Comme le sparadrap collé au nez du capitaine Haddock dans l’aventure de Tintin «L’affaire Tournesol», l’étiquette de paradis fiscal colle au Luxembourg. Ce constat émane de quelques Luxembourgeois de l’étranger qui travaillent dans le monde des affaires. Basé à Paris, l’avocat Pierre-Sébastien Thill est habitué à des préjugés tels que «ne voir que l’activité liée aux avantages fiscaux au Luxembourg sans considération pour le secteur industriel et tertiaire. Très peu connaissent l’influence de la sidérurgie dans le développement économique du pays à l’époque de la révolution industrielle.» Et en matière de préjugés, affirme ce spécialiste de la fiscalité internationale, «beaucoup de Français ne sont dépassés que par certains Américains».
«Beaucoup de gens aux États-Unis ne connaissent en fait pas le Luxembourg, et encore moins son emplacement», confirme l’avocat new-yorkais Bob Rivollier. «Ceux qui ne sont pas allés au Luxembourg, mais qui en connaissent l’existence, pensent généralement qu’il s’agit d’un grand centre financier où les gens ne paient pas d’impôts. Si seulement c’était vrai!»
On parle moins souvent du Luxembourg comme d’un paradis fiscal aujourd’hui que par le passé. Mais l’idée n’a pas encore disparu.
Antoine Kremer, représentant à Bruxelles de l’Association des banques et banquiers, Luxembourg (ABBL), l’association des assureurs et réassureurs Aca et l’Association luxembourgeoise des fonds d’investissement (Alfi), constate que «moins de gens mentionnent le Luxembourg comme un paradis fiscal aujourd’hui que par le passé. Cependant, l’idée n’a pas encore disparu. Lorsque je discute avec des représentants de la Commission européenne, les choses sont claires: le Luxembourg est un centre financier international pour de nombreuses raisons, et pas seulement pour des raisons fiscales. Au Parlement européen, par contre, les préjugés ont la vie dure.»
Le lobbyiste de la place financière luxembourgeoise pointe du doigt l’influence de la presse nationale. «Si cette dernière s’appuie sur des perceptions vieilles de 10 ou 20 ans et les répète inlassablement, ces idées finissent par s’enraciner. Un député européen lit principalement la grande presse de son pays et s’aligne sur les opinions populaires.» Il note que les parlementaires des pays voisins du Luxembourg partagent souvent ces préjugés puisque leur presse nationale les soutient.
Fort heureusement, cette perception n’est pas gravée dans le marbre. Antoine Kremer souligne un changement important, en reconnaissant les efforts d’éducation des acteurs des centres financiers et des diplomates. Il se réjouit également que «des personnalités luxembourgeoises se soient imposées en Europe». Pierre Werner, par exemple, est resté dans les mémoires pour son rapport sur l’Union économique et monétaire, antérieur à la création de l’euro. Au Parlement européen, on se souvient également d’Astrid Lulling (CSV), qui a été députée européenne de 1965 à 1974 et de 1989 à 2014. Fait amusant, le salon des députés européens à Bruxelles porte son nom.
Peu d’idées préconçues
Le spécialiste du capital-risque Christian Jung, basé à Londres, a longtemps étudié et travaillé en Allemagne. S’il a remarqué que «beaucoup n’ont qu’une vague idée de ce qu’est la vie au Luxembourg au-delà de son secteur financier», il affirme n’avoir jamais été confronté à des préjugés ou à de la condescendance. «La perception du Luxembourg est très largement positive. Les gens le voient généralement comme un pays riche, stable et bien organisé, et l’associent souvent au secteur bancaire, aux institutions européennes et à une qualité de vie élevée». Selon M. Jung, qui a la quarantaine, il n’y a pas beaucoup de stéréotypes sur le Luxembourg. «Mais si je devais en citer un, ce serait l’idée que tout le monde au Luxembourg est riche par défaut. Si le Luxembourg est un pays prospère, la réalité est plus nuancée. La richesse individuelle à une échelle bien plus grande existe dans d’autres pays où elle est, en partie, disponible pour des investissements dans des causes sociales et des secteurs sous-financés par le biais de family offices.»
De l’autre côté de l’Atlantique, «j’ai rencontré très peu de gens qui avaient des idées préconçues sur le Luxembourg», déclare Jeff Desom, réalisateur, scénariste et superviseur d’effets visuels basé à Los Angeles. «Les États-Unis sont une nation d’immigrants. La plupart des gens viennent d’ailleurs. Le fait de venir d’un endroit qui est relativement inconnu pour la plupart des gens rend les gens curieux, s’il y a lieu. Mais je n’ai jamais eu l’impression que quelqu’un nous regardait de haut. Au contraire, j’ai souvent l’impression que c’est le contraire. Les Luxembourgeois ont une vision étonnamment biaisée des États-Unis et de leurs citoyens.»
Je suis également fier de notre héritage culturel et de la capacité du pays à se réinventer tout au long de l’histoire en passant d’une économie agricole à une puissance industrielle, puis à un centre financier mondial.
Quand l’entrepreneuse new-yorkaise Liz Breuer partage des photos du Luxembourg avec son entourage local, «ils trouvent ça mignon et beau. Pour eux, c’est un endroit pittoresque et idyllique, mais qui ne semble pas particulièrement dynamique ou excitant.» Patrick Augustin, professeur à l’Université McGill de Montréal, a également entendu l’idée que le Luxembourg est «ennuyeux». «Bien sûr, il n’est pas comparable aux grandes métropoles comme Londres ou New York, mais pour sa taille, je pense que le pays frappe au-dessus de son poids en termes d’activités culturelles et sociales», déclare l’universitaire.
Ambassadeurs informels
Les Luxembourgeois vivant à l’étranger sont d’excellents ambassadeurs. Ils ont une vision positive de leur pays. Depuis Paris, M. Thill dit percevoir le Luxembourg «avec admiration et respect. L’accomplissement est remarquable compte tenu de la taille du pays et des défis du monde actuel.» «Vivre à l’étranger n’a pas changé mon identité, mais m’a permis d’apprécier davantage les nombreux avantages qu’offre le Luxembourg: sa stabilité politique et économique, la sécurité sociale, ainsi que la qualité de vie globale et la tranquillité d’esprit dont une très grande partie de sa population peut jouir», note M. Jung.
Isabelle Crauser, 40 ans, vit depuis dix ans en Suisse, où elle travaille dans l’industrie pharmaceutique. «Le Luxembourg a certainement beaucoup évolué depuis mon enfance. J’ai grandi à Luxembourg-ville, qui est devenue une ville très dynamique et cosmopolite. En se promenant dans la ville, le multilinguisme est omniprésent, les cultures se mélangent, c’est beau à voir.» À Montréal, M. Augustin se considère comme un ambassadeur informel du Luxembourg. «Je me retrouve souvent à parler des domaines viticoles du pays en Moselle, des sentiers de randonnée dans le Mullerthal ou à Esch-sur-Sûre, ou d’événements comme la fête qui a lieu le jour de la fête nationale. Je suis également fier de notre patrimoine culturel et de la capacité du pays à se réinventer au fil de l’histoire en passant d’une économie agricole à une puissance industrielle, puis à un centre financier mondial.»
Il s’agit d’un véritable creuset multiculturel étant donné le pourcentage élevé d’allochtones qui y vivent et y travaillent.
Autre ambassadeur autoproclamé, Bob Rivollier, à New York, décrit son pays comme suit: «Le Luxembourg est un petit pays – à peu près de la taille de Rhode Island – qui offre généralement toutes les choses que l’on peut trouver ailleurs, mais pas dans la même abondance. La qualité de vie y est très élevée et c’est un endroit idéal pour élever une famille. Le niveau d’éducation est également très élevé et l’éducation a tendance à être peu coûteuse. C’est un véritable creuset multiculturel, étant donné le pourcentage élevé d’étrangers qui y vivent et y travaillent. Le pays est très sûr et stable, et il offre d’excellentes opportunités professionnelles (et pas seulement dans le secteur des services financiers).»
Luxembourgeois «coincés dans leur zone de confort»
À New York également, Mme Breuer a une perception plus nuancée de son pays d’origine. Si «l’écosystème des start-up a considérablement évolué au cours de la dernière décennie», l’entrepreneuse ne peut s’empêcher de remarquer «la différence de rythme entre le Luxembourg et New York. Une combinaison de barrières bureaucratiques et de normes culturelles profondément enracinées freine encore l’essor des nouvelles entreprises et les empêche d’atteindre une croissance exponentielle.»
Et pour préciser sa pensée, elle ajoute: «Les Luxembourgeois évoluent souvent dans un entre-deux, coincés dans leur zone de confort tout en s’en plaignant. Je pense qu’une fois que nous aurons compris qu’il faut parler moins et agir plus, nous irons beaucoup plus vite. L’échec est inévitable, mais il ne marque pas la fin du chemin. J’aurais aimé que nous apprenions à mieux accepter ce processus d’essais et d’erreurs, en commençant par la façon dont nous en parlons à l’école. Une fois cette mentalité ancrée dans la culture, il sera plus facile pour les entreprises d’adopter cette dynamique.»
Il est également inspirant de voir à quel point le Luxembourg a évolué au cours de la dernière décennie.
Lorsqu’elle parle du Luxembourg, Mme Breuer met plutôt en avant la facilité avec laquelle elle y développe et entretient son réseau professionnel: «Les connexions sont rapides et naturelles. Il est également inspirant de voir à quel point le Luxembourg a évolué au cours de la dernière décennie, devenant un véritable pôle d’innovation qui célèbre les jeunes entrepreneurs. Nous avons souvent la réputation d’être un centre financier, et même si cela reste vrai, j’aimerais recadrer ce récit et montrer le large éventail de créativité et de sens des affaires qui existe dans les esprits luxembourgeois.»
«Un havre de paix, pour l’instant»
À Los Angeles, Jeff Desom voit aussi les deux côtés de la médaille. D’une part, le spécialiste des effets visuels apprécie le côté réconfortant de son pays natal: «Lorsque l’actualité mondiale est un peu folle, j’ouvre un journal luxembourgeois et je lis les gros titres. Je trouve très réconfortant de lire des informations sur des fermetures de routes ou des conflits syndicaux au Luxembourg. Il semble que les problèmes du monde n’aient pas encore atteint le Luxembourg. C’est un havre de paix, pour l’instant.»
J’ai bon espoir que le Luxembourg, en raison de sa petite taille, soit plus adaptable.
De son côté, M. Desom, la quarantaine, trouve que «le système et surtout l’éducation [aux États-Unis] favorisent davantage la pensée indépendante et l’esprit d’entreprise. Au Luxembourg, nous avons tendance à remettre à leur place les personnes qui sortent des sentiers battus et à les décourager d’explorer de nouvelles voies (c’est du moins ce que j’ai ressenti pendant mes années d’études). C’est dans notre ADN de garder les choses telles qu’elles sont. ‘Mir wëlle bleiwe wat mir sinn’ est une arme à double tranchant. Elle nous a aidés à maintenir notre identité et notre culture à travers les âges, mais elle étouffe aussi le progrès lorsqu’il s’agit de suivre le temps et de s’adapter à un monde qui change constamment.»
«Mais j’ai bon espoir que le Luxembourg, en raison de sa petite taille, s’adapte plus facilement. Nous avons prouvé que nous étions résistants et je suis convaincu que nous pourrons nous en sortir. Le Luxembourg d’aujourd’hui sera différent, mais si Siegfried revenait demain, je ne pense pas qu’il reconnaîtrait son château», conclut M. Desom.
Les Luxembourgeois dans le monde des affaires
Le CEO du constructeur de bus Wrightbus (Irlande du Nord), Jean-Marc Gales, et l’ancien président du spécialiste des vins haut de gamme Moët Hennessy (France), Philippe Schaus, figurent parmi les dirigeants luxembourgeois les plus en vue actifs au niveau international. Un autre dirigeant expérimenté est David Heyman, qui occupe le poste de directeur non exécutif au King’s College Hospital London à Dubaï. Julia De Toffoli possède une expérience unique en matière de design et de gestion de la mode. Elle est aujourd’hui directrice de collection chez Rimowa, une société de bagages, à Paris. Parmi les autres exemples, citons Lou Reckinger, responsable de la stratégie et du portefeuille chez NZZ (Suisse); Michelle Hollman, responsable de la migration des données chez Kiwa (Pays-Bas); et Anne-Sophie Hoffmann alias Sophie, styliste culinaire végétalienne et créatrice de recettes à Berlin.
Dans le monde de la finance
De nombreux Luxembourgeois à l’étranger sont actifs dans la finance. L’un des plus connus est Michel Liès, ancien CEO du réassureur Swiss Re et aujourd’hui président du conseil d’administration de l’assureur Zurich. Basé à Hong Kong, Frederic Neumann, économiste en chef pour l’Asie et co-responsable de la recherche mondiale pour l’Asie chez HSBC, est un commentateur médiatique populaire. Parmi les autres, citons Philippe Borens, associé banque et finance chez Schellenberg Wittmer à Zurich; Tom Alzin, porte-parole du conseil d’administration de Deutsche Beteiligungs AG à Francfort; et Yves Sand, directeur des acquisitions européennes chez Harrison Street Real Estate Capital à Londres.
Autres Luxembourgeois qui se distinguent à l’étranger
Santé: Judith Michels, oncologue médicale au centre de cancérologie Gustave Roussy à Villejuif; Patrice Grehten, médecin chef en radiologie pédiatrique au Kinderspital de Zurich; Martine Baldassi, psychologue à Montréal.
Institutions: Anne Soisson, spécialiste de programme associée à l’Unesco à Paris; Raoul Ueberecken, directeur au Conseil de l’Union européenne à Bruxelles; François Heisbourg, conseiller principal pour l’Europe à l’Institut international d’études stratégiques (IISS) à Londres.
Académie: Jean-Pierre Zigrand, professeur associé de finance à la London School of Economics and Political Science (LSE); Joël Wagner, professeur d’actuariat à la HEC Lausanne; Bernard Ries, vice-recteur de l’Université de Fribourg.
9.778
C’est le nombre d’étudiants boursiers du gouvernement luxembourgeois qui ont poursuivi des études supérieures en France au cours de l’année universitaire 2023/2024 (résidents et non-résidents confondus), selon le ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur. La Belgique (7.511 étudiants) et l’Allemagne (5.600 étudiants) étaient les deuxième et troisième destinations les plus populaires pour les étudiants luxembourgeois en 2023/2024, suivies par le Grand-Duché lui-même (4.445 étudiants).
Cet article a été rédigé initialement en anglais et traduit et édité en français.
Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de , parue le 26 mars. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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