L’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (Iris), une organisation à but non lucratif créée en 2000 au Québec, a publié un rapport détaillé le jeudi 2 novembre, mettant en lumière les activités étendues d’évasion fiscale par les multinationales canadiennes au Luxembourg.
Utilisant les informations comptables de 280 filiales au Luxembourg, le rapport a révélé une tendance de longue date au transfert de bénéfices et aux pratiques d’évasion fiscale, offrant un aperçu sans précédent de ces manœuvres financières.
Transferts de bénéfices
L’étude a révélé qu’au cours des dix dernières années, 59 entreprises canadiennes, dont 33 ont leur siège au Québec, ont transféré un montant stupéfiant de 81 milliards d’euros (119,8 milliards de CA $) en bénéfices au Luxembourg. Ce phénomène a connu une augmentation annuelle moyenne de 20% entre 2011 et 2021.
Le rapport a souligné que Thomson Reuters, Restaurant Brands international (Burger King et Tim Hortons), Bausch Health Companies, Banque TD et Magna International étaient les cinq plus grandes entreprises multinationales déclarant des bénéfices nets au Luxembourg pendant la période de l’étude, représentant 78% de tous les bénéfices transférés au grand-duché.
Le chercheur à l’Iris et co-auteur de l’étude, Colin Pratte, a souligné que les récentes réformes fiscales initiées par l’organisation de coopération et de développement économiques n’ont pas été efficaces pour freiner la planification fiscale agressive par ces sociétés multinationales canadiennes.
Dans le secteur alimentaire…
Le rapport a également examiné les pratiques fiscales au sein de secteurs économiques spécifiques, y compris l’industrie alimentaire. Il a trouvé que toutes les multinationales répertoriées font partie de secteurs qui englobent la production et la distribution alimentaires. 25% des bénéfices transférés au Luxembourg au cours des cinq dernières années étaient associés au secteur alimentaire.
La chercheuse associée à l’Iris et co-auteure de l’étude, Sophie Élias-Pinsonneault, a souligné les préoccupations en matière d’équité de telles pratiques d’évasion fiscale, particulièrement en période d’inflation. Elle a souligné que ces pratiques conduisent à une concurrence déloyale, désavantageant les petits acteurs et affectant de manière disproportionnée les individus déjà accablés par l’inflation des prix alimentaires.
Évasion fiscale et fonds publics
L’étude d’Iris a également mis en lumière le problème des entreprises qui s’engagent dans des stratégies d’évasion fiscale tout en bénéficiant en même temps de subventions publiques.
Colin Pratte a noté le contraste frappant entre l’approche du Canada et celle de pays comme la France, le Danemark et la Pologne, qui ont restreint l’accès des entreprises opérant dans des paradis fiscaux aux aides financières publiques liées à la pandémie.
Par exemple, CAE Inc, une multinationale basée à Montréal dans le secteur de l’aéronautique, a transféré 99,2 millions de CA $ au Luxembourg en 2020-2021, la même année où elle a reçu 115,7 millions de CA $ de subventions fédérales canadiennes pour les salaires et les loyers des entreprises pendant le Covid. De plus, la filiale luxembourgeoise de Northvolt a accumulé des actifs totalisant 637,6 millions de CA $ en 2022, et la société est prête à recevoir jusqu’à 7,3 milliards de CA $ en fonds publics pour un projet d’usine de batteries en Montérégie (au sud de Montréal). Colin Pratte a souligné le caractère répréhensible des pratiques d’évasion fiscale, surtout durant les crises sociales où le soutien du secteur privé à l’État semble être à sens unique.
Le contexte historique
La principale stratégie d’évitement fiscal mise en évidence dans le rapport implique l’inflation artificielle de la dette d’une entreprise pour amplifier ses coûts d’intérêts, menant à une réduction du revenu imposable par le biais de la «dette intra-groupe». Cependant, cette stratégie n’est pas nouvelle et avait déjà fait l’objet d’un rapport en 1992 par le vérificateur général du Canada, suivi d’un projet de loi en 2007, qui a finalement cédé sous la pression des entreprises concernées et a été abrogé.
Sophie Élias-Pinsonneault a conclu le rapport en soulignant l’impact tangible des paradis fiscaux sur la vie des gens et a réitéré que des solutions sont disponibles depuis plus de trois décennies. Elle a appelé à une action immédiate pour aborder ces problèmes de longue date et répondre aux grandes crises de notre époque.
Le rapport complet est disponible .
Cet article a été rédigé par en anglais, traduit et édité par Paperjam en français.