«Comment attirer, intégrer et retenir les jeunes dans les entreprises?» À travers une série d’observations et de préconisations, le guide conçu par la Chambre de commerce, , «propose de démystifier la génération Z», «afin de renseigner les professionnels».
«Du point de vue des entreprises, la génération Z représente à la fois une chance et un défi», écrit la Chambre de commerce, en introduction du document d’une vingtaine de pages dont nous présentons ici les grandes lignes. Grandes lignes que nous avons ensuite soumises au fondateur du cabinet Testa-RH Consulting, Dominique Herickx, observateur attentif du marché du recrutement et des ressources humaines, et… . Manière de changer de focale.
Même si la Chambre de commerce elle-même en convient: «Évitons de tomber dans le piège des stéréotypes, et rappelons-nous que chaque individu est unique et ne peut être réduit à son appartenance à une génération.»
Qui est la gen Z?
Pour la Chambre de commerce, la gen Z conçoit le travail comme «un moyen de gagner sa vie pour s’épanouir en dehors» du cercle professionnel, et non comme «une fin en soi». La notion de progrès au travail serait pour elle «synonyme de [montée] en compétences, en reconnaissance et en autonomie, mais pas forcément d’évoluer dans les échelons hiérarchiques».
Décrits comme «plus matures» que leurs aînés au même âge («leur mode d’éducation les a rendus plus sûrs d’eux, ce qui participe à les rendre plus enclins à l’entrepreneuriat et à compter sur eux-mêmes pour atteindre leurs objectifs»), les 18-28 ans seraient «plus nombreux à vouloir avoir un impact positif sur le monde, et plus attachés au respect des individus»: «Ils s’épanouissent dans une entreprise dont les valeurs sont en accord avec les leurs.»
De fait, la gen Z a besoin «de se sentir utile», «d’être reconnue» et «de voir ses idées prises en considération». Un mot à retenir: l’épanouissement. Et ce, en dépit d’un niveau de stress et d’anxiété plus élevé que la normale, souligne la Chambre de commerce. «Plusieurs études témoignent d’une dégradation de la santé mentale des jeunes générations, exposées aux multiples crises et incertitudes économiques et climatiques. Ils hésitent moins à en parler et à demander du soutien.»
• Le regard de Dominique Herickx: «J’apprécie de voir que la Chambre de commerce avertit avec prudence et sagesse qu’il faut éviter les stéréotypes et qu’il faut apprécier chacun comme une identité à part entière. Mais les écueils ne manquent pas. Par exemple, il est erroné de croire que les générations antérieures n’avaient pas les mêmes aspirations que celle d’aujourd’hui: un jeune des années 80 ou 90 avait les mêmes besoins de reconnaissance, d’autonomie, d’accomplissement, de se sentir utile. Ce n’était pas une génération de gens serviles immatures qui subissaient leur environnement. La grande différence, c’est qu’en cas de doutes, ils étaient isolés, face à eux-mêmes, sans savoir que d’autres pouvaient vivre la même situation. Avec l’avènement des réseaux sociaux, beaucoup de gens se sont rendu compte qu’ils avaient des semblables avec les mêmes difficultés. Cela a créé des communautés partageant les mêmes problèmes et valeurs. Cela a favorisé l’esprit d’appartenance et renforcé l’affirmation et la confiance en soi. C’est la chance des gen Z. Mais, surfant sur la vague technologique, les non-gen Z ont bien pris ce train en marche pour se trouver à égalité et adhérer aux mêmes aspirations.»
Comment la recruter?
«La procédure de recrutement fait partie de ‘l’expérience candidat’», note la Chambre de commerce, selon laquelle les organisations doivent soigner leur marque employeur, «se démarquer sur les réseaux sociaux à travers des posts reflétant leur identité», «développer un site carrière, dédié spécifiquement au recrutement», mais aussi «mener une veille sur les avis concernant l’entreprise sur des sites comme Glassdoor».
S’agissant de la séquence recrutement à proprement parler, la Chambre de commerce recommande à ses membres de rédiger une annonce «attractive», «mettant en avant les soft skills requis pour le poste», et de «bien choisir les médias et canaux de diffusion». Rappelant les conclusions d’une étude du cabinet de recrutement Michael Page indiquant qu’un candidat sur trois aurait déjà renoncé à un poste intéressant parce que les délais d’attente étaient trop longs, elle invite à «simplifier et raccourcir le processus de recrutement en permettant de soumettre sa candidature en quelques clics, de la suivre et d’être rapidement tenu informé».
Dans la phase d’onboarding, enfin, le maître-mot est de commencer «dès le contrat signé». Et de «dédier un parrain ou une marraine pour faciliter l’intégration des nouvelles recrues».
• Le regard de Dominique Herickx: «Vaste sujet… Il est vrai que, de nos jours, le recrutement doit être vécu comme une expérience pour le candidat, quelle que soit sa génération. Fini le temps des entretiens déstabilisants, souvent mal vécus. Bien loin le temps des questions ‘has been’ comme: ‘C’est quoi vos qualités/défauts?’ ou ‘Pourquoi vous plutôt qu’un.e autre?’. Aujourd’hui, recruter, c’est déceler les ressources des candidats pour voir si celles-ci seront utiles dans le cadre du poste à pourvoir. Vue sous cet angle, la question de la génération ne se pose plus.»
«Les entreprises ont toujours cherché à séduire pour attirer les meilleurs profils. Lorsqu’elles sortaient en ‘print’, il y avait de très belles annonces, visuellement alléchantes. De nos jours, les canaux de diffusion se sont démultipliés et focalisés sur le numérique. Les jeunes sont très sensibles à leur image et à celle renvoyée par les entreprises, qui utilisent les mêmes ressorts que le marketing. Toutes les générations y sont sensibles. Mais attention au bel emballage. À l’instar du ‘green-washing’, il y a aussi du ‘social-washing’: rendre l’image la plus clean possible pour attirer les candidatures, et, parfois, derrière ce packaging, il peut y avoir de mauvaises surprises. Nous sommes tombés dans une société de l’instantané: tout se fait en un clic! On ‘consomme’ des offres d’emploi, on s’attend à un retour instantané des services RH. Les entreprises ont investi dans des moyens pour réduire le temps de traitement des candidatures, mais toutes n’ont pas les outils adéquats. Les candidats doivent comprendre que la sélection, ce n’est pas comme acheter cinq tranches de jambon: cela prend un certain temps. Enfin, je souscris à l’idée d’avoir une réelle politique d’accueil des nouvelles recrues avec nomination d’un parrain ou d’une marraine. Quelle que soit la génération du recruté, humainement, il y sera toujours sensible.»
Comment la retenir?
«L’engagement ne se mesure pas en nombre d’heures passées au bureau, c’est la capacité à mobiliser les efforts nécessaires pour mener à bien sa mission et atteindre les objectifs fixés. Et en cela, la jeune génération ne démérite pas», avance la Chambre de commerce.
Dans la gestion au quotidien, elle recommande un feed-back «régulier, constructif et bienveillant». «Que l’évaluation soit uniquement annuelle n’est plus envisageable», appuie-t-elle. Ce feed-back doit être assuré par un manager dont «la légitimité est moins liée à sa position hiérarchique, mais de plus en plus à sa capacité à inspirer, fédérer, coacher et à pousser les gens à livrer le meilleur d’eux-mêmes».
Pour les impliquer «dans des tâches importantes», possibilité doit être donnée aux jeunes collaborateurs «d’exprimer leurs idées et de donner libre cours à leur créativité». Le tout en fonctionnant «en petites équipes ou en réseau sur un projet où tout le monde collabore au même niveau».
L’organisation doit aussi prendre en compte la formation continue, car, «plus que toute autre génération, les jeunes sont particulièrement sensibles aux opportunités offertes par leur employeur pour développer leurs compétences», pointe la Chambre de commerce, citant une étude LinkedIn réalisée au Benelux.
Flexibilité, télétravail et «hybridation», «en cumulant plusieurs activités, rémunérées ou non», ne sont pas à oublier.
• Le regard de Dominique Herickx: «Encore une fois, ce constat n’est pas propre aux jeunes générations! C’est une évolution sociétale que l’on observe dans l’organisation du travail. Nous ne sommes plus à l’époque du taylorisme. Aujourd’hui, la plupart des entreprises du secteur tertiaire ont abandonné ce modèle au profit d’autres type de management (par exemple, l’allocratie). Mais il subsiste encore çà et là des vestiges de ce passé. Plus souvent dans les secteurs secondaires, qui doivent évoluer et trouver de nouveaux modèles d’organisation du travail, du rapport hiérarchique, et chercher à varier les sources de motivation. On observe tout de même que la tendance du management ‘moderne’ et du rapport dans les équipes va dans le sens de la bienveillance et de l’empathie. On apprécie de moins en moins des managers ‘petits chefs’, capricieux et psychorigides. Quant à l’évaluation du personnel, je n’ai jamais vu une seule solution convaincante qui ne s’apparente pas à une remise de bulletin. Il est bien exact qu’il faut que le salarié sache s’il répond aux attentes du poste au travers d’une évaluation informelle continue, tout au long de l’année, sans être vecteur de stress. Mais ça, c’est un autre sujet, tout comme l’importance de la formation continue.»
En conclusion…
«Le regard neuf des jeunes embauchés et leur approche disruptive peuvent être des déclencheurs salutaires de remise en question», souligne la Chambre de commerce… «à condition, bien entendu, qu’on leur donne l’opportunité de s’exprimer».
Pour elle, les «questionnements» des ambassadeurs de la gen Z doivent permettre aux employeurs d’être «bousculés» dans leurs habitudes, «car ils ont besoin de comprendre l’écosystème dans lequel ils vont travailler», d’«expérimenter de nouvelles solutions», de «booster les équipes, d’amener de l’agilité, les faire sortir de leur zone de confort» et de «se doter d’un antidote à la tendance du ‘on a toujours fait comme ça’».
• Le regard de Dominique Herickx: «Oui, à chaque génération, les jeunes ont toujours apporté du sang neuf dans les entreprises. Ils sont fraîchement diplômés avec une mise à jour des connaissances: il faut les écouter, leur donner (c’est-à-dire organiser) un espace d’expression et cela doit aussi se faire dans les deux sens. ‘L’ancien’ comme ‘le jeune’ ont à apprendre l’un de l’autre. Il n’y a pas pire entreprise où le maître mot est ‘On a toujours fait ça’. Ce sont des entreprises ‘mortes-vivantes’ avec un ‘esprit Tupperware’, qui n’ont pas la faculté de retenir le sang neuf.
Pour finir, à longueur d’année, on rappelle aux ressources humaines qu’elles doivent se garder des jugements jugés discriminatoires (genre, nationalité, orientation sexuelle ou religieuse, etc.) On prône l’inclusivité et la tolérance. J’observe que dans la grande majorité des situations, ces recommandations sont respectées. Mais dès que l’on soulève la question transgénérationnelle, ce n’est plus le cas! On prête encore à tort des comportements caricaturaux en fonction des tranches d’âge: c’est intolérable. Que l’on fasse ces segmentations dans le cadre d’études marketing, je le conçois parfaitement. Mais que l’on transpose dans le domaine des RH, cela pose un sérieux problème de déontologie de la profession.
Enfin, petit clin d’œil: un gen Z se demandera toujours quel lien il peut bien y avoir entre une K7 et un crayon…»