Sarah Stein, head of transaction services – Equity Investments, chez European Investment Fund. (Photo: European Investment Fund)

Sarah Stein, head of transaction services – Equity Investments, chez European Investment Fund. (Photo: European Investment Fund)

Sarah Stein, head of transaction services – Equity Investments chez European Investment Fund, partage ses perspectives, ses expériences et ses idées pour l’avenir, dans le cadre de l’événement Paperjam 10x6 – Entrepreneurs and Private Capital, organisé par le Paperjam Club le 20 mai 2025 au Kinepolis Kirchberg.

Où identifiez-vous des lacunes de financement pour certains segments du marché (amorçage, croissance, relais, etc.) et que peut-on faire pour combler ces lacunes?

. – «Les lacunes de financement en Europe se manifestent surtout lors des phases de montée en puissance (scale-up) du développement des entreprises. Comme le souligne le rapport Draghi, l’Europe ne manque ni d’idées ni de talents – les chercheurs et entrepreneurs y génèrent des brevets et développent des technologies innovantes. Cependant, le principal obstacle réside dans la capacité à convertir cette innovation en succès commercial. La fragmentation réglementaire et la faiblesse des marchés du capital-risque freinent cette transition.

Le financement d’amorçage est crucial pour transformer la recherche précoce en start-up viables. Or, les systèmes bancaires européens, marqués par une aversion au risque, prédominent dans le paysage financier, et les banques manquent souvent des outils nécessaires pour évaluer les actifs immatériels ou les modèles économiques disruptifs. Contrairement aux investisseurs providentiels ou aux fonds de capital-risque en phase initiale, les banques traditionnelles ne sont pas adaptées structurellement pour financer des idées non éprouvées avec des rendements incertains.

La lacune dans le financement de croissance est encore plus marquée. En 2024, les start-up européennes ont levé deux fois moins de fonds de croissance que leurs homologues américaines, et pour les levées supérieures à 100 millions d’euros, les entreprises américaines ont obtenu près de six fois plus de financements. Ce déficit de capital contraint souvent les entreprises européennes à fort potentiel à se tourner vers des acquéreurs étrangers ou à se relocaliser pour obtenir les financements nécessaires — plus de la moitié des sorties (exits) de start-up financées par le capital-risque en Europe impliquent des acheteurs non européens, mettant en péril la souveraineté technologique du continent. Les données de l’enquête 2024 sur le capital-investissement de l’EIF confirment que plus de la moitié des ventes industrielles et des introductions en bourse (IPO) concernent des acheteurs hors UE, soulignant à nouveau l’ampleur du déficit de financement pour la montée en puissance des start-up européennes.

Pour y remédier, des initiatives public-privé prennent de l’ampleur. L’Initiative des champions technologiques européens (ICTE), dotée d’un capital de 3,85 milliards d’euros, vise à renforcer les fonds de capital-risque à grande échelle ciblant les investissements en phase de croissance. Dans le cadre d’InvestEU, des programmes tels qu’Escalar et le SME IPO Fund sont conçus pour soutenir les fonds de montée en puissance et les entreprises en phase pré-IPO, comblant ainsi un maillon essentiel dans la chaîne de financement. Des initiatives nationales comme le Luxembourg Future Fund, à travers la coopération entre l’EIF et la SNCI, jouent également un rôle déterminant au niveau local en soutenant les fonds d’amorçage et en stimulant les écosystèmes entrepreneuriaux.

Combler ces lacunes nécessite une stratégie coordonnée à l’échelle de l’UE, qui dépasse les seuls instruments financiers. L’Europe doit approfondir ses marchés de capitaux, attirer des investisseurs institutionnels de long terme, et mettre en œuvre des réformes juridiques pour harmoniser les réglementations. Un écosystème de capital-risque robuste et unifié, disposant de capitaux à risque suffisants à chaque étape, est indispensable pour retenir et développer la prochaine génération de leaders technologiques européens.

Dans vos décisions d’investissement, quelle est l’importance des critères ESG, et comment conciliez-vous rendement financier et création de valeur sociétale?

«L’EIF adopte une approche globale des critères ESG, intégrant les dimensions environnementales, sociales et de gouvernance tout au long de son cycle d’investissement. L’évaluation ESG commence dès la phase de pré-investissement, où les risques et opportunités sont analysés selon le secteur et les activités concernées. Lors de la due diligence, les équipes d’investissement utilisent un questionnaire ESG développé en interne, permettant de classer les gestionnaires de fonds selon leur engagement envers les pratiques ESG. Après l’investissement, l’EIF continue de surveiller la performance ESG grâce à des rapports réguliers et à un dialogue actif avec les équipes d’investissement. L’objectif est d’encourager l’amélioration continue et de faire des critères ESG un pilier central pendant toute la durée de l’investissement.

L’approche de l’EIF est alignée avec les standards internationaux tels que les principes pour l’investissement responsable (PRI) des Nations unies et le règlement européen sur la publication d’informations en matière de durabilité (SFDR). Tous les financements du Groupe BEI respectent le cadre d’alignement sur l’Accord de Paris du Groupe BEI et sont orientés vers un développement sobre en carbone et résilient au climat. En 2024, la priorité donnée à la durabilité et à la transition verte a été centrale pour l’EIF, représentant 49% de nos engagements.

Dans son engagement continu envers les PME et les petites entreprises en Europe et au-delà, l’EIF s’aligne sur l’Accord de Paris et évolue vers une institution davantage axée sur l’impact, allant bien au-delà des seules considérations environnementales. La diversité et l’inclusion, l’impact social et la durabilité au sens large sont autant d’éléments intégrés dans les choix d’investissement de l’EIF, tout en continuant à offrir des rendements financiers à ses actionnaires.

La transmission d’entreprise représente souvent un défi. Quelles sont les bonnes pratiques que vous observez pour assurer une transition réussie et quel rôle peut jouer le capital-investissement?

«La transmission d’entreprise est en effet une étape critique dans la vie d’une société. On estime qu’environ 150.000 PME européennes connaîtront un changement de propriétaire dans les cinq prochaines années. Ce processus ne se limite pas à un changement de direction: il s’agit de garantir la continuité à long terme de l’entreprise, de préserver son identité, tout en introduisant les innovations nécessaires pour prospérer dans un marché mondial compétitif.

Une transition réussie repose souvent sur une combinaison de planification rigoureuse, de soutien stratégique et d’expertise externe. Dans de nombreux cas, les investisseurs en capital-investissement (private equity) jouent un rôle clé dans la réussite des transmissions. Dans le portefeuille de capital-investissement de l’EIF, plusieurs successions d’entreprise ont été couronnées de succès grâce à l’intervention de fonds de PE. Ces investisseurs apportent non seulement du capital, mais aussi une vision stratégique, des équipes de direction expérimentées et une expertise opérationnelle essentielle pour développer l’entreprise, moderniser ses processus et conquérir de nouveaux marchés.

Les sociétés de capital-investissement peuvent aider les entreprises familiales ou les fondateurs sur le départ à assurer la pérennité de leur entreprise en fournissant les ressources nécessaires à l’expansion, à l’adoption de nouvelles technologies et à l’amélioration de l’efficacité opérationnelle. Elles peuvent aussi accompagner la transition entre la préservation de l’héritage de l’entreprise et l’intégration de perspectives nouvelles pour favoriser la croissance.

Une stratégie de transmission bien menée repose également sur des structures de gouvernance claires. Pour les entreprises familiales, l’introduction de dirigeants non familiaux ou de conseillers externes permet d’éviter les conflits internes, d’apporter une prise de décision objective et d’accompagner l’entreprise dans les défis de la concurrence mondiale. Moderniser la gouvernance en combinant talents familiaux et externes permet de conserver les valeurs fondamentales tout en insufflant innovation et bonnes pratiques managériales.

En somme, la transmission d’entreprise réussie repose sur une vision à long terme, une certaine flexibilité, et un accompagnement adapté – que ce soit par des partenariats avec des acteurs du capital-investissement ou par la mise en place de structures de gouvernance propices à la stabilité, la croissance et la durabilité.»