Le 27 janvier 2021, le gouvernement luxembourgeois a signé une convention de restitution historique avec la Fondation luxembourgeoise pour la mémoire de la Shoah, la Communauté juive du Luxembourg et la World Jewish Restitution Organization.
Cette convention n’a pas seulement servi de reconnaissance financière, par laquelle un million d’euros d’un fonds luxembourgeois a été distribué aux survivants de l’Holocauste éligibles (dont l’achèvement est prévu pour mars 2022), mais elle a également permis au gouvernement à s’engager à verser 120.000 euros par an pendant 30 ans à la fondation.
L’accord porte également sur la transformation de Cinqfontaines, site de déportation pendant la Seconde Guerre mondiale, et vise à consacrer des ressources à l’éducation, à la recherche et à la mémoire de l’Holocauste. Laurent Moyse, qui a pris la présidence de la fondation fin 2021, confirme que le site sera complètement transformé. «Pour l’instant, il est dans une période de transition parce qu’il y a deux acteurs majeurs qui y travaillent, le Service national de la jeunesse (SNJ) et le Zentrum fir politesch Bildung (ZPB), qui sont tous les deux des acteurs importants, qui essaient d’attirer des classes et des jeunes à cet endroit et d’expliquer ce qui s’y est passé.»
L’année dernière, une journée porte ouverte a été organisée, mais la première grande étape pour la fondation sera de vérifier auprès de l’Administration des bâtiments publics ce qu’il est possible de faire sur le site, une étape que Laurent Moyse a confirmé être déjà en cours, même s’il prévoit qu’il faudra des années avant que le site ne soit entièrement prêt.
Le SNJ et le ZPB ont déjà des personnes qui travaillent sur le contenu du centre. «Ce sont eux qui s’occuperont des activités et de l’animation», explique Laurent Moyse. «Le SNJ est spécialisé dans le travail avec les jeunes, ils savent donc comment élaborer des concepts pédagogiques, et le ZPB est plus spécialisé dans la sensibilisation des jeunes – mais pas seulement – aux valeurs démocratiques, à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, aux droits de l’homme, etc.»
L’enseignement de l’histoire est un élément central de la communication, mais lier l’histoire au présent sera également important, en particulier pour les jeunes générations qui sont plus éloignées de la Seconde Guerre mondiale, ajoute Laurent Moyse.
Un nouveau cadre
Fin 2021, la Commission européenne a présenté sa toute première stratégie visant à combattre l’antisémitisme. L’éducation et la recherche sur l’Holocauste ont été incluses dans cette démarche. Pour Laurent Moyse, une stratégie au niveau national devrait être communiquée «dans les semaines à venir».
«Nous avons remarqué que, surtout au Luxembourg, nous n’avons pas trop d’agressions physiques à déplorer, mais la principale préoccupation est sur internet et les réseaux sociaux», dit-il. «Nous nous attendons à ce que dans ce plan, il y ait des éléments de lutte contre ce discours de haine. Et il y a d’autres préoccupations, comme la sécurité des lieux juifs, comme les synagogues… pour le moment, il n’y a pas de menaces spécifiques, mais nous savons que les institutions juives peuvent toujours être une cible.»
Le Premier ministre (DP), qui participera ce 27 janvier à une cérémonie commémorative organisée à Esch-sur-Alzette, a déjà à travailler ensemble pour lutter contre toutes formes de radicalisation. Pour rappel, en 2021, un groupe de personnes protestant contre les mesures relatives au coronavirus s’en était pris à son domicile et s’était rassemblé devant celui de la ministre de la Famille, (DP). À l’époque, (déi Gréng) avait pointé du doigt l’homophobie et l’antisémitisme. Et tous les partis avaient alors condamné les comparaisons entre le traitement des personnes non vaccinées et la persécution des Juifs.
En outre, en 2019, le Luxembourg a signé un accord avec le Centre mondial de la mémoire de l’Holocauste , basé à Jérusalem, afin d’inclure des programmes de formation continue pour les enseignants. Laurent Moyse espère aussi que l’on pourra faire davantage en matière d’éducation dans les écoles sur ces sujets. «Nous pensons qu’il est important que cet aspect fasse partie du programme scolaire en tant que cours permanent, et ce qui est particulièrement important, c’est la formation des enseignants», explique-t-il. «Nous avons remarqué qu’il y a des initiatives individuelles, mais ce n’est pas quelque chose d’organisé, et nous serions heureux qu’il y ait un cadre pour cela.»
La complexité des comptes dormants
L’accord de restitution de 2021 avait également prévu de traiter la difficle question des comptes dormants en effectuant des recherches sur la période 1930-1945. Mais c’est complexe.
«Le groupe travaille avec un auditeur qui suit le travail avec les banques. Ces dernières sont en train de vérifier les comptes dormants pour voir s’il y en a qui sont liés aux victimes de l’Holocauste. Tout le monde travaille en collaboration avec la CSSF, le ministère des Finances et le ministère d’État», souligne Moyse. Les premières questions sont de savoir combien de comptes dormants ne sont toujours pas réclamés et combien d’argent ils contiennent.
D’autres groupes de travail s’occupent des questions d’assurance non payées et de la restitution des œuvres d’art et autres biens culturels. Ce dernier groupe de travail est actuellement à l’œuvre et comprend le MNHA, la Bibliothèque nationale – «des institutions qui existaient à l’époque et qui pourraient avoir des choses qui auraient pu appartenir aux victimes, aux familles.»
Dans tous les cas, comme l’a souligné Laurent Moyse, l’un des principaux défis est que les banques de l’époque ne travaillaient pas sous forme numérique, de sorte que les recherches doivent être effectuées dans les archives, si tant est qu’elles existent. Un autre aspect problématique est que les banques actuelles peuvent ne pas être les mêmes que les anciennes banques. Il est également difficile de déterminer si les comptes dormants peuvent effectivement être retracés, ce qui se passait s’il n’y avait pas de demandeurs, etc.
La Fondation cofinance une étude avec l’Université du Luxembourg pour découvrir ce qui est arrivé à certaines familles dans certaines régions afin d’illustrer des études de cas sur la manière dont les biens ont été confisqués. Un autre projet est le , avec les biographies des victimes de la déportation.
Par ailleurs, Laurent Moyse confirme que la question des comptes dormants prendra du temps. La documentation peut être difficile à trouver ou même ne pas être disponible, et comme le temps passe et que les survivants de l’Holocauste décèdent, leur histoire se perd également.
«Certaines institutions internationales, comme l’IHRA [l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste], recommandent aux États membres d’ouvrir leurs archives pour toutes les périodes liées à l’Holocauste», explique M. Moyse. «Il y a quelques problèmes d’accès dans de nombreux pays, à cause du RGPD, mais la législation européenne stipule que la période de l’Holocauste peut être exemptée si c’est à des fins de recherche. Toutefois, de nombreux pays ont besoin de temps pour comprendre cela et suivre cette recommandation.»
Cet article a été rédigé par en anglais, traduit et édité par Paperjam en français.