compte, l’exploitation des données ESG vise à encourager des pratiques commerciales plus durables et résilientes, bénéfiques pour la compétitivité et la pérennité des entreprises.»
Cet article a été , traduit et édité pour le site de Paperjam en français.