La possibilité d’exercer la médecine sous forme sociétale pourrait permettre aux médecins un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Et donc en attirer dans le pays. (Photo: Nader Ghavami/Maison Moderne)

La possibilité d’exercer la médecine sous forme sociétale pourrait permettre aux médecins un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Et donc en attirer dans le pays. (Photo: Nader Ghavami/Maison Moderne)

La tendance au vieillissement des médecins se confirme dans le dernier rapport de la Sécurité sociale. Le projet de médecine sous forme sociétale pourrait aider à éviter une pénurie dans les prochaines années. Sans être suffisant, selon les professionnels, qui préconisent de miser sur les infrastructures et la formation.

3.247 médecins exerçaient au Luxembourg en 2017, selon le . Soit 3,8% de plus qu’en 2008. Un chiffre qui augmente plus rapidement que celui de la population protégée, qui a crû de 2,9% sur la même période. Rassurant, mais pas suffisant, selon les professionnels.

21,6% de médecins de plus de 60 ans

Car si l’on regarde le rapport de l’Inspection générale de la sécurité sociale (IGSS), on constate qu’avec trois médecins pour 1.000 habitants, le Luxembourg a un nombre relatif de médecins légèrement plus faible que ses voisins (3,1 pour la Belgique, 3,2 pour la France et 4,3 pour l’Allemagne).

Surtout, les 2.088 médecins considérés comme praticiens actifs (ayant facturé au moins des honoraires médicaux à hauteur de 18.000 euros par an) vieillissent. La part de ceux âgés de plus de 60 ans est passée de 10,8% à 21,6% en neuf ans. Et leur remplacement inquiète. , à cause de l’offre de formation trop faible.

Pour y remédier, le gouvernement a annoncé plusieurs mesures dans son Plan national de santé. Comme la possibilité d’exercer la médecine et les professions de santé sous forme sociétale. Une manière «d’augmenter l’attractivité et la flexibilité» des professions de santé.

La médecine sous forme sociétale ne serait pas la panacée

«C’est une bonne chose», confirme le docteur Jean-Marc Weber, installé comme médecin généraliste et du sport à Luxembourg-ville depuis un peu moins de 10 ans. Son cabinet n’a pas la place pour accueillir de nouveaux professionnels et n’a pas vocation à déménager pour l’instant, mais si c’était le cas ou s’il venait seulement de s’installer, «je pourrais très bien m’imaginer travailler sous cette forme». D’une part, elle permet de s’associer à d’autres professions, comme «des psychologues, des kinésithérapeutes, des infirmiers… Par rapport au service au patient, c’est quelque chose d’intéressant.» Et, d’autre part, de travailler comme salarié, avec des horaires et un salaire fixes.

Le médecin pense que cela pourrait attirer de nouveaux professionnels au Grand-Duché. Il affirme ressentir la pénurie de spécialistes lorsqu’il y envoie ses patients, qui doivent souvent attendre plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous.

Alain Schmit, président de l’Association des médecins et médecins-dentistes (AMMD), admet que cela offrira des avantages en termes d’organisation aux généralistes. Il se dit plus partagé sur l’attractivité pour les spécialistes. Pour lui, le problème vient du fait que ces derniers sont dépendants des infrastructures hospitalières pour tout ce qui est ambulatoire, par exemple l’imagerie, l’endoscopie, la chirurgie ambulatoire… Alors qu’elles auraient intérêt à se développer à l’extérieur. Comparant le fait d’aller passer un scanner à l’hôpital à «l’achat unique d’une baguette de pain à la Belle Étoile».

La pénurie de médecins reste un «problème européen», rappelle-t-il. Et puisque l’on «cherche des médecins un peu partout», difficile de jouer sur des salaires plus élevés au Luxembourg pour attirer, surtout quand les loyers sont, eux aussi, supérieurs à ceux des pays voisins. Le rapport de la Sécurité sociale montre d’ailleurs que 26,4% des médecins qui pratiquent au Luxembourg ne vivent pas dans le pays, contre 15,6% en 2008. En 2017, seulement 51,4% des médecins actifs praticiens étaient de nationalité luxembourgeoise, contre 64,8% en 2008. Si l’on compte encore une part importante de Français, Belges et Allemands, «les étrangers que nous avons ces dernières années viennent de plus loin», constate Alain Schmit, citant la Grèce, l’Italie, le Portugal ou la Roumanie. Certaines régions, comme le nord du pays, souffrent encore plus du manque de médecins, même si «l’on ne peut pas le comparer à certains déserts médicaux en France, par exemple».

Améliorer la formation

La question de la démographie médicale préoccupe aussi à l’hôpital. «C’est un sujet qui me tient fortement à cœur», commente Romain Schockmel, directeur médical du Centre hospitalier Emile Mayrisch (CHEM). Selon le rapport de la Sécurité sociale, le nombre de médecins hospitaliers praticiens est passé de 1.082 en 2016 à 1.298 en 2020. Mais le Dr Schockmel craint surtout la pénurie à venir «dans les cinq prochaines années», quand une part importante de médecins partiront à la retraite. Il ressent déjà un manque dans les spécialités qui «nécessitent une très longue formation», comme la chirurgie cardiovasculaire, ou celles «liées à une activité de garde». La chirurgie générale est d’ailleurs la seule, avec la médecine générale, à voir le nombre de médecins actifs diminuer (-1) entre 2008 et 2017. La pédiatrie, l’anesthésiologie et la gynécologie-obstétrique sont les trois spécialités les plus représentées.

Le directeur médical compte beaucoup sur le projet de master en médecine auquel travaille Gilbert Massard, directeur de l’enseignement médical à l’Université du Luxembourg. Il devrait permettre aux étudiants de «suivre une formation en médecine complète au Luxembourg» et donc d’éviter la fuite de cerveaux redoutée par l’Alem. Même s’il faudra poursuivre les «coopérations» avec les pays voisins pour couvrir toutes les spécialisations, ce qui semble «difficile à concevoir» au Luxembourg. Pour l’instant, on peut s’y spécialiser en oncologie et en neurologie. Romain Schockmel s’attend à un pic de demandes une fois ce nouveau diplôme en place. Il avait été annoncé pour 2023. Au sujet du développement de l’ambulatoire hors des hôpitaux, «le problème sera de garantir la même qualité et la même sécurité».